Haïti, une crise sanitaire qui dure

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5 ans après le tremblement de terre qui frappait Haïti le 12 janvier 2010, la situation du pays reste critique. La reconstruction se fait attendre dans la capitale et de nombreux Haïtiens à travers le pays vivent toujours dans des conditions sanitaires déplorables, sous la menace des flambées de choléra.

 

 

A Port-au-Prince, désordre politique et chaos social

 

Le 1er janvier, Haïti célébrait son indépendance. Cela fait 211 ans que la première république noire de l’Histoire a renvoyé l’armée napoléonienne dans ses frégates direction la métropole. 211 ans que les régimes politiques s’y succèdent, souvent autoritaires, parfois militaires. Enfin démocratiques aujourd’hui, mais toujours englués dans une corruption qui creuse les inégalités et nourrit la misère.

 

Une situation que dénoncent les Haïtiens. Port-au-Prince, qui rassemble un quart des 10 millions d’habitants du pays, est le théâtre de manifestations menées par l’opposition au président Michel Martelly. La colère monte et la foule des mécontents grandit chaque jour. Car le pays est dans une impasse politique. Le Premier Ministre, Laurent Lamothe, a posé sa démission en décembre. Les élections parlementaires qui doivent être organisées depuis 3 ans n’ont toujours pas eu lieu. Le 12 janvier, députés et sénateurs seront parvenus au terme de leur mandat. C’est par décret que le président pourra gouverner, laissant craindre des abus de pouvoir. Comme aux heures sombres de la dictature des Duvalier père et fils.

 

Le 12 janvier, c’est aussi la date anniversaire du violent séisme qui secouait Haïti il y a 5 ans. Un hasard du calendrier qui souligne tristement les liens entre instabilité politique et précarité sanitaire. Seul 5 % du budget de l’Etat est consacré à la santé. Bien trop peu pour subvenir aux besoins d’une population qui, à 78 %, vit sous le seuil de pauvreté (moins de 2 $/jour), souffre de malnutrition et subit des catastrophes naturelles à répétition – séismes, ouragans, inondations.

 

Des milliers d’Haïtiens sont encore « provisoirement » logés dans des camps de déplacés autour de Port-au-Prince, notamment parce que toutes les promesses d’aide financières de la communauté internationales n’ont pas été tenues. Le centre-ville, sévèrement détruit par le séisme de 2010, est toujours en ruine. Partout dans la ville, pour s’en sortir, on vend sur des étals sommaires quelques denrées alimentaires, des produits d’entretien ou de l’essence en bouteille. Les conversations se perdent dans les bruits de circulation, dans le klaxon des tap-taps, ces taxis collectifs bondés, couverts de figures peintes et de louanges à la gloire du Bon Dieu. Dans l’air flotte le parfum âcre des détritus que l’on brûle, faute de gestion des déchets, quand ils débordent des fossés où on les entasse.

 

En Grand’Anse, le difficile combat contre le choléra

 

À 7 heures de route de Port-au-Prince, au bout de la presqu’île du Sud, la Grand’Anse fait face au Golfe de la Gonâve. Dans ce département particulièrement pauvre d’Haïti, c’est l’odeur charbon que les paysans produisent en forêt que l’on respire. Considérée comme le dernier poumon vert du pays, la Grand’Anse subit une déforestation intensive et anarchique. Ses acajous, arbres à pain, bayahondes et autres tamariniers sont abattus sans réglementation. Mais comment interdire une pratique qui seule permet de gagner un peu d’argent ? Car le charbon est ensuite vendu aux habitants de Port-au-Prince qui l’utilisent pour cuisiner. « Une gazinière coûte au moins 400 $ et une bonbonne de gaz pour 10 jours vaut trois fois plus cher qu’un sac de charbon avec lequel on peut tenir un mois », nous explique Oddy Naval, coordinateur administratif de Médecins du Monde en Grand’Anse. Nécessité fait loi, et le patrimoine naturel part en fumée au nom de la subsistance.

 

La ville de Jérémie, chef-lieu de la Grand’Anse, accueille les bureaux de Médecins du Monde France sur les rives du Golfe. C’est là qu’a été coordonnée la réponse à l’épidémie de Choléra apparue fin 2010, qui a fait plus de 500 victimes pour quelque 32 000 cas répertoriés officiellement en 4 ans. « Après le tremblement de terre, explique Jean-Kith Dely, coordinateur médical de Médecins du Monde en Grand’Anse, 120 000 déplacés de la capitale ont rejoint le département. Les besoins de ces populations ont renforcé la fragilité économique. Et quand le choléra est arrivé, la malnutrition a favorisé son développement. » L’autre facteur décisif dans la propagation de l’épidémie est le relief géographique de la Grand’Anse. A la saison des pluies, surtout, l’eau ruisselle depuis les sommets vers les villes côtières. La rivière de Grand’Anse, où les familles se lavent, charrie ainsi la bactérie jusqu’à Jérémie.

 

Au début de l’épidémie, Médecins du Monde construit et gère directement 4 unités ou centres de traitement du choléra (UTC ou CTC) dans 4 communes du département. Ils sont équipés de pédiluves, fontaines à eau chlorée, lits, latrines, systèmes d’évacuation et du sérum à boire ou à transfuser pour réhydrater et sauver les malades. Dès 2012, l’association supervise la réponse choléra de l’ensemble des dispensaires et hôpitaux de la Grand’Anse. Elle fournit des équipements médicaux ou du personnel selon les besoins, forme des relais communautaires pour qu’ils diffusent le message de prévention jusque dans les villages reculés. En 2014, environ 1 000 cas de choléra ont été enregistrés dans le département, contre 4 920 en 2013.

 

Moron, l’une des villes dans lesquelles Médecins du Monde lutte contre l’épidémie, est située dans les montagnes qui surplombent Jérémie. Lucia, infirmière de l’association se souvient : « Moron a été particulièrement touchée par le choléra. Dans les premiers jours de l’épidémie, en novembre 2010, nous pouvions y accueillir 100 malades par jour. Nous devions enjamber des personnes allongées par terre, certaines déjà mortes. Toutes les salles du centre jusqu’aux cours extérieures étaient occupées par des malades du choléra. Par manque de place les brancards étaient soutenus à bout de bras pour que nous posions des perfusions de sérum. Il fallait surveiller les patients jours et nuit, sans prendre le temps de dormir ou de manger. » Au centre de santé de Moron comme dans celui de Prévilé, autre commune dans les hauteurs, Médecins du Monde a alors construit des dortoirs pour le personnel sur le toit-terrasse, installé des générateurs électriques et des panneaux solaires pour fournir la lumière là où seuls les écrans de téléphones portables permettaient de trouver les veines et de poser les cathéters.

 

Les autorités sanitaires haïtiennes dépassées

 

Aujourd’hui encore, 4 ans après le début de l’épidémie et malgré la baisse du nombre de cas, les autorités sanitaires ne peuvent assurer la prise en charge des malades au cours des flambées. Amos Polycape est directeur médical au centre de santé d’Abricots, la commune où Médecins du Monde s’est implanté en 1989. « Je ne parviens même pas à joindre le district pour une simple évaluation des besoins, explique-t-il. Sans Médecins du Monde nous ne pouvons pas nous en sortir. » A ses côtés une seule infirmière pour assurer les soins, les accouchements, les vaccinations… La démotivation menace ces fonctionnaires qui ne sont pas relayés et reçoivent leurs salaires avec des mois de retard. Fin décembre, le centre a enregistré une dizaine de cas. Mais son personnel de soutien non formé à la prise en charge du choléra ne lui permet pas de faire face. Médecins du Monde a alors dépêché une infirmière pour renforcer l’équipe.

 

Le CTC d’Abricots a été installé à l’écart du dispensaire et du centre de la commune, de l’autre côté d’une rivière. Il est accessible par un radeau de fortune guidé par une corde, à la force des bras. C’est là qu’a été soignée Miglise Marseille, 38 ans et mère de 4 enfants, contaminée par le choléra en novembre 2013. Son cas été était si grave, ses veines si flasques que le docteur Polycape a dû passer par voie fémorale pour la perfuser. Miglise a passé 7 jours au Centre et mis près d’un mois à se remettre. « Je vends les produits cultivés par mon mari. Mais pendant que j’étais malade, je ne pouvais pas nourrir mes enfants. Même lorsque j’ai repris le travail, les gens ne voulaient rien m’acheter car ils avaient peur que je les contamine. »

 

La stigmatisation engendrée par le choléra est forte. D’anciens malades refusent même de prononcer le nom de la maladie, de peur d’être considérés comme malpropres. Ou pire, comme possédés. Certains ougans, les sorciers traditionnels vaudous auxquels les Haïtiens ont recours pour soigner maux physiques et mystiques, ont même été accusés de répandre de la poudre de choléra et lynchés par leurs concitoyens. La honte est telle que de nombreux cas n’ont pas été déclarés et des morts cachés, enterrés sans sac mortuaire ni chaux, les précautions d’usage.

 

Si aujourd’hui la population est mieux informée et que des relais sont en mesure d’apporter les premiers soins aux malades dans les zones reculées puis de les transporter vers les centres de traitement, les autorités sanitaires restent dépassées. Et Médecins du monde demeure un acteur-clé de la réponse au choléra, crise sanitaire majeure liée au séisme. Son action en Haïti depuis 25 ans, en matière de soins de santé primaires ou de prise en charge gratuite des femmes enceintes et des jeunes enfants, a été prépondérante et complémentaire des actions menées par le ministère de la santé. Un habitant d’Abricots le crie aux équipes de passage : « medsen di mond se chouchou nou ! » Médecins du Monde c’est notre chouchou.

 

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