MdM face au dérèglement climatique

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Tribune écrite par Louise Bichet, Géraldine Brun, Elise Joisel, Guillaume Pegon, Carine Rolland et la délégation Auvergne Rhhône-Alpes

 

Cette tribune est une invitation à la discussion au sein de notre association, à l’ouverture du débat sur la responsabilité de Médecins du Monde vis-à-vis de l’urgence climatique et sur la façon dont nous pourrions organiser notre réponse à cet enjeu mondial.

Nous ne pouvons plus laisser ces questions en marge de nos priorités

Préoccupés par les informations que nous avons reçues lors des Universités d’Automne de l’Humanitaire en septembre 2019 sur l’urgence environnementale nous sommes revenus mobilisés et déterminés. Mobilisés pour transmettre ces informations cruciales de toutes les manières possibles et déterminés à ce que cette formidable association qui est la nôtre, puissant instrument d’action et d’engagement, se transforme en profondeur face à cet enjeu mondial.

Face au changement climatique et au risque d’effondrement, pouvoirs publics, chercheurs, associations et citoyens ont un rôle à jouer. L’urgence est planétaire et nécessite une solidarité entre les Nations.
En tant qu’acteur de la solidarité internationale et locale nous ne pouvons plus laisser ces questions en marge de notre action.
Médecins du Monde doit y faire face et elles doivent être dorénavant au cœur de notre association. L’urgence environnementale doit maintenant bousculer et transformer notre vision

Si les effets du chaos climatique sur la santé des populations sont déjà graves, les projections sont alarmantes

En quelques décennies, tous les signaux environnementaux sont passés au rouge : montées des océans, disparitions d’espèces vivantes, destruction des forêts, atteinte de niveaux de pollution dramatiques, pénuries d’eau potable, fontes accélérées des pôles et bien sûr réchauffement planétaire.

La communauté scientifique est unanime sur l’ampleur et l’accélération de la dégradation du vivant et réclame des mesures fortes permettant de diminuer drastiquement les émissions des gaz à effet de serre dans la décennie à venir.

Ce contexte de chaos climatique, dont l’activité humaine est la cause, a déjà des effets graves sur la santé et les projections sont alarmantes. Du nord au sud, tous les pays sont concernés. Ils doivent et devront encore davantage s’adapter pour protéger les populations, notamment les plus vulnérables qui seront les plus durement et durablement impactés.

On distingue différents types d’effets du changement climatique sur la santé :

– Malnutrition et sous-alimentation dues aux épisodes de sécheresse (diminution du rendement agricole) et aux augmentations très rapides des prix des produits alimentaires à la suite d’événements climatiques extrêmes ;
– Mortalité et morbidité liées aux événements extrêmes dont la fréquence et l’intensité augmentent partout dans le monde : vagues de chaleur, inondations, sécheresses, incendies, effondrement de montagnes… ;
– Mortalité et morbidité liées aux maladies infectieuses : infections d’origine vectorielle (expansion des moustiques vecteurs du paludisme, dengue, etc., fonte du permafrost arctique qui entraînera la régénération de bactéries actuellement enfouies), infections alimentaires et hydriques (diarrhées, gastro-entérites, choléra…), accès à l’eau contraint (pénurie en cas de sécheresse, contamination en cas d’inondations…) ;
– Stress post-traumatique lié aux événements extrêmes et aux phénomènes migratoires ; détresse psychique ou existentielle causée par les changements environnementaux passés ou à venir : stress, risque dépressif et suicidaire, addictions, solastalgie (concept forgé dans les années 2000 par le philosophe américain G. Albrecht à partir des mots solace, « réconfort » en anglais, désolation et nostalgie. Les termes éco-anxiété ou angoisse climatique sont également apparus depuis) .… 
– Pathologies respiratoires liées à la pollution atmosphérique (qui augmentent avec la température), augmentation de l’asthme et des allergies (renforcement des concentrations de CO2 et de pollens), expositions à des produits chimiques toxiques…
– Violences et stress hydrique dus aux conflits climatiques – en lien avec la pénurie d’eau et de nourriture ainsi qu’aux migrations : populations nomades au Sahel, éleveurs au Niger, corridors secs d’Amérique centrale (au Honduras par exemple).
– Migrants climatiques : effets du changement climatique sur la santé en raison des déplacements massifs de population (migrations liées aux inondations, sécheresse ; migrations vers les bidonvilles, etc.).

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Le changement climatique est la plus grande menace mondiale pour la santé publique au 21ème siècle (source : Rapport de 2018 publié par la revue britannique The Lancet) et son coût est mis en évidence notamment en termes d’urgences, d’épidémies, de décès.

Par ailleurs, ses effets ont et auront un impact plus fort sur les populations les plus vulnérables et concrétisent la notion d’injustice climatique :

– A l’étranger : habitants côtiers menacés par la montée des océans, habitants des pays à fort risque sismique, habitants de bidonvilles et de mégapoles, migrants, etc.

– En France : augmentation du risque de cancer chez les agriculteurs, vulnérabilité d’habitants proche des périphéries lors des pics de pollution aux particules fines ou encore isolement social des personnes âgées comme facteur aggravant lors des épisodes de canicules.

Les populations des pays en développement, notamment celles des petits états insulaires, des zones arides ou de haute montagne, et des zones côtières qui représentent 28 % de la population mondiale, sont considérées comme particulièrement vulnérables.

Le risque d’un effondrement systémique global se dessine à travers l’interconnexion des crises et d’un effet domino

Les rapports du GIEC et de l’ONU se succèdent, alertant sur l’accélération du changement climatique et sur la phase critique que connaît l’humanité, notamment au regard de l’épuisement des ressources naturelles nécessaires au développement industriel et technologique. Ces prises de conscience et ces alertes doublées d’une analyse sur le système mondial actuel viennent renforcer l’idée d’un effondrement systémique global.

Le déclin des énergies, dans un monde pourtant toujours plus globalisé et plus gourmand en ressources entraînera alors très probablement des ruptures d’approvisionnement et ainsi menacer la survie de notre espèce.

« Le concept d’effondrement est un enchaînement de catastrophes qu’on ne peut plus arrêter et qui a des conséquences irréversibles sur la société (…), déclenchées par un krach boursier, une catastrophe naturelle ou l’effondrement de la biodiversité… » Pablo Servigne.

L’effondrement survient, entre autres, du fait du niveau d’interdépendance des Etats et des populations et de la complexité d’organisation des sociétés telles que nous les connaissons. C’est l’interconnexion des crises attendues qui entraîne alors un effet domino.

Le déclin des énergies fossiles ajouté au changement climatique et ses conséquences fait donc peser le risque de crises systémiques profondes d’ordre social, économique et politique.
Or, les conséquences sur la santé des populations induites par le changement climatique et le risque d’effondrement vont bien au-delà de la santé physique et psychique des individus. Elles touchent la santé telle que Médecins du Monde la conçoit c’est-à-dire dans une perspective de bien être global. Ces catastrophes majeures annoncées mettent en péril les conditions indispensables à cet état de bien être telles que la paix, l’état de droit, la circulation d’une information fiable et de qualité et plus globalement de ce qui fait société.

Il est urgent que l’ensemble de nos choix stratégiques tiennent compte des enjeux environnementaux en France et à l’international

Il nous semble que le changement climatique et l’ensemble des enjeux environnementaux doivent bouleverser les priorités et les modes opératoires de Médecins du Monde.
Il ne devrait pas s’agir d’un axe d’intervention spécifique ou d’une thématique prioritaire au sens du Plan Stratégique mais bien d’un enjeu global que MdM intégrerait dans toutes ses dimensions, un nouveau paradigme.

C’est l’ensemble des choix stratégiques de Médecins du Monde qui doit désormais prendre en compte les questions environnementales. En effet, les opérations mais aussi les services d’appui et les directions sont concernés par la ou les crises environnementales à venir. Il s’agit donc pour l’association de faire des choix stratégiques pour se préparer aux différents scénarios de crises climatiques et de pénuries de ressources.
Afin que ces enjeux soient effectivement centraux et deviennent le prisme majeur de nos réflexions et interventions, il est bien sûr primordial qu’en premier lieu l’ensemble des membres de la communauté Médecins du Monde soit au fait de ces enjeux et en particulier les décideurs afin qu’ils soient en mesure de faire des choix adaptés.

La transformation qui doit s’opérer concerne le renforcement de certaines de nos pratiques actuelles mais aussi le développement de nouvelles pratiques ou modalités d’intervention.
Cela doit également concerner les décisions concernant nos modes d’organisation interne tels que la régionalisation ou la déconcentration, les décisions sur les modalités de collecte de données ou encore sur les stratégies opérationnelles en France et à l’international.

Renforcer nos savoir-faire en matière d’intervention autour des communautés, des acteurs locaux et des sociétés civiles locales ici et là-bas
Nos valeurs fondamentales et nos stratégies d’interventions sont en phase avec les enjeux soulevés par le changement climatique et le risque d’effondrement. Ces principes que nous défendons et mettons en œuvre tels que les coalitions de causes communes et la localisation de l’aide, le renforcement des capacités et des pouvoirs d’agir ou la santé communautaire sont de véritables atouts.
En effet, ces objectifs immatériels, qui placent l’humain au centre des décisions qui le concernent, qui visent à développer les compétences individuelles et collectives sont de vraies pistes pour préparer un monde post effondrement, en France comme à l’international.
Ces savoir-faire seront au cœur de la réponse du secteur, à l’international comme en France, potentiellement dépourvu de tout autre moyen d’action.
Il s’agit de continuer à développer ces savoir-faire et mettre en valeur ces éléments distinctifs.

Augmenter le niveau d’expertise et la visibilité de MdM France avec l’appui du groupe thématique et des projets Santé Environnement
La thématique Santé Environnement est une des thématiques prioritaires de Médecins du Monde France. Bien qu’elle ne se considère pas comme une réponse au dérèglement climatique dans son ensemble elle s’adresse aux environnements toxiques dans lesquels les populations les plus vulnérables sont contraintes de vivre. Cette thématique est une réponse opérationnelle importante apportée par notre association à la dégradation des environnements humains. Elle devrait être renforcée et représente un enjeu interne fort. En effet, elle peut permettre de nourrir les éléments de plaidoyer spécifiques aux projets mais aussi collecter des données plus largement sur les questions de santé et d’environnement (collecte de données ciblées, recensement de témoignages et expériences, mapping), augmenter le niveau d’expertise de MdM France sur ces problématiques et sa visibilité en tant qu’acteur sur le sujet.

Prendre davantage en compte les enjeux et les risques environnementaux, voire les risques d’effondrement dans nos stratégies d’interventions sur tous les continents 
En juillet 2019, dans le cadre du travail sur la « trajectoire opérationnelle » des opérations internationales le conseil d’administration a d’ailleurs priorisé le sujet du changement climatique comme sujet transverse à mettre au travail
Nous pourrions notamment participer à renforcer la résilience des communautés en développant les capacités au niveau local en constituant des stocks, « matériels » et « immatériels » sous forme de compétences et savoir-faire, viser un renforcement des systèmes de santé locaux ou encore combiner une préparation aux urgences et des approches de réduction des risques de catastrophes et ainsi participer à la construction d’un monde post thermo-industriel.

Développer un plaidoyer fort et en alliance avec les mouvements existants et les autres MdM
Il semble nécessaire en premier lieu de gagner en compétences globales internes sur le sujet, de construire une expertise et une légitimité pour être présent, identifié et reconnu comme une référence sur la question. Dans un second temps, nous pourrions également nous positionner davantage publiquement sur les questions environnementales, à travers le prisme de la santé globale.
Mais il s’agira aussi de dénoncer les causes des bouleversements climatiques, de se positionner politiquement sur ces causes et sur les réponses possibles afin de contribuer à limiter les effets du changement climatique sur la santé. En tant qu’ONG médicale, nous avons un impact fort grâce à la parole des soignants ainsi qu’à travers le relais des analyses scientifiques existantes.

Le réseau des 16 Médecins du Monde a déjà qualifié ces questions de prioritaires pour 2020 et 2021. C’est une belle opportunité de travailler très tôt avec le réseau sur ce sujet, de nourrir le réseau de nos réflexions mais de profiter également des connaissances et contacts des autres MdM ainsi que de la caisse de résonance que représente le réseau. Il est peut-être même possible, grâce au dynamisme du réseau sur ce sujet, de construire un positionnement commun des membres du réseau qui serait ensuite à décliner dans les différents MdM.
En parallèle, il est essentiel de s’inscrire dans les mouvements existants au sein des ONG françaises et internationales qui permettent le partage d’informations, d’outils et de savoir-faire et qui sont un vivier d’expertises. Il n’est en revanche pas nécessaire de devenir spécialistes du changement climatique et ce n’est pas notre ambition pour MdM. En revanche, c’est un sujet prioritaire impactant la santé et la justice sociale sur lequel les ONG médicales ont un rôle à jouer et les coalitions actuelles ne sont pas toujours à même de communiquer sur les enjeux spécifiques de santé.

Enfin, le développement d’un positionnement interne, d’un plaidoyer fort et plus largement d’une identité Médecins du Monde sur ce sujet est également propice à générer des opportunités de financements spécifiques auxquelles nous n’avons pas accès actuellement.

Transformer MdM en une association éco-responsable
L’éco-responsabilité vise à réduire les impacts sur l’environnement liés à nos activités et notre organisation, voire à intégrer des mesures de protection de l’environnement. Pour Médecins du Monde il s’agit donc de réduire notre empreinte écologique sans nuire à notre mission sociale. Cette démarche implique une révision de nos modalités d’action notamment au travers de politiques de transport, de communication ou de logistique, adaptées à cet enjeu. Cela concerne l’ensemble des acteurs de Médecins du Monde et ces politiques devraient être contraignantes pour être efficaces.
L’éco-responsabilité est une demande des équipes envers l’association et un groupe pluridisciplinaire de personnes volontaires s’est formé lors des JDM 2019 ; elle répond par ailleurs à une demande de plus en plus forte des bailleurs. Une politique plus globale portée par le siège doit harmoniser, répliquer et diffuser les initiatives qui ont déjà émergé sur les terrains.

Dans la continuité des demandes formulées par les équipes au sujet de l’engagement de MdM sur l’environnement lors des JDM 2019, il nous semblerait opportun que le forum de l’Assemblée Générale de 2020 porte sur l’urgence climatique afin que les membres de la communauté de Médecins du Monde puissent bénéficier d’un espace d’échanges et de débats et montrer qu’après 40 ans de combats, Médecins du Monde est toujours autant en prise avec les enjeux de santé publique de son époque.

 

Médecins du Monde doit faire face aux enjeux environnementaux et aux risques majeurs qu’ils représentent pour les populations et leur santé. Cette question devrait désormais devenir centrale pour l’association, être au cœur de nos décisions et interventions afin que notre impact présent et futur soit réel. L’histoire, l’identité et le mandat de l’association donnent à Médecins du Monde un grand nombre d’atouts pour organiser la transformation nécessaire et répondre à cet enjeu majeur.

 

2 Commentaires

  1. Tout à fait d’accord avec cet article et sa conclusion ! Bravo !
    Un petit exemple de comportement à éviter : faire venir des staffs MdM de plusieurs pays, en avion, pour une réunion d’une journée à Paris (clôture CP AFD)…
    Et 100% d’accord avec la proposition de forum sur l’urgence climatique

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