Réflexions sur le projet associatif

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Joël LE CORRE, responsable de mission Niger

 

Les principes

Parmi les principes qui sont proposés à notre suffrage, je retiendrai

L’Universalité (des droits humains), lequel recouvre d’autres principes comme l’Egalité, la Dignité, la Justice Sociale.

La Solidarité

L’Impartialité

La Laïcité

Le Professionnalisme

Le principe que je mets en avant est celui de Solidarité, laquelle, dans un contexte où l’Universalité des droits s’applique inégalement, traduit notre volonté d’y palier, ici et maintenant. Ce principe me semble plus large que celui d’Humanité.

Celui que je récuse est l Indépendance, car il est un leurre. Nous sommes dépendants de nombreux déterminants et interdépendants. C’est la prise de conscience de cette dépendance qui permet un peu de liberté d’action.

Bénévolat et militantisme ne reflètent pas la diversité des composantes de l’association. Transparence et intégrité vont de soi pour une organisation de notre envergure. Il serait pour le moins étrange de les mettre en avant.

La Diversité peut conduire à un relativisme qui s’oppose au principe d’Universalité.

La Neutralité ne nous caractérise pas. Nous ne sommes pas neutres dans la dénonciation des responsabilités dans les entraves à l’accès aux droits.

L’Equité est un faux semblant. Ce principe a pour fonction d’affaiblir celui d’Egalité, autrement plus signifiant dans le champ politique.

Sur les sujets qui semblent faire consensus,

Le changement social

Les organisations non gouvernementales qui interviennent dans les champs des besoins fondamentaux sont des opérateurs de politiques publiques, par délégation ou par substitution dans le contexte d’une incapacité des Etats à répondre. Or, selon les théoriciens de l’action publique, toute politique publique s’appuie sur une hypothèse de changement social (quelle soit de droite ou de gauche, pour faire vite !). Il ne s’agit donc pas simplement se déclarer accompagnateur du changement social mais bien de repérer dans les politiques publiques que nous voulons relayer quel est l’agenda avéré ou caché et dans celles dont nous sommes à l’origine, de définir le changement social que nous souhaitons.

La santé communautaire

Ce concept, historiquement daté, mérite d’être bien analysé dans ses dimensions théoriques et pratiques. Avec les meilleures intentions du monde, il peut masquer des opérations de pure instrumentalisation des populations bénéficiaires. On met en avant ses réussites, moins ses échecs. Si la santé communautaire fait consensus dans l’association, pourquoi  la participation citoyenne ferait-elle problème ?

Sur les sujets en débat

La place des partenaires

(1) En se projetant dans dix ans, comment définir les relations que nous souhaitons entretenir avec nos partenaires ?

Quelles devraient être les conditions d’engagement d’un partenariat dans la perspective de renforcer les savoirs faire et le pouvoir d’agir des populations face à un problème de santé ?

Opérateur de politiques publiques dans le domaine de la Santé, par délégation ou par substitution, notre organisation a pour partenaires les acteurs publics concernés et souvent d’autres organisations locales. Pour les acteurs publics nous pouvons être considérés comme des prestataires de services, quant aux organisations locales nous pouvons les voir comme nos propres prestataires. Comment faire évoluer ces relations dans le sens d’une vision partagée ? Quel changement social est attendu de la politique engagée ? Y souscrivons nous ? Et nos partenaires de la société civile y souscrivent-ils ?

Nous bénéficions de la rente humanitaire (bailleurs de fonds et générosité du public). Jusqu’à quel point sommes nous prêts à la partager avec d’autres ? Jusqu’à quel point ces autres partagent-ils nos idéaux et notre propre projet politique ? La reconnaissance mutuelle se forge dans la durée. Il est improductif, voire risqué de bruler les étapes. Une fois la confiance établie, d’autres relations peuvent s’amorcer.

Le renforcement des savoirs faire et du pouvoir d’agir des populations face à un problème de santé exige à la fois une volonté et une méthode. Des organisations impliquées dans l’éducation populaire peuvent être des partenaires de choix.

Une autre question est celle des partenaires supranationaux avec lesquelles nous sommes en relation. Nous contractons avec l’Union Européenne, sommes accrédités  auprès du système des Nations Unies. Je maintiens qu’il faut que nous soyons connus et reconnus par d’autres instances régionales comme l’Union Africaine, par exemple.

Le modèle et le périmètre de gouvernance

(2) Est-ce que notre modèle associatif nous permet d’« ouvrir/partager » Médecins du Monde dans un souci de soutenir le réseau militant issu de la société civile ou d’affilier des acteurs « du sud » ?

Pourrions-nous évoluer vers une association plus représentative de l’ensemble des acteurs de Médecins du Monde et adapté à la nouvelle donne humanitaire ?

Quelles en seraient les conditions et les modalités ?

Différencier légalité et légitimité. Pour être dans la légalité vis à vis de nos institutions, nous avons besoin d’une assemblée générale, d’un conseil d’administration et d’un bureau politique. Pour être légitimes vis à vis des partenaires et des populations de nos terrains d’évolution, il faut que leur parole soit entendue avec un certain écho par notre association. Les temps de la légalité et de la légitimité peuvent ne pas coïncider. On peut s’inspirer des modalités de gouvernance d’autres institutions comme celle de « l’Alliance des éditeurs indépendants » qui réunit des éditeurs du monde entier et dont le siège est en France :

 

” L’Alliance des éditeurs indépendants

Organisation

L’Alliance a adopté une organisation interne originale, respectueuse à la fois des principes démocratiques et du fonctionnement d’un réseau international. Les organes constitutifs de l’Alliance reflètent cette nécessité (voir schéma de la gouvernance).

L’aventure de l’Alliance repose avant tout bien entendu sur les éditeurs membres, collectivement réunis au sein de l’Assemblée des alliés, mais aussi sur un Bureau – garant du respect des décisions prises par les éditeurs – et d’une équipe permanente. Par ailleurs, de fidèles bénévoles permettent la mise en place d’activités qui ne pourraient pas voir le jour sans elles.

 

Schéma de gouvernance


Les coordinateurs des réseaux linguistiques

Du fait du regroupement par réseau linguistique, adopté à Dakar comme « une des modalités de travail de l’Alliance », chaque réseau linguistique s’est doté d’un coordinateur (élu par son réseau). Le rôle des coordinateurs est ainsi de vérifier la bonne circulation de l’information entre les membres du réseau et entre les membres et l’équipe de Paris ; d’être en correspondance avec l’équipe de Paris ; de s’inquiéter de l’avancée des projets (de coédition, d’échange d’expériences) que le réseau veut réaliser ; d’étudier et d’émettre un avis sur les demandes d’adhésion concernant leur réseau ; d’organiser les rencontres du réseau en lien avec l’équipe de Paris. Depuis mars 2011, les coordinateurs font partie du Comité international des éditeurs indépendants.

 

(…)

 

Le Comité international des éditeurs indépendants (CIEI)

Depuis 2009, les coordinateurs des réseaux linguistiques et le Bureau de l’Alliance se réunissent une fois par an, conformément aux décisions des Assises internationales des éditeurs indépendants (juillet 2007). Le 11 octobre 2010, les coordinateurs et le Bureau de l’Alliance ont proposé aux alliés la création du Comité international des éditeurs indépendants (CIEI). Le CIEI, composé des coordinateurs des réseaux linguistiques de l’Alliance, représente les éditeurs auprès des instances légales de l’association (le Bureau et l’Assemblée générale) ; il relaie leurs voix, permettant au Bureau et à l’équipe permanente de l’Alliance d’ajuster, au plus près de leurs attentes, les orientations de l’association et leur mise en œuvre. Le CIEI se situe ainsi du côté de la légitimité de l’association (voir schéma de gouvernance ci-dessus).

Le CIEI pourra, quand il le juge nécessaire, inviter des correspondants d’aires linguistiques ou géographiques non représentées (ou sous-représentées) au sein de l’Alliance, pour qu’ils apportent un éclairage et une expertise spécifiques sur un sujet donné.”

Pour ce qui concerne la participation des salariés nationaux et internationaux aux instances de décision de Médecins du Monde, j’y suis très favorable selon des modalités à définir. Un modèle d’organisation du type Société Coopérative d’Intérêt Collectif peut-il correspondre à ce souhait ? Ou encore, si la prise de pouvoir par les salariés n’est pas à l’ordre du jour, en tenant compte du rôle historique et du poids des bénévoles, la mise en place de collèges électoraux avec une pondération de la représentation peut être envisagée.

La place des usagers citoyens

(3) Considérant le « bénéficiaire » au centre/coeur de nos préoccupations, quels modes de dialogue, de concertation et de participation des « bénéficiaires » utilisons-nous à Médecins du Monde ? Qu’est-ce qui peut et doit changer dans nos pratiques ?

Si la satisfaction des besoins de santé n’est pas l’unique objectif, quelle place donnons-nous aux « usagers » à Médecins du Monde ? Jusqu’où peut-on aller pour faire évoluer leur participation et développer leur capacité d’agir ?

Les bénéficiaires sont de plusieurs types. Il s’agit d’abord des populations concernées par les projets, mais aussi des professionnels de santé, des élus, etc. Le dialogue recherché doit les concerner tous en sachant que les plus habiles sauront prendre la parole et le leadership. Le changement des pratiques doit se faire tout d’abord dans l’appréhension des bénéficiaires comme une somme d’individus et non comme un collectif indifférencié, connu uniquement à travers les indicateurs. Concilier éthique et politique comme le propose la philosophe Judith Butler dans « Qu’est-ce qu’une vie bonne ? » est un impératif pour une organisation comme la notre.

Ce n’est pas dans une optique de marketing que la participation des bénéficiaires doit être sollicitée, mais bien dans un objectif de changement social avec eux, et pour eux. Dans le dialogue et la participation des usagers (de nos programmes), il faudra tenir compte des modes de représentation institutionnels ou coutumiers et de leurs organes, mais pas seulement. Des groupes de paroles, des moments d’élaboration de projets et de restitution d’action seront à prévoir. Médecins du Monde peut s’associer à des organisations travaillant dans le domaine de l’éducation populaire pour développer l’empowerment des fractions de la population les plus laissées pour compte. L’éducation des jeunes filles est à prendre en considération dans le cadre d’une politique de santé.

Dans le cas ou les pouvoirs et les institutions sont des freins à l’émergence d’innovations sociales, des modes d’actions plus tactiques seront à imaginer dans lesquels le plaidoyer a toute sa place en s’appuyant sur des acteurs sociaux convaincus. Cela dit, nous ne pouvons être les seuls garants de l’application des droits. Ceux ci se conquièrent collectivement partout. Nous avons, dans ce domaine, en France, en Europe, beaucoup de progrès à faire.

La légitimité de notre action

(4) Notre approche de lutte contre les inégalités de santé doit-elle aller jusqu’à autoriser dans certains cas la désobéissance civile ?

« Soigner et témoigner » justifie-t-il tous les moyens : de la violation des lois à la prise de risques pour nos équipes ?

L’accompagnement du changement social va-t-il jusqu’à un accompagnement des sociétés civiles dans leur désir de changement, jusqu’au soutien à l’apparition de nouveaux citoyens du monde ?

La violation des lois, la désobéissance civile, pourquoi pas ? Encore faut-il se demander si notre geste, notre action vont être utiles. Au delà de l’effet de communication, y aura-t-il un avantage pour les populations que nous servons, à ce que nous agissions ainsi ? Y aura t-il un risque pour les équipes et les personnels nationaux ? L’opportunité historique de la transgression est à mesurer. L’outing des femmes et des médecins pour l’avortement en 1972 a été à l’origine de la loi Veil, mais en d’autres temps il aurait pu conduire à des condamnations sévères. L’expulsion provoquée de MSF d’Ethiopie en 1985 est mise en avant par l’organisation mais elle a été catastrophique pour les populations concernées.

Il ne nous appartient pas de faire de l’agit-prop, mais de soutenir dans le domaine que nous connaissons bien, les mouvements qui défendent le droit aux soins, à une meilleure santé, dans toutes ses composantes. En ce sens nous ne sommes pas neutres. L’échelon national est-il à ce point illégitime que nous parlons déjà de citoyens du monde ?

Joël LE CORRE (RM Niger), mai 2014

 

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