L’éthique comme fil rouge

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La guerre ou la chevauchée de la discorde (1844) – Henri Rousseau dit Le Douanier Rousseau

Texte de Jean-Michel Vermande présenté lors de la table ronde Quelles réponses possibles de Médecins du Monde face aux problématiques de santé mentale et de souffrance psychosociale des personnes migrantes/exilées en France ?, aux Journées des Missions France (JMF) à Anglet.

Je me souviens d’une fin de matinée difficile… Je me souviens de m’être senti « perdu », il y a quelques mois, après mes consultations : mes repères de « vieux clinicien » ne fonctionnaient plus, l’aiguille de la boussole s’affolait… Et pour me réconforter j’apprenais, ce même jour, le résultat négatif d’un recours pour une famille accompagnée depuis de nombreux mois et le renvoie en Italie d’une toute jeune fille passée par la Libye. Donner du théralène, des anxiolytiques et autres antidépresseurs pour pallier aux carences de l’accueil de l’Etat français me devenait brusquement insupportable : ce que je ressentais, bien difficile à définir, côtoyait la perception confuse d’être manipulé et la conscience d’une éclipse du sens, du dérisoire. 

Moment fertile pour ma gouverne car il m’a obligé à essayer de ré-élaborer mon assise symbolique pour mieux me confronter aux difficultés inhérentes à la rencontre avec des êtres en souffrance venant d’un ailleurs, nouées aux carences agressives d’un pays d’accueil dont je suis citoyen. Partager ces réflexions, qui n’ont de valeurs que par leur subjectivité, fait aussi parti de cette quête de sens.

Plus que tout autre pratique psychiatrique, cette activité de soignant auprès de migrants interroge le praticien par la pluralité des causalités en jeu, dans la complexité du lien entre le psychisme, le social, le culturel et la politique. Pour ne pas se perdre à ce carrefour de la fonction soignante et de la citoyenneté, il nous faut un fil rouge. 

L’éthique va être ce fil rouge.

Non pas une éthique surplombant une pratique pour juger si ladite pratique est conforme aux valeurs, mais une éthique d’où procède, en ligne directe comme on dit d’une filiation, la pratique. Une éthique racine de la pratique du soin et qui doit rester le guide et le garant du « prendre soin » de l’autre.

Dire : « qui doit », cela nous entraîne vers le mot déontologie, signifiant « ce qu’il convient de faire ». En suivant le dictionnaire Robert, on note qu’en grec deon vient du radical sanskrit signifiant « lien », « lien moral » : belle condensation de ce que l’on va essayer de dire si l’on accepte pour évidence qu’un des fondements de notre pratique, du « prendre soin », est la création de liens. De liens non pas issus d’une obligation mais d’un désir qui s’enracine dans le don de sens de l’éthique, lequel donne toute sa solidité à la conviction de l’engagement.

On va suivre ce fil rouge à travers trois paragraphes, trois espace-temps liés entre eux par une logique, dans une tentative de trouver une cohérence à l’action, cohérence supportée par le fil rouge du sens, en toute subjectivité. Subjectivité qui n’implique pas un pur relatif mais qui aurait quelques prétentions du coté de certaine maxime.

D’abord l’origine de mon éthique, des valeurs sur lesquelles je m’appuie. Puis l’éthique en acte intensive, c’est-à-dire s’adressant au sujet souffrant. Enfin l’éthique en acte extensive confrontée au monde politique et à la cité.

Trois paragraphes, et dans chacun un aller-retour entre le pluriel et le singulier, le « social » et l’« individuel ».

Le premier espace-temps est celui du fondement de l’éthique.

L’espace est celui de Médecins du Monde, le monde des humains, l’espace de l’ensemble humain.

La temporalité est celle de l’après-guerre, après la Shoah : 1948.

Le fondement de l’éthique dont il s’agit ici est la Déclaration Universelle des Droits de L’Homme du 10 décembre 1948. Il n’est jamais inutile de le rappeler. Article premier : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »

On souligne le mot Fraternité, on le garde en réserve pour le paragraphe suivant : c’est la racine.

Le deuxième espace-temps est celui de l’éthique en acte intensive, du soin.

L’espace est celui des « psy » au centre d’accueil, de soins et d’orientation (CASO), un bureau dont la porte ne cesse de s’ouvrir pour tisser des liens avec d’autres espaces du prendre soin, celui des médecins généralistes, des accueillants, du service social, et plus loin mais non moins important celui de l’apprentissage du français. C’est un espace d’équipe, le soin psy est un sous-espace du « prendre soin » de l’autre. L’ensemble de l’espace est un espace portes ouvertes (fermées quand la confidentialité ou l’intime le rend nécessaire), un espace de liens, duels et pluriels.

La temporalité est celle de l’équipe du CASO, avec les limites temporelles de l’engagement bénévole. C’est celle du psychiatre et de son histoire singulière ; et surtout celle de la personne en souffrance dans l’articulation problématique entre son passé violent, son présent précaire, et son avenir incertain.

Dans le meilleur des cas, il y aura rencontre entre deux sujets. Rencontre, mot banalisé, galvaudé mais essentiel qui pourra permettre qu’émerge un espace métaphorique de statut transitionnel, marqué par l’aléatoire de la durée.

Cet aléatoire est à souligner : plus que dans d’autres domaines en santé mentale, la durée du soin est soumise à des aléas non maîtrisables : précarité, Asile, Dublin…

Du côté du psychiatre ou du psychologue, quelles sont les racines de ce qu’il convient de « faire » ou d’« être » pour qu’il y ait rencontre ? Quels sont les fondements éthiques de son acte ?

Je vais chercher dans le premier paragraphe le mot Fraternité. Et je me souviens : « hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère… ». Qui dit fraternité ou sororité dit identité (même famille, même humanité) et en même temps différence. Semblables – issus du même – et en même temps différents, c’est-à-dire reconnus l’un par l’autre comme singuliers.

La reconnaissance de la singularité de l’autre est essentielle pour l’extraire de la masse du quantitatif anonyme : les migrants, les réfugiés, les précaires… Elle est au cœur d’une rencontre créatrice de liens, enracinée dans l’éthique de l’universel, elle doit être, me semble-t-il, le socle de la pratique. Dans un deuxième temps pourront éventuellement s’inscrire les « techniques », celles du psychanalyste, du comportementaliste, du neurophysiologiste, ou de Mathieu Ricard et la méditation…

Dans l’espace du bureau, comment se signifie la singularité de l’autre ?

Il y aurait beaucoup à dire sur cet autre espace-temps : espace miroir du visage et temporalité du récit. Le visage comme identité expressive corporelle au-delà du langage des mots, donné à voir au soignant ; le récit comme « identité narrative » portant l’histoire singulière du sujet, donné à écouter à celui qui voudrait entendre. Car c’est l’écoute qui va permettre l’émergence constructive du récit. A quelles conditions ?

On ne peut rien dire de l’ineffable qui préside à chaque rencontre, si ce n’est : « parce que c’était lui, parce que c’était moi »… Mais, plus prosaïquement, et à cause de l’écart entre les conditions de vie du soignant et celles de la personne en souffrance, je voudrais souligner la nécessité d’une réciprocité. Asymétrique, bien-sûr, mais bien réelle, dans l’estime et le respect partagés. Et dans l’acceptation de ce que nous donne l’autre, le plus souvent, peut-être, à son insu.

Je laisse tous ces « beaux » principes pour témoigner de ce que m’a donné, malgré lui, un homme en grande souffrance.

Il pénètre dans le bureau tout voûté portant sur ses épaules toute la détresse du monde. Il s’exprime en bégayant avec une forme de politesse qui n’est pas obséquiosité mais plutôt appel d’aide infantile. Il vient d’un pays d’Afrique subsaharienne, comme on dit. Il manque des rendez-vous, revient, parle de son histoire : son père et sa mère ont été tués, il vivait chez eux, il n’y avait pas d’autres enfants, son père était chef du village. A la cinquième rencontre je lui demande comment ses parents sont morts : « Monsieur le docteur, un soir je rentrais chez moi, il y avait beaucoup de gens du village dans la maison, j’ai vu mon papa, il était coupé, et ma maman, elle était coupée aussi et sa tête, elle était à côté ».

Massacrés à la machette, décapités.

Il serait indécent – mais pas tout à fait faux – de dire que ce que j’ai entendu a produit en moi un impact du registre du trauma. Bien-sûr comme nous tous, j’avais une « connaissance » intellectuelle de ces réalités. Mais c’est autre chose de les entendre de la bouche de quelqu’un qui les a vécues et avec qui des liens complexes ce sont tissés… Ce que m’a donné cet homme, à son insu, c’est de m’ouvrir un peu plus aux réalités du monde, à une des faces noires de l’universel : je me suis mis à lire les textes concernant le génocide du Rwanda. J’en tire quelques enseignements dont je fais part ici car en lien avec notre sujet : les génocides, si on ne les frappe pas du sceau du déni, sont des verres grossissants pour lire ce qui peut se tisser de façon insidieuse dans notre société.

Pour qu’un génocide se déclenche, des conditions historiques, politiques et sociologiques sont nécessaires, qui font le lit d’interventions actives de leaders, notamment intellectuels, et des médias ; lesquelles préparent les massacres en propageant, avec humour au besoin, un discours de dévalorisation radicale de l’autre. Rat, vermine, cafard… inyenzi… L’autre est ainsi enfermé dans cette identité de déchéance qui peut être le début d’un processus redoutable, a savoir : désignation-identification, assignation, puis exclusion, enfin persécution (éradication de la vermine).

Pour cela une inversion du sens de l’éthique s’impose : le Bien devient le Mal, ce qu’il est bien de faire, c’est détruire l’autre.

Allant de pair, il y a disparition de la singularité de l’éthique de chacun au bénéfice de l’adhésion à une éthique commune dans l’allégeance à celle d’un discours-maître incarné par un ou des leaders. L’éthique devient une éthique de masse. D’où il s’en suit que : éthique de masse + éthique du meurtre = jouissance suprême de l’orgie du meurtre de masse. Il y a gommage de la singularité des victimes, gommage de la singularité des criminels, gommage du nom propre des morts enfouis dans les fosses communes.

Si, comme le dit une survivante, « des enseignants, des médecins et des prêtres » ont été tués, il s’avère que des enseignants, des médecins et des prêtres ont également massacré. On peut donc soutenir l’hypothèse selon laquelle tout être humain recèle en lui deux pulsions : pulsion de vie et pulsion de mort. Et qu’en certaines circonstances, tout un chacun pourrait se laisser aller à la jouissance de la destructivité, ne serait-ce qu’à minima. A l’encontre des plus démunis par exemple, car sans risque de rétorsion ; démunis déjà dévalorisés par le quantitatif générique : les migrants.

Enfin je voudrais souligner un affect central qui signe l’inversion de l’éthique : la honte et son devenir.

 

En usant d’une métaphore, on dira que la honte quitte le psychisme des massacreurs, qu’elle plane alors au-dessus du charnier comme le personnage qui chevauche en surplomb le carnage de la guerre dans le tableau du douanier Rousseau, et qu’elle retombe sur les victimes transformées en objet de jouissance mortifère. Destruction radicale de la dignité de l’être humain. 

Quittons de nouveau ces espaces pour retrouver la singularité d’une personne qui me parle de sa honte dans le bureau du CASO. Elle pourrait s’appeler Angèle, elle arrive d’un pays d’Afrique qu’elle a fui par avion avec l’aide de sa famille ; elle apprend le français en 6 mois, et elle exprime une souffrance d’où émergent deux sentiments, la culpabilité et la honte, bien distincts.

La honte est causée par le fait d’avoir été traitée comme objet sexuel avec sadisme, soumis aux désirs pervers de son compagnon et de ne pas avoir été capable de s’y opposer.

La culpabilité est liée à la responsabilité qu’elle s’impute dans le meurtre d’une amie par ce même homme et par la crainte qu’il se venge de son départ sur ses parents. Elle a peur que cet homme la retrouve à Bordeaux où elle a la chance d’avoir rencontré un compagnon respectueux de son état. Elle ne manque pas les rendez-vous que je lui propose. Elle chemine.

Que me donne- t-elle ? Le sentiment que je sers à quelque chose, et ce n’est pas dérisoire !

Elle me dit un jour qu’elle me permet de parler d’elle avec « son » assistante sociale qui doit me téléphoner ; je me dis que, peut-être, elle souhaite que des liens se tissent entre ceux qui prennent soin d’elle… comme dans son passé familial et amical. Mais il y a autre chose. L’assistante sociale qui effectivement m’appelle me demande si je sais qu’elle à une couverture médicale et si, en conséquence, je vais continuer à la recevoir. La réalité sociale va t’elle interrompre le travail thérapeutique ? Ici la réponse – évidente – ne dépend que du thérapeute.

On sait qu’il n’en est pas toujours ainsi. On sait que « chez nous », la violence qui induit des symptômes et interrompt le soin a nom Dublin, refus de l’asile, refus d’assistance aux besoins élémentaires. Hébergement sordide, atteinte à la dignité de l’humain…

Si j’ai fait appel – à la lecture d’un génocide – au concept de pulsion de mort, en tant que tendance humaine à la destructivité de l’autre, c’est pour bien souligner combien, dans le champ du soin aux migrants, violence et réalité sont étroitement imbriqués. Nous le savons tous, il y a violence à l’origine de leur départ, violence dans leur parcours, violence sur notre sol.

La violence dont il s’agit – de guerre, politique ou économique – est toujours violence de l’autre. Leur réalité, c’est la violence de l’autre.

Je voudrais en conséquence souligner cette évidence : les symptômes psychiques des migrants sont le résultat d’une violence commise par l’autre. C’est ce qui les caractérise.

De ce fait je me refuse à faire entrer les signes des effets psychiques de cette violence dans le domaine de la maladie mentale. Ils sont une manifestation normale – non pathologique – résultante de la mise en acte d’une tendance inhérente à la constitution psychique de l’humain, et dont la libération est permise par certains effondrements des facteurs de cohésion sociale (pour le dire rapidement). Il s’agit, bien-sûr, d’une position de principe.

Je parlerai donc de souffrance psychique, existentielle, laquelle devra être référée à la singularité de chacun émergeant et se reconstruisant dans l’adresse au soignant qui écoute. Qui écoute en se situant dans le « prendre soin » de l’autre, du côté de l’existentiel, du parental, de l’amical, du Fraternel… Avant toute technicité, tout savoir. Qui écoute pour qu’au-delà de la stéréotypie des violences subies puisse émerger la singularité d’une histoire qui permet que l’on sorte d’une quantification d’objets humain, et que l’on s’adresse à un sujet.

Je voudrais, dans la logique de ces convictions, évoquer le thème de la manipulation cité au début de mon propos. Qui manipule qui ?

Ce patient qui vient du Nigéria me raconte son parcours. Il s’interrompt brusquement, fixe un point du mur, reste mutique, moi aussi. Puis je lui demande ce qu’il voit : il voit son père mort et qui lui parle… « Diagnostic différentiel », hypothèse : manipulation du psy en vue d’une régularisation pour soins en présentant le tableau clinique que lui a vendu le passeur… On peut être agacé, on peut se mettre à sa place ou on peut penser à Winnicott et le handling, manipulation positive de l’instance maternelle.

Ce président de la République insiste pour bien distinguer réfugiés politiques (convention de Genève) et réfugiés économique. Hypothèse : manipulation politique en vue de justifier le rejet des migrants, d’un mensonge au sommet de l’Etat aux fins politiciennes.

Ce psychiatre du CASO va participer à la constitution d’un dossier de régulation pour soins : il est aussi le praticien traitant, donc il est neutre ! En bon clinicien, il aura démasqué le Nigérian trompeur qui n’aura pas accès à la régularisation. Le patient dont il soutient le dossier à une « vraie » symptomatologie post-traumatique. Car le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM) dit le vrai du vrai, c’est international, et peu importe qu’ait été montré la soumission de la classification entre autres aux mouvements culturels de la psychiatrie américaine. Nous avons là un savoir assuré qui fait repasser la personne dans le quantitatif : tous PTSD (trouble de stress post-traumatique)… Et après ? Hypothèse : du bon usage de la psychiatrie par l’Etat ; le psychiatre est le tamis qui permet d’accueillir au compte-goutte, les quotas (le quantitatif) étant déterminés à l’avance, bien cachés dans le non-dit.

Cet univers social du mensonge qui produit différents niveaux de suspicion repose la question éthique, à laisser ici aux soins du sociologue-philosophe.

Quant au psychiatre, dans ce contexte, pour ce qui est de son idéal de soignant, la plus grande humilité me paraît souhaitable. Ecouter la plainte de la souffrance psychique, la soulager comme on peut, en tâtonnant et, au-delà du diagnostic, la resituer dans la singularité de l’histoire du sujet en prenant le temps nécessaire, à travers les aléas de l’« hospitalité », pour y voir plus clair quant à la suite à proposer. On orientera parfois vers des « techniques » de soin plus spécialisées, et on proposera toujours ce qui permet de mieux inscrire socialement la personne, et avant tout, l’apprentissage de la langue française. Les séances bihebdomadaires du français langue étrangère au CASO, qui conjoignent relations de groupe, travail individuel et collectif, acquisitions et échanges, partage avec les enseignants et les autres élèves, constituent l’espace-temps qui conjoint le mieux la fonction accueil au sens social et au sens du soin (contenant) en incitant la personne à faire appel à ses ressources en position active.

Social et soin tissés serrés en réponse aux causalités de la souffrance, le médecin dirait à son étiologie. On le sait, on le répète, non seulement il y a violence aux origines de la migration, et pendant le parcours, mais il y a aussi violence sur la terre d’accueil. Et celle-ci nous pose une question singulière car le responsable est « notre » Etat.

Notre Etat est persécuteur de la personne dans son physique, son psychisme, sa dignité.

L’Etat est responsable ; je suis en démocratie ; cet Etat est « mon » Etat ; donc ma responsabilité de citoyen est engagée dans les actes de cet Etat. Je ne sais ce que penserait un juriste de cette logique ? Ou de celle-ci : qui ne dit mot consent !

Ma conviction est qu’en tant que psychiatre, je suis sensé soulager des maux dont je suis, d’une façon ou d’une autre partie prenante de leur causalité en tant que citoyen. Je soigne des maux dont je nourris passivement l’étiologie.

On va donc traverser l’espace du soin pour aboutir à celui de la citoyenneté : le psychiatre – sauf à revendiquer une identité de schizophrène – est aussi citoyen.

Eviter le clivage entre ces deux identités nous amène au troisième paragraphe, au troisième espace-temps.

Si « l’universel c’est le local moins les murs » comme le disait notre confrère portugais, le local c’est les murs contre l’universel.

L’espace de ce « local » est celui du bureau des politiques, et de la rue.

La temporalité est celle de la vie électorale et des mouvements idéologiques de la société.

Les valeurs issues de la Déclaration Universelle sont ici Fraternité et Dignité.

Le psychiatre, en tant que praticien et citoyen, s’il a la prétention d’incarner « conscience et raison », doit s’engager face à l’Etat. Car l’Etat ne remplit pas ses devoirs de satisfaction des besoins primaires des personnes sensées être accueillies et par là non seulement il porte atteinte à leur santé physique et mentale, mais aussi il les blesse dans leur dignité. Et en appliquant le règlement Dublin il cautionne la faillite du sens et il érige l’absurde en principe d’action : il y a perversion de l’éthique. Ne cessons pas de le dire, comme une antienne.

Morale et politique peuvent-elles aller de pair ? Face au pouvoir souverain de l’Etat, que peuvent les rappels naïfs des principes universels ? Quel poids une utopie cosmopolitique face au nationalisme, les deux ne disant pas leur nom ?

Revenons sur terre : pour affronter les pouvoirs issus de la politique – du national au municipal – la morale a besoin du Droit, le troisième terme indispensable.

Alors le psychiatre – qui se sent ridicule à endosser ainsi l’habit de père la morale – cède sa place avec soulagement au juriste, tout en restant à l’arrière garde.

Mais d’avoir été trop longtemps dans l’obligation de la fermer l’amène à reculer encore un peu le moment de se taire…

Une éthique n’existe que si elle est rendue vivante par sa mise en actes : dans la relation duelle avec la personne souffrante, dans le partage du soin avec ses pairs, dans les réflexions sur la pratique, dans la démocratie locale collège-salariés-bénévoles, dans le lien étroit réflexif et stratégique avec le siège pour le militantisme dans la cité.

Avant la haute technicité scientifique comportementaliste et neurocérébraliste, il y avait la psychothérapie institutionnelle : c’est l’ensemble de l’institution, dans sa recherche de sens et de cohérence qui était soignante… Et allant de pair avec cette éthique au service de l’autre, certains tenants de ce mouvement revendiquaient une action sur le politique, une action lente et en profondeur dans la cité.

C’est parfois dans les vieux pots qu’on fait les bonnes soupes, au goût d’utopie.

Et on peut toujours cuisiner quand on a de « beaux restes ».

 

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