Les « injoignables »

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Bénévole infirmier au sein de la délégation MDM Rhône-Alpes Auvergne, Louis Cormerais a participé à une enquête auprès des agriculteurs – exploitants dans les Combrailles de février à avril 2015. Une mission riche d’échanges, de rencontres – « certaines plus attachantes que d’autres, mais toutes sympathiques ».

 

 

Le protocole prévoyait un contact téléphonique avec des exploitants tirés au sort, pour fixer un rendez-vous et réaliser l’enquête à domicile. Les personnes non joignables ont fait l’objet d’une démarche particulière en trois temps. Tout d’abord, une vérification au domicile des coordonnées à partir de l’adresse connue ; puis une présentation de l’enquête et une sollicitation de vive voix ; et enfin, la réalisation de l’enquête, immédiatement ou différée selon la disponibilité des personnes.

 

Bénévole impliqué dans la réalisation de l’enquête, j’ai accepté la mission de recherche des « injoignables ». C’est l’objet de ce texte qui veut décrire les grandes lignes de la réalisation et présenter un exemple type de contact.

 

La préparation des visites s’est avérée cruciale pour organiser les déplacements et repérer géographiquement les adresses. L’informatique et l’annuaire sont deux outils qui ont grandement facilité les recherches. Par ailleurs, ces informations, complétées par celles notées sur le terrain, ont été transmises aux enquêteurs pour faciliter leurs déplacements.

 

 

Pourquoi sont-ils « injoignables » ? 

Plusieurs causes l’expliquent. En effet, les exploitants disposent le plus souvent d’un téléphone portable, or les données administratives fournissent les numéros des lignes fixes. La présence au domicile d’un exploitant se limite à tôt le matin (avant 8hOO), « en coup de vent » pour déjeuner (vers 13hO0) et tard le soir (après 20h00). Des horaires où un enquêteur hésite à appeler. Les conjoints soit travaillent sur l’exploitation selon des horaires proches du chef d’exploitation soit travaillent à l’extérieur, dans les deux cas les joindre tient du hasard. De plus, les coordonnées dont nous disposions étaient celles des exploitations mais plusieurs exploitants n’habitent pas sur leur lieu de travail et, les numéros de téléphone fixe peuvent changer, ce qui est aussi une cause de non réponse. Enfin, quelques exploitants disent avoir reçu un message sur leur boîte vocale, mais de là à prendre le temps de donner suite… « Bof ! rappelleront bien. »

 

 

Trois mots d’ordre pour un entretien réussi

  • S’adapter à la disponibilité de l’exploitant : nous ne sommes pas attendu, nous avons besoin de leur adhésion
  • Ecouter l’essentiel du temps : souvent les personnes ont beaucoup de choses à nous dire, principalement qu’ « être agriculteur, c’est difficile »
  • Reformuler le message, les questions : pour bien être compris et instaurer la confiance.

 

 

Depuis 2013, MdM est présent dans les Combrailles et s’est fixé comme objectif d’améliorer l’accès aux soins des publics vivant en milieu rural en favorisant le maillage et l’articulation indispensable entre les acteurs de la santé et du social. Le Rescorda (réseau de santé et de coordination d’appui) mis en place par Médecins du Monde est une action mobile présente dans les communautés de communes de Menat, Pionsat, Saint-Eloy-les-Mines, Saint-Gervais-d’Auvergne et Manzat. L’équipe du Rescorda propose une écoute privilégiée, une évaluation des besoins, une information sur les droits de santé, un accompagnement dans les démarches liées aux soins, des conseils santé et une orientation et un accompagnement vers les professionnels en fonction des besoins. Des journées d’information sur la prévention et le dépistage sont également organisées deux fois par an dans les Combrailles.

Département du Puy de Dôme Zone enquête

En 2015, Médecins du Monde, en collaboration avec le Syndicat mixte pour l’aménagement et de développement des Combrailles (SMADC) et l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, a mené une étude auprès de 112 agriculteurs vivant dans les Combrailles afin d’aller vers les agriculteurs, d’échanger avec eux, de mieux connaître leurs conditions de vie, de travail et de santé et d’évaluer les difficultés d’accès aux soins rencontrées. Parallèlement, une enquête qualitative a été menée auprès de 16 agriculteurs pour approfondir les thèmes.

 

 

 

Les résultats de la démarche 

Nous avons parcouru plus de 1000 km sur les routes et parfois les chemins des Combrailles, afin de rencontrer 80 personnes, dont 30% de femmes.  100% des coordonnées ont été vérifiées,  98% « des injoignables » rencontrés et 95% des contacts ont débouchés sur une participation à l’enquête, dont 5 le jour du contact, un seul refus (pas de temps à consacrer à « ça »).

 

 


Une rencontre
 

 

11h30, j’entre dans le village recherché. Quelques maisons manifestement inoccupées, à la sortie un peu en retrait de la route j’aperçois devant une maison un homme qui transporte des bûches dans une brouette. Je stationne ma voiture en bordure de route et m’avance vers le personnage au travail. Un chien freine ma progression, le maître des lieux appelle son toutou, je peux m’approcher et lui parler…

 

« Bonjour Monsieur, je cherche Mr A » 

« C’est moi. Que me voulez-vous ? »

 

Je me présente, explique le motif de ma venue, remets deux documents identifiés Médecins du Monde et m’inquiète de savoir s’il a reçu un courrier…

« Oui je l’ai reçu il y a quelques temps… »

 

 Je l’informe que nous avons essayé de le joindre par téléphone…

« Oh mais je réponds pas toujours, et puis j’suis pas toujours là… »

 

Le dialogue s’instaure, je reformule la raison de ma venue et explicite un peu l’enquête. J’écoute les doléances qui me fournissent des arguments pour proposer la participation à l’enquête et réponds aux questions. La conversation est lancée, je lui demande s’il accepterait de participer à l’enquête pour nous aider à comprendre.

« Oui, mais je ne vois pas bien ce que je vais pouvoir vous dire…et puis je n’ai pas fait d’études… »

Il est déjà plus de midi, nous convenons que je revienne l’après-midi pour les questionnaires. Je dois modifier mon programme, mais cet entretien ne pouvait être remis à plus tard. J’observe au fond de la cour et sur le côté d’immenses corps de bâtiments d’apparence vétuste.

 

les Combrailles

 

14h00, je suis de retour et invité à entrer dans la maison. Nous pénétrons dans la maison par un couloir sombre et très encombré : bottes en caoutchouc, sabots, outils de jardin et bien d’autres choses. Nous bifurquons à gauche dans une pièce assez grande et plutôt sombre. Au centre, un poêle à bois et un tas de bûches, c’est un indescriptible bazar, mobilier vétuste, fauteuil défoncé, le sol doit être en terre battue. A gauche, devant une petite fenêtre se trouve une grande table où sont entassées des revues, du courrier, seul un coin de table est accessible. Nous nous installons. J’aperçois la lettre de Médecins du Monde.

« C’est pas bien rangé chez moi… j’ai pas de femme… et moi je range pas bien… »

 

15h45, l’enquête est terminée, Mr A me propose un verre.

« De la grenadine, je n’ai que ça… Je bois rarement du vin, je tiens à garder mon permis, sinon je serais en prison ici… »

 

La conversation continue jusqu’à 16h00, avec son lot de confidences. Il doit aller à Riom en soirée avec sa voiture…

« C’est entendu, l’assistante sociale vous appellera aux heures que vous m’avez données pour prendre rendez-vous. Elle saura comment vous aider au mieux… »

 

Le temps a passé très vite et beaucoup de choses m’ont été dites depuis le début d’après-midi.

Mr A, 72 ans, célibataire, a toujours vécu sur l’exploitation familiale située au cœur des Combrailles, dans un village où il est le seul le résident permanent. Le voisin le plus proche est un agriculteur, plus jeune, situé à un kilomètre. Chef d’exploitation depuis le décès de son père, il a réduit son activité avec l’âge. Actuellement, ses terres s’étendent sur 20 hectares en grande majorité de prairie, autour de son domicile, avec 12 vaches laitières. Peu de famille, une cousine à Riom qu’il voit assez régulièrement. Dans l’enfance, son instituteur voulait qu’il aille à l’école parce qu’il avait des facilités pour apprendre mais ses parents n’ont pas voulu, ils avaient besoin de lui à la ferme.

 

« Mon grand regret c’est de pas m’être marié… Une femme ici (et des enfants) ça m’aurait obligé à me bouger mais j’en ai pas trouvé. Il faut dire aussi que pour vivre dans ce village, il faut être motivé… Mes voisins les plus proches ce sont deux agriculteurs, ils veulent tous les deux m’acheter mes terres pour une bouchée de pain… Et les bâtiments, j’en fait quoi ? Je n’ai pas pris ma retraite et mes vaches suffisent juste à entretenir les bâtiments. Si je l’avais prise, je ne pourrais pas le faireQuand je ne peux pas faire autrement, je vends à l’un ou à l’autre un bout de terrain pour payer mes dettes. Et quand je vends à l’un, l’autre me fait la tête. J’aurais bien aimé trouver un jeune qui veuille reprendre, pour faire un élevage de chèvres. Je suis sûr que c’est possible mais faut le trouver, celui qui veuille acheter tout ça. (…) Parfois, je dois aller au CHU de Clermont-Ferrand. J’y vais avec ma voiture ça fait une trotte. J’y passe la journée et je rentre m’occuper de mes bêtes. Quand j’ai été hospitalisé, les voisins m’ont aidé. Il y a bien un réseau d’entraide mais c’est trop cher et je n’ai pas bien confiance.»

 

L’attachement de cet homme à sa ferme, c’est sa raison d’être. C’est aussi un désespoir de ne pas réussir à transmettre, d’être à la merci de jeunes agriculteurs qui attendent pour s’accaparer ses biens. Il exprime beaucoup de regrets, il aurait dû, il aurait pu, il aurait fallu etc. En couple, il aurait fait comme beaucoup de ses collègues, mis l’exploitation au nom de sa femme, pris sa « petite » retraite et continué à travailler.

 

 

Si les propos rapportés dans ce texte ne sont pas tout à fait fidèles au vocabulaire de l’exploitant, je les rapporte de mémoire et atteste qu’ils le sont dans l’esprit. Chaque rencontre était une découverte, certaines plus attachantes que d’autres, mais toutes sympathiques. Quelques situations nécessitaient des compétences en matière sociale, à chaque fois que j’ai eu à le proposer, les exploitants ont accepté un contact avec l’assistante sociale de Médecins du Monde. L’enquête ne concernait pas les retraités ni les ouvriers agricoles, c’est me semble-t-il regrettable, mais peut-être une autre étude saura-t-elle les écouter ?

 

 

 

par Louis Cormerais, infirmier bénévole, participant à l’enquête auprès des agriculteurs dans les Combrailles.

 

 

1 COMMENTAIRE

  1. Bravo pour ce témoignage et ce travail au plus proche des gens! Bravo enfin à toute l’équipe sur le terrain qui réalise un vrai travail de fond.

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