Le cynisme de « la mécanique des flux »

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Le dernier film de Nathalie Loubeyre, La mécanique des flux, a été projeté le vendredi 8 avril dans le cadre du Festival International du Film des Droits de l’Homme, au Cinéma Luminor de Paris. Médecins du Monde étant partenaire de ce bel événement, la projection fut suivie d’un débat très intéressant entre la réalisatrice et Gilbert Potier.

Nathalie Loubeyre a travaillé durant deux ans sur ce documentaire dans le but de lutter contre l’imaginaire de l’invasion étrangère, l’invisibilité à laquelle les migrants sont condamnés pour « qu’ils soient vus, entendus autrement que comme un flux » c’est-à-dire comme des êtres humains qui fuient l’horreur, souffrent, désirent, et décident de vivre. En effet, généralement la représentation des migrants dans les médias est distante, très peu individualisée, étant « la plupart du temps floutés, entraînant ainsi une déshumanisation ». La réalisatrice a souhaité leur donner la parole à travers ce documentaire avec des témoignages à visage découvert, en caméra portée et donc en perpétuel mouvement, à l’image des migrants.

Nous apprenons lors du débat que la plupart des  interviewés sont des avocats, ingénieurs, ou encore des diplômés en relations internationales et que « 80% des migrants ont un niveau d’étude supérieur à la moyenne des Français ». Cette explication fait suite à une réaction d’un spectateur sur une discussion filmée entre plusieurs migrants « elle peut filmer, les gens se diront : “un ingénieur qui vit dans la forêt en Grèce !” » ou encore « le monde n’est que profit, 1000 morts pour l’intérêt d’un seul et ce sont nous les abrutis mon frère ! »

Film choc, la réalisatrice nous propose des images exclusive. Nous pouvons ainsi comprendre comment les autorités parviennent à repérer les migrants qui tentent de traverser la frontière séparant la Turquie de la Croatie grâce à des images thermiques. « Ils ne font que fuir la guerre, mais on fait notre travail » exprime l’une des personnes en charge de la surveillance de la frontière. Des femmes, des enfants en bas âge se déplaçant de nuit, dans la neige, risquant leur vie ; des fantômes se déplaçant tant bien que mal dans l’obscurité. « C’est difficile. Pour 500 euros, tu vas passer ou tu vas mourir. Je n’ai pas peur mourir. On ne peut pas avoir peur de mourir quand on est déjà mort » raconte un migrant arrêté par la police alors qu’il vient de franchir la frontière.

Arrestation d’un migrant tentant de passer la frontière caché sous un camion
Caméra thermique assurant la veille constante des frontières

Durant le débat, Nathalie Loubeyre nous apprend qu’il est en effet extrêmement difficile voir impossible – d’obtenir des autorisations pour diffuser de telles images – mais le tournage ayant eu lieu au moment de l’entrée de la Croatie dans l’Union européenne en 2013, Frontex, la société est charge de la surveillance des frontières, n’avaient pas encore la main mise et les autorités locales ont facilement accepté de fournir ces images à la réalisatrice.

Des fenêtres d’un centre de détention en Grèce, on aperçoit les migrants, enfermés dans des conditions terrifiantes. Entassés à 14 dans 12m2. Agrippés aux barreaux de leur cellule, ils crient à la caméra : . « Guantanamo ! » « On est devenus des cadavres ! » Leurs cris de désespoir résonnent dans un vide inhumain. « Est-ce que les gens savent ce qui se passe ici ? » « Quand tu as un rêve, chaque jour tu essayes de le réaliser. Je me demande si on préfère que les gens meurent ou qu’ils réalisent leurs rêves » se/nous demande Booba, un jeune Sénégalais « porté par un espoir fantastique » comme le souligne Gilbert Potier.

De nombreuses questions ont d’ailleurs été posées au directeur général de Médecins du Monde lors du débat sur l’origine de l’implication de l’ONG et son positionnement face à la crise migratoire. L’action de MdM dans ce domaine à commencé avec les Maliens expulsés de France, autour d’une réflexion sur la manière dont la violence impactait leur santé. Il souligne également que les migrants ont surtout besoin d’échange et de soutien, alors que nous les voyons une fois et c’est fini – du fait de leur mobilité. Gilbert Potier a également répondu à de nombreux questionnements des spectateurs sur les missions actuelles de l’ONG à l’international mais aussi en France, et notamment à Calais. 

Affiche FIFDH

Les larmes aux yeux, la rage au ventre, on remercie Nathalie Loubeyre pour son magnifique travail. On regrette que de tels films réalisés dans le but de faciliter une prise de conscience générale pour un monde meilleur ne soient pas diffusés sur les chaines de télévision ou en dehors du cadre d’un Festival dédiés aux films des droits de l’homme. Il est en effet bien dommage que ces documentaires ne touchent qu’un cercle fermé, déjà sensible à la thématique des droits humains. Alors on en parle, avec ses amis, sa famille, ses voisins, ses collègues en espérant de tout cœur que les mentalités vont évoluer.

 Actualités sur la page facebook du film

Lisa Prieure, assistante communication interne MDM

 

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