Le projet associatif n’est pas mûr

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Dr Jacky Mamou, ancien président

Qu’est-ce qu’un projet associatif, à quoi sert-il, à qui est-il destiné ?

Un projet associatif est le document qui entend dire de la manière la plus simple et pédagogique possible ce qui unit des individus voulant s’associer dans le but d’une action commune.
Il permet à une association à la fois de rassembler et de mobiliser ses membres. Mais aussi de faire connaître à l’extérieur (sympathisants, partenaires, donateurs… ) qui elle est.
En un mot un projet associatif représente l’identité d’une association.

 

Quel doit en être le contenu ?

 
Ce qui caractérise toute organisation entendant agir dans le domaine public : parti, ONG, association…C’est son histoire et son programme.
Son histoire, sa trajectoire, les moments clés… représentent la légitimité de l’organisation à agir, à donner son expertise, à communiquer.
Son programme est le credo de l’association. Pour une ONG humanitaire, c’est définir à partir de son identité et de son histoire, le champ de son action, la désignation des populations qu’elle entend secourir en priorité, les références et les instruments qu’elle entend utiliser pour son action.

Le projet associatif tel qu’il nous est présenté répond imparfaitement à ces critères.

Évidemment, pour tout médecin du monde, il y a de nombreux passages avec lesquels on ne peut qu’être d’accord. Mais l’économie générale du document est problématique.

Les référents historiques viennent en dernier, comme s’ils ne représentaient qu’un exercice formel, obligé, auquel les auteurs ne font référence que par obligation. Alors qu’ils indiquent d’où nous venons et pourquoi nous agissons.

Les points fondamentaux qui introduisent le texte font référence à plusieurs concepts non définis.

– La justice sociale : de quoi parlons-nous ? D’une manière provocatrice l’extrême droite, qui a le vent en poupe en Europe et particulièrement en France, parle aussi de la justice sociale, elle la voit sous le prisme de la « préférence nationale ». Je ne connais aucune force politique ou sociale hostile à cette idée. Ni d’ailleurs qui soit contre l’égalité des droits (justement l’extrême droite dit qu’il n’y a pas de vrai égalité des droits entre les nationaux et les étrangers) ou encore le respect des droits fondamentaux. Lesquels ?

– L’autonomisation des populations. Il n’est précisé nulle part ce qu’est cette autonomisation. Cette expression était l’apanage de certains mouvements politiques d’ultra gauche, connus pour leur talent manipulateur. Reste à savoir comment une telle autonomisation insère ces populations dans un système national de santé. Mystère.

– En toute indépendance, nous sommes d’accord. Mais ce n’est pas par des déclamations que l’on affirme son indépendance. C’est en ayant suffisamment de fonds propres donc de recettes privées qu’on vérifie cette indépendance. Or ces recettes ne peuvent venir que de l’inscription de MdM dans les urgences et les grands chantiers humanitaires. Que cela plaise ou non, ce sont ces actions qui permettent par ailleurs de faire des actions que les bailleurs ne valorisent pas.

– Nous sommes engagés. Bien sûr. Mais quelle vigilance est mise en place pour laisser une place importante à l’engagement des associatifs ? L’existence d’un président rétribué pouvait constituer une garantie en matière de préservation de l’espace associatif et bénévole. Est-ce le cas ? Par ailleurs la bureaucratisation de l’aide humanitaire est devenue un secret de polichinelle. MdM échappe-t-il à cette tendance ? S’il en était autrement, alors oui ce serait assurément une manière « alternative » de pratiquer l’humanitaire…

– Quant à l’équilibre, il est difficile d’en faire un marqueur fondamental d’une ONG, tant il est peu discriminant.

Restent les points aveugles étonnants.

Il n’est pas fait référence dans ces fondamentaux à la médecine humanitaire (une doctrine solide dont les grands principes ont été définis dans un livre écrit par beaucoup de MdM ), ni aux populations vulnérables, ni à leur protection (point important pour le plaidoyer), ni à l’accès aux soins pour tous.

 « Pour un modèle humanitaire alternatif »
La référence à l’éthique de la responsabilité est bienvenue.
Pour autant il ne saurait se réduire à la « démocratie sanitaire et sociale », concept non défini. Pour une ONG, cela implique de se sentir responsable de son action et redevable envers les populations bénéficiaires. C’est un principe général, une philosophie de l’action, pas un positionnement politique, surtout s’il est si approximatif.

« Favoriser les coalitions de cause commune »
Bien sûr, encore faut-il bien dire qui nous sommes : une organisation médicale humanitaire de solidarité internationale ! Bien dire que nous sommes des soignants, même si nous pouvons nous sentir différents (?).
Et lorsque les populations nous attendent, nous espèrent, où que le grand public nous soutient, c’est parce que nous sauvons des vies, nous donnons l’accès aux soins aux « damnés de la terre ». Il y a aujourd’hui 52 millions de déplacés et de réfugiés dans le monde. Le HCR affirme que chaque jour 32 000 personnes fuient sous la contrainte (guerre, violences politiques, catastrophes naturelles…) leur habitation. Une bonne partie est, ou devrait être, dans notre « salle d’attente » et peu leur importe que nous soyons « pour la justice sociale », ils veulent juste que l’on sauve leur enfant…

« MdM, 35 ans et au-delà »
Le précédent projet associatif se voulait un manifeste pour l’identité de MdM et pour placer les actions de l’association dans un cadre doctrinaire. Ce chapitre est important car il se veut prospectif.

Depuis, quelles sont les données qui ont changé dans notre cadre d’intervention ?

– Une réduction de l’espace humanitaire.
En Afghanistan, au Soudan, en Syrie, au Yémen, en Somalie, en Irak… Peu de possibilités d’intervention, sauf dans les camps de réfugiés à la périphérie… Lorsque des forces militaires internationales sont présentes, elles essaient d’enrôler l’humanitaire dans leur stratégie de sécurité. Dans un cas nous mettons nos équipes en danger mortel, dans l’autre nous risquons d’apparaître comme des supplétifs de forces étrangères. Le chemin de crête est étroit. Encore faut-il être clair dans notre expression.

Partout la montée de forces xénophobes et anti-démocratiques.
Dans les pays du Sud comme dans l’hémisphère nord, ces forces totalitaires et racistes ont le vent en poupe. Elles piétinent les droits de l’homme, s’en prennent aux minorités. Ce sont les ennemis des humanitaires qui eux, agissent pour la promotion de la femme, la protection des minorités, l’aide non discriminée, l’accès aux soins pour tous… Le président soudanais, Omar el Béchir, accusé par la Cour pénale internationale de crimes contre l’humanité et de génocide commis sous ses ordres au Darfour, ne dit-il pas que « les ONG sont les ennemis du Soudan »…
En Europe, les partis d’extrême droite affirment la préférence nationale. Dans beaucoup de pays, ils pèsent sur les politiques nationales, ils ambitionnent d’arriver au pouvoir.
Déjà de grandes ONG françaises réfléchissent aux conséquences sur la collecte de l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen ! Comme avec les attentats contre les journalistes, les Juifs et les gardiens de la paix, ces nouvelles données risquent de constituer une nouvelle césure au moins aussi profonde que le 11 septembre.

Le désengagement des États est une donnée constante.
Les politiques publiques en sont affaiblies, particulièrement en termes de santé publique et d’accès aux soins pour tous. La corruption, la dette, mais aussi la mondialisation… limitent les budgets sociaux. Les minorités les plus vulnérables paient un lourd tribut du nord au sud, de l’est à l’ouest. Cela donne plus de responsabilités aux ONG qui agissent dans le champ de la santé.

Les avancées technologiques bouleversent l’action humanitaire.
L’internet, Twitter, les smartphones…vont bouleverser nos pratiques. Largement partagés, ces outils techniques permettent aux bénéficiaires de détenir des informations en temps réel, comme les états-majors des ONG, et peuvent demander des comptes aux secouristes. (Pourquoi intervenez vous dans tel village et pas dans le nôtre ? Pourquoi ne dénoncez-vous pas notre gouvernement alors que vous avez les informations sur ce qu’ils nous font subir…). C’est un changement qualitatif qui va changer notre rapport avec les bénéficiaires de l’aide humanitaire, bien plus que les références au « changement social »…

– Les nouvelles épidémies comme Ebola vont se multiplier et influer sur nos pratiques.
Comme le SIDA avait questionné nos pratiques (non – discrimination des malades, traitements accessibles à tous, organisations de malades, médicaments génériques…), il est inéluctable que d’autres maladies contagieuses vont apparaître, du fait de l’urbanisation, de la mobilité des populations, de l’affaiblissement des soins de santé primaires… Il faut se préparer à ces nouvelles pathologies, se rapprocher des meilleurs spécialistes, réfléchir avec des intellectuels à ces mutations, éditer des codes éthiques pour leur prise en charge individuelle et collective…

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire…

En conclusion ce projet associatif est un effort indéniable de réflexion sur l’identité et les pratiques actuelles et à venir de MdM.
Il pêche par des éléments de confusion et d’approximation qui l’empêchent de jouer son rôle de rassemblement et de mobilisation des médecins du monde.
Ce projet n’est pas mûr.

Dr Jacky Mamou, ancien président

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