Visite en Palestine

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Luc Jarrige, vice-président MdM France

L’équipe MdM Gaza

 

Jérusalem, mont des Oliviers

Pour les chrétiens c’est un haut lieu de l’évangile, mais les oliviers ont disparu depuis bien longtemps.
Pour les Israéliens, c’est un quartier chaud de Jérusalem-est situé près du mur où les jeunes s’affrontent ces jours-ci aux forces de l’ordre depuis la mort de l’un des leurs lors d’une manifestation. Les rues empestent de l’odeur putride utilisée dans les canons à eau pour disperser la foule.
Pour moi, c’est l’adresse de Médecins du Monde à Jérusalem et ça semble vraiment intriguer la jeune femme de la police des frontières à l’aéroport.
Jérusalem, c’est cette ville multiculturelle, où l’on croise athées, religieux de toutes sortes.
La vieille ville est toujours aussi extraordinaire, où chaque pierre est un élément de notre histoire commune mais un mur d’une dizaine de mètres de hauteur la coupe en deux et désormais il est bien établi dans les esprits.
Pendant la guerre l’équipe m’explique les attaques de colons sur Jaffa street, l’axe commerçant de Jérusalem ouest, les enfants que l’on préférait garder à la maison lorsque l’on habite près d’un quartier ultra-nationaliste. Mais aussi ces conversations désormais impossibles avec les jeunes israéliens laïcs dans les bars sympas : “les palestiniens, ils n’ont que ce qu’ils méritent”.
A Jérusalem, je retrouve avec joie des visages connus, Intisar, Mary : “toi, tu es déjà venu il y déjà dix ans…”. Intisar, notre administratrice, va négocier pendant 48h au téléphone avec l’administration israélienne pour obtenir mon autorisation d’entrée à Gaza. Je l’obtiendrai au tout dernier moment : chouckrane !

Visite à Naplouse

Sortie de Jérusalem, on passe le mur, plus de 400 km de béton qui serpente entre les collines qui sépare les quartiers, ça fait un choc. Dernier check point : “Welcome in Palestine”. Enfin pas exactement… la première ville que l’on traverse est une immense colonie moderne, reliée à Jérusalem par le tram. Et ça se complique par la suite. Il y a 10 ans, on voyait des colonies de proche en proche sur la route et cela m’avait déjà semblé beaucoup. Désormais, les colonies poussent comme des champignons sur les sommets des collines, surplombant les villages palestiniens. Les colonies sont illégales mais unes fois implantées l’armée israélienne les protège, une route d’accès spéciale est créée.
Mahmoud, le co-responsable du programme de santé mentale nous présente une école attaquée par des colons qui harcèlent 9 villages environnant. Difficile de ne pas imaginer une stratégie concertée de grignotage progressif de la Cisjordanie. L’occupation même de la Cisjordanie par Israël constitue un véritable morcellement et une prise de contrôle du territoire, c’est la fameuse image de l’archipel de Cisjordanie de Julien Bousac, le responsable de mission Palestine complexifiée par des zones A, B et C définies en fonction des prérogatives de l’armée israélienne.
Ces derniers jours, soit disant en représailles aux enlèvements qui ont mis le feu aux poudre cet été, l’État israélien vient d’annexer 400 ha dans la région de Bethléem.
A Naplouse, long moment d’échange avec l’équipe animé par Owen, le coordinateur général… Le traumatisme de la guerre est important ici aussi, même si les violences des colons ont sensiblement diminuée durant cette période, preuve s’il en fallait d’actions non isolées concertées directement au niveau central. Beaucoup expriment ce sentiment d’impuissance ressenti pendant la guerre, comme voir souffrir un proche et regarder son agonie, comment les images crues déversées en flot continu par la télévision palestinienne ont traumatisé les enfants. Stress, nuits blanches, coups de fil quotidiens angoissants aux proches de Gaza…
Précisément l’équipe me présente le programme de santé mentale communautaire de Naplouse. Je suis bluffé par le degré de réflexion et la qualité du projet et surtout par la conviction de ses acteurs.

Gaza
Clinique mobile à Gaza
Avec mon autorisation de dernière minute en poche, nous partons au petit matin de mon dernier jour en Palestine pour Gaza.
Au passage du check point d’Eretz, immense terminal déshumanisé qui signe l’entrée de la prison de gaza, un des soldats de faction me souhaite une bonne visite, j’ai envie de lui répondre que je vais faire un peu de bronzage dans les cratères de bombes mais mon anglais est trop mauvais…
Nous sommes accueilli par Abu Mahmoud, une figure de l’équipe MDM à Gaza qui nous fait traverser Gaza-city en direction des locaux de Médecins du Monde. Passage du point de police Hamas et premier contact avec un bâtiment soufflé par les bombes, puis dans les artères saturées de la ville, au détour d’une rue, les derniers étages d’un bâtiment soufflé, là une tour entière couchée, ici un immeuble à demi détruit. Ce sont les fameuses destructions “ciblées”, bureaux ou lieux d’habitation de dirigeants du Hamas, toits hébergeant des antennes stratégiques ou je ne sais quoi. Chacun vit dans la peur que son propre immeuble ou celui d’à côté devienne subitement une cible…
L’accueil de l’équipe est très chaleureux. J’ai la chance d’être cet émissaire de l’association qui vient rencontrer des collègues engagés et leur assurer que Médecins du Monde s’est tenu derrière eux au plus fort de la crise. C’est vrai que la mobilisation a été forte cet été à Paris, autour d’Élise et de Julien, animée par Françoise : desk-Urgence, réseau international, communication… Mais le travail de l’équipe de Gaza a été remarquable et il est loin d’être terminé. Prise en charge des réfugiés internes en santé primaire, en santé mentale, approvisionnement de la pharmacie centrale sous les bombes, ouverture de cliniques mobiles… La forte implication de l’équipe au plan communautaire a permis cette réactivité, chacun donnant plus que le maximum comme pour conjurer ce climat d’impuissance général ressenti par les Gazaouis.
Immeuble à Gaza Je retrouve avec joie des connaissances : Dr Ahmed, Khaled… Nous passons un moment très convivial mais pas assez de temps malheureusement pour discuter avec chacun. Une de nos psychologues me montre les photos de sa maison totalement détruite. Le plus important me dit elle c’est qu’aucun proche des membres de l’équipe n’ait été tué.
Nous nous rendons dans une école accueillant des réfugiés où Médecins du Monde organise une clinique mobile. Abu Mahmoud me fait faire un détour par le quartier-est de Chajaya, pilonné par les bombardements à partir du 20 juillet. J’ai l’impression de me retrouver dans Port-au-Prince après le tremblement de terre, avec cratères, trou d’obus, brûlures des façades en plus. Tout est soufflé et défoncé mais les habitants tentent de reprendre possession des lieux. Les bombes n’ont rien épargné : l’hôpital gériatrique al wafa, ici une maison de retraite, là un centre pour enfants déficients, une mosquée… La violence est inouïe.
Arrivée à l’école où vivent 700 familles. La clinique mobile est en place : longue file de consultation pour voir le médecin, soins infirmiers, distribution des traitement. En parallèle l’équipe organise des sessions d’éducation à la santé et des activités avec les enfants réalisées par les travailleurs sociaux et les psychologues. La santé mentale et les traumatismes liés à la guerre sont ainsi abordés selon une approche plus globale, moins stigmatisante.

Aéroport de Tel-Aviv

En fin d’après-midi ce même jour je me retrouve dans un autre monde : duty-free, boutiques luxueuses, touristes enchantés, pèlerins, Israéliens en voyage… On semble loin de la Palestine et des Palestiniens, encore plus loin de Gaza, pourtant à 60 km.
Je vais être hanté pendant longtemps par les images de Gaza, mais la qualité des projets et les moments forts passés avec l’équipe prendront vite le dessus. Je reviendrai en Palestine !

Luc Jarrige

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