L’exemple de la Turquie et du Liban

Dr Philippe de Botton et Fyras Mawazini, président et vice-président de MdM France 

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Dr Philippe de Botton et Fyras Mawazini, président et vice-président de MdM France 

Notre visite de terrain en Turquie puis au Liban avec un passage en Syrie fut intense, dense et passionnante. Elle a mis en valeur les forts militantismes partagés par nos équipes et nos partenaires. Et démontre qu’une politique de l’accueil est possible contrairement à ce que nous assènent au quotidien les discours des autorités européennes.

MdM Turquie, seizième membre de notre réseau international depuis le mois d’octobre

A Istanbul, Izmir et Antakya, MdM Turquie assure la gestion directe de plusieurs centres de santé primaire, à forte orientation santé mentale et soutien psycho-social.

En visitant ces centres nous avons été saisis par le fort engagement des équipes, particulièrement par celui des jeunes parfois nouvellement diplômés, auprès des réfugiés et des autres populations en situation de vulnérabilité. Le rôle des traducteurs est essentiel, leurs efforts pour composer un accueil personnalisé permet un suivi des patients dans les meilleures conditions.

Sur une autre thématique, nous étudions la perspective de nouveaux projets concernant la prise en charge des addictions, en partenariat avec Le Croissant vert turc, organisation active depuis bientôt cent ans.
  

Au nord-ouest de la Syrie, les blessures de la guerre sur les immeubles et les visages dénoncent la lassitude et l’épuisement de la population

Le passage en Syrie se fait à travers une ouverture, d’à peine une dizaine de mètres, dans le long mur de 70 km construit depuis 2015 entre les deux pays. Un poste frontalier est installé autour de deux conteneurs. Nos papiers y sont vérifiés afin de nous laisser entrer dans une région sous contrôle des autorités turques. Nous arrivons au milieu des champs d’oliviers sur une route cahoteuse. Une autre, en cours de construction, devrait permettre prochainement de relier plus facilement la ville d’Afrin, au Nord-Ouest. Après un voyage rapide, sans soucis et quelques check points tenus par des groupes armés soutenus par les forces turques, premier arrêt à Jinderes. Dans cette petite ville, MdM Turquie ouvrira prochainement, avec son partenaire Hayad, un centre de santé polyvalent de grande taille, destiné aux populations réfugiées et déplacées en provenance principalement de la province d’Idlib, dernier bastion pas encore repris par le régime syrien. En traversant Jinderes, nous remarquons les blessures de la guerre sur les immeubles mais aussi et surtout sur les visages. On les sent les gens las, épuisés, le regard sombre, évoluant dans un décor assommé, malgré l’activité commerciale animée de la rue principale. Le centre de santé construit au cœur de la ville apparaît comme un lieu d’apaisement, un espace nouveau en contraste avec son voisinage écorché. Plusieurs personnes à l’extérieur demandent à entrer, pensant que le centre est déjà fonctionnel. Malheureusement, il faut encore attendre l’équipement. On mesure déjà l’importance que l’activité sera amenée à prendre, pour répondre aux forts besoins. 
NB : Le centre de santé de Jinderes a ouvert début décembre. En quelques semaines, plusieurs milliers de consultation ont déjà été menées.  

Nous décidons d’enchaîner sur Afrin, à une trentaine de kilomètres. La route claire coupe toujours au milieu de l’immensité des champs d’oliviers, restés intacts malgré le conflit. Source économique éminente oblige, ils ont été protégés et épargnés. La récolte est d’ailleurs imminente, nous apercevons les pressoirs en activité. Afrin est une ville importante peuplée majoritairement de kurdes à l’instar de l’ensemble de cette région, au nord-ouest du gouvernorat d’Alep. Beaucoup plus imposante que Jinderes, posée à flanc de colline, Afrin semble très active. Le partenaire Hayad souhaite y mener à bout le chantier d’un hôpital en construction qu’il nous fait visiter. Le chantier en question est « tenu » ou « surveillé », selon comme on l’entend, par de nombreux hommes armés. Nous comprenons que les américains qui avaient financé ce projet ont dû abandonner après Rameau d’olivier, l’opération militaire turque lancée en début d’année qui a fait fuir les combattants kurdes.

A Antakya, nous rencontrons l’équipe de Syrie qui mène, en appui à cent autres personnels syriens MdM de l’intérieur, les activités dans la province d’Idlib, essentiellement dans les camps d’Atmeh et d’Qah. Ils sont quelques-uns à s’être lancés dans l’aventure MdM dès le lancement de nos activités suite à la crise de 2012. A l’intérieur lorsque cela était encore possible, et depuis la Turquie lorsqu’ils ont dû quitter le territoire syrien. Aujourd’hui, ils ont construit leur vie à Antakya et il leur est difficile de penser à rentrer en Syrie tant que le régime d’Assad persiste. Nous percevons dans les conversations le désespoir et le gâchis d’une révolution avortée, transformée en conflit armé au-delà des enjeux locaux. Pour ces jeunes, comment rentrer après avoir pris position clairement contre le régime ? Ils ont pris des risques qui les mettraient dans le plus grand danger en cas de retour.

Au Liban, le militantisme déterminé et partagé par nos équipes et nos partenaires se solidifie

Au Liban, le projet global de MdM agit à trois niveaux:
– L’activité des cinq centres de santé, situées entre Beyrouth et la plaine de Bekaa;
– Les recherches pour aller vers une prise en charge psychothérapique innovante des enfants migrants;
– Un fort plaidoyer pour obtenir le droit à la santé pour tous, par le renforcement du système de santé, en particulier dans les sphères ignorées de la santé mentale et de la participation communautaire.

Lors de notre trop courte visite, nous avons pu observer le centre de Qaa situé à l’extrême Nord de la plaine de la Bekaa, point de passage notable de milliers de réfugiés syriens en provenance de Homs. Ici encore, la jeunesse est la marque des équipes terrain. L’engagement est motivé par une forte volonté de militantisme. Lors d’un échange collectif, nous avons été surpris par cette détermination. Un grand nombre des questions interrogeaient notre modèle associatif. Nous avons pu échanger avec chacune des équipes, plus précisément, sur leur travail. Ces temps de dialogues à l’initiative de la coordination Liban ont été fort appréciables et bénéfiques.

Notre partenariat avec Amel dure depuis presque trente ans, à intervalles réguliers. La durabilité de nos engagements réciproques est clairement établie, nous apprenons énormément les uns des autres. Kamel, le président, et Virginie la directrice générale nous assurent que nos collaborations ne prennent actuellement pas le risque de s’estomper. Ils apprécient particulièrement le militantisme de MdM qui la différencie d’autres ONG internationales. Un projet d’écriture et de mémoire sur ce partenariat a été évoqué.

Les équipes nationales de qualité, déterminées et militantes sont rassemblées autour de nos valeurs de justice sociale. Les partenariats avec les acteurs locaux de la société civile solides se solidifient.

Ces programmes réunissent l’ensemble les « ingrédients » structurants de notre identité : l’indépendance, la redevabilité, l’engagement et le partenariat.

La preuve qu’une politique d’accueil, de protection et de droits des exilés est possible

Comment ne pas être saisi par le contraste et le décalage entre, d’un côté, des initiatives multiples de solidarité, d’accueil et de prise en charge médicale et sociale d’un nombre massif de réfugiés et, de l’autre, en Europe, un discours de rejet et de stigmatisation de la part des autorités. Obsédées par la soi-disant « invasion » migratoire, leur seul objectif reste l’exclusion de l’autre. Les conditions de vie de ces réfugiés restent évidemment précaires, mais, au moins sont-ils accueillis dignement avec un accès facilité à des services de qualité.

L’exemple de ces deux pays, la Turquie et le Liban, dont pourtant une grande partie de la population vit dans des conditions souvent difficiles, est la preuve qu’une politique d’accueil, de protection et de droits des exilés est possible. La fermeture des frontières et le repli sur soi rendent malades, tuent souvent et isolent les exilés dans une « prison » mentale insupportable et intolérable.

 

 

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