Tourner une page…

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En 2016 je tourne la page de 16 ans d’engagement actif au sein de Médecins du Monde.

Arrivée fin 1999 à MdM, à un moment charnière de ma vie professionnelle. Depuis 1 an, j’étais déserteur. Jeune médecin militaire en pleine rupture avec son institution. Aboutissement d’une histoire débutée en 1985 avec mon installation un peu par hasard à Santé Navale. J’ai été heureux dans cette école de médecine singulière, riche d’une histoire centenaire, construite sur mers et au delà des mers qui m’a permis d’être libre. Liberté dont j’ai abusé avec parfois sûrement l’insouciance de la jeunesse, non pas dans l’escalade des transgressions mais dans l’arrogance de ceux qui vivent sans crainte.

Je me suis arrimé à la mission France de MdM à Bordeaux, dans ce contexte d’instabilité professionnelle, avec ce sentiment immédiat d’être là ou je devais être.

Médecins du Monde fait partie de ces mythes qui ont construit ma vocation médicale née sans tradition familiale, mais suite logique d’une culture de l’engagement incarnée par l’image d’un grand-père dont la mort en déportation a irrigué mon inconscient.

Médecins du Monde, MSF, Amnesty, ces associations ont participé à la construction de mes choix professionnels, politiques et sûrement aussi à mon départ précipité de la vie militaire. Certains trouveront paradoxal et un brin immature, mon engagement militaire précoce. C’est mal connaitre la vie militaire faite d’idéal, de collectif et d’une sorte d’absolu qui ne pouvait, à la manière aussi de la vie religieuse, qu’enflammer l’adolescent idéalisé que j’étais. Je ne regrette rien de mon passage dans l’institution militaire. Santé navale m’a offert des rencontres d’une très grande richesse. Mon expérience Yougoslave en 1995 a été fondatrice.

Mais c’est à MdM que j’ai trouvé l’espace dont je rêvais pour vivre cette double exigence d’agir et de défendre des valeurs. J’y ai fait mes premiers vrais pas de militant.

La mission France a été mon terrain d’engagement. Mes études médicales, ma formation à la médecine de guerre, mes expériences Africaines, mon séjour à Sarajevo, m’avaient détourné très rapidement de cette médecine humanitaire urgentiste en plein développement. Bizarrerie de mon parcours : ce n’est pas cet humanitaire international qui m’a fait vibrer, au moment même ou plein de mes confrères trouvaient dans ces expériences le moyen de vivre leurs idéaux. C’est le monde médico-social. La découverte de ces pauvretés de proximité. C’est aussi l’implication dans un collectif militant, avec des bénévoles de tout âge, engagés chacun à sa manière, mais tous fortement impliqués dans la lutte contre l’injustice, cause universelle qui n’ouvre pourtant à aucun de ces grands débats géopolitiques dont raffolent nos intellectuels médiatiques. C’est ce MdM qui m’a plu, mélange de sans-frontièrisme, de tiers mondisme, de charité, de politique, de soins effectifs mais aussi de possibilité d’exprimer son opinion, de là où il est, sur des sujets aussi complexes que les inégalités ou le droit à la santé.

Mes 10 ans de MdM actif sur le terrain français ont été d’une richesse inouïe. Quand j’y pense je me dis, que j’ai eu une chance extraordinaire. Les familles de la rue Neuve, le squat Rom de l’avenue Thiers, le mouvement des Kurdes de la rue du Noviciat, les permanences dans le bus du programme d’échange des seringues, les consultations au CASO (centre d’accueil de soins et d’orientation). Tous ces visages, ces histoires de vie chahutée par la grande Histoire du Monde ou témoins uniquement de l’injustice, structurent ce que je suis aujourd’hui. Ils n’ont fait que confirmer ma certitude dans la force de l’Homme et dans son étonnante capacité à vivre même l’inimaginable.

Mais un programme de MdM en France c’est aussi une communauté humaine. Des confrontations. A des personnalités, à des enjeux de pouvoir, à des rapports de force et aussi, à l’énergie de volontés communes. Pendant 6 ans, j’ai assumé l’animation d’un de ces collectifs. Véritable épreuve de management, épuisant parfois, mais qui a forgé mon envie de faire de mon idéal un idéal pour les Autres. Parler au nom d’un groupe. Porter ses révoltes, ses expertises. Quel honneur et quelle chance. Le Catho que je suis pourrait dire : quelle grâce. Quelle responsabilité aussi.

Depuis 8 ans, le conseil d’administration m’a ouvert ses portes. J’ai vécu mon 1er CA rue du Jura, alors que j’étais en pleine lecture d’ « Un léopard sur le garrot » de Jean-Christophe Rufin… J’ai beaucoup appris dans cette instance centrale de l’association. Enormément. Sur les Hommes, les organisations, le combat d’opinion, l’action publique et collective. Je me suis même surpris à aimer les chiffres, les comptes et lire à travers eux des enjeux politiques. Cela m’a pris du temps, un peu d’argent, mais j’ai tellement reçu que je m’étonne encore d’avoir eu cette opportunité.

La page va se tourner dans quelques mois…

D’abord pour en ouvrir une autre tout aussi militante, confluence de ces 30 années de médecine, des bancs de la fac à la rue Marcadet, en passant par la consultation quotidienne d’un cabinet de médecine générale. Ensuite car il faut savoir s’arrêter. Ni s’identifier à la cause ni en faire qu’un outil personnel. Et enfin, car j’ai du mal à me retrouver dans le tournant actuel de l’association, volontariste, qui prend le risque de tout légitimer au nom de sa seule capacité à peser dans les débats publics. Rêver, espérer sans retour, c’est pas mal aussi… et l’âge n’a pas encore terni mon idéalisme adolescent. Je n’ai pas enfin envie d’oublier que l’innovation provient avant tout du terrain, des acteurs et des bénéficiaires. Que l’intelligence et la méthode, le cadre logique ne sont que des outils, pour appuyer le savoir clinique. J’ai donc besoin de reprendre du temps pour travailler le terrain du soin réel et mes intuitions.

Comme lors de mon départ du service de santé des armées, il y a eu un catalyseur. Certaines modifications du staff de direction ont déclenché mon souhait de tourner la page MdM. Vite. Pour ne pas valider sans pour autant m’opposer. L’histoire dira si ces choix ont été justes.

Une page se tourne une autre s’ouvre. Dans quel sens. Je ne sais pas encore. Une seule certitude : je vais prendre le temps de l’introspection active, du discernement, me réapproprier mon agenda et mes objectifs sans concession avec les rationalisations que vous impose le groupe. Pour ne surtout pas être silencieux avec l’essentiel…

 Christophe Adam

 https://docadamblog.wordpress.com

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