Christine Gollé, bénévole au CASO de Strasbourg

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Tu es médecin, tu as une vie de famille, tu es à Médecins du Monde depuis combien de temps ?

Cela fait 22 ans. C’était le moment où le centre de soins de Strasbourg se créait. Nous étions une équipe motivée, soudée autour d’un projet commun (qui a contribué à ma reconstruction alors que je venais de vivre un tragique accident de la route).

Comment s’est fait le choix d’être bénévole à MdM ?

Suite à cet accident j’étais paraplégique en fauteuil roulant, m’occupant de mes  4 enfants (8, 12, 14 et 16 ans) et donc contrainte de cesser ma profession de médecin. Aussi j’ai eu à cœur de retrouver un bénévolat dans le monde de la santé. MdM n’a alors pas été un choix délibéré, mais le fruit d’un heureux hasard, une antenne allant tout juste se créer à Strasbourg.

Tu fais partie du CASO et tu assures les fonctions d’accueillante, c’est-à-dire ?

Avant tout, c’est faire partie d’une EQUIPE avec assistant social, infirmière, médecin, dentiste, secrétaire, psychologue (et autres professionnels de santé qui gravitent autour), chacun avec une fonction spécifique mais tous  interdépendants. La fonction d’accueillante me plait particulièrement car elle est le PREMIER CONTACT avec le patient, « sans casquette », juste là pour « un bonjour » qui essaye d’instaurer la confiance, une écoute de la demande, un début de prise en charge la mieux adaptée possible à la personne.

Les fonctions d’accueillantes n’excluent pas l’expérience  du médecin : comment réagissait le médecin à l’arrière de l’accueillante ?

Je ne suis pas sûre que les réactions du médecin soient très différentes de celles de toute personne. Pour ma part ce qui m’impressionne est combien l’homme est capable de résilience au-delà des histoires tragiques qui l’accablent. Ceci est plutôt positif ; par contre des côtés plus négatifs m’interpellent :

  • Que des personnes au psychisme fragile, voire atteintes de troubles psychiatriques graves soient confrontées à l’univers hostile de la rue, avec ce cercle infernal : vie à la rue ↔ troubles psychiques !
  • Comment peut-on supporter de vivre à la rue quand la maladie vient se rajouter à un quotidien déjà si difficile à gérer ?
  • Que de mesures préventives pourraient contribuer à limiter tous ces dégâts physiques et psychiques que nous constatons chez nos patients !

Une des matinées les plus récentes : Quelles ont été les demandes ? Quels sont les changements  ou évolutions que tu observes ?

Lors de ma dernière permanence, les demandes étaient centrées, comme le plus souvent, sur les 3 axes de notre mission qui concerne le soin :

  • donner des soins : médicaux ou dentaires
  • faire accéder à une couverture de soins : constitution de dossiers AME
  • prendre soin : aide alimentaire, aide pour les transports (carte Badgéo). Je remarque quelques évolutions ces derniers temps : nous voyons de plus en plus de personnes étrangères (en particulier du Maghreb), ayant séjourné dans un pays européen (Italie, Espagne), actuellement sur le sol français.

Il me semble également que nous voyons aussi davantage de mineurs isolés.

Les situations rencontrées sont souvent difficiles à entendre,  à accueillir. Les réponses à apporter ne sont pas évidentes. Comment vis-tu cela, années après années ? Quelle aide, puis quel relai trouves-tu à MdM ?

Face aux situations difficiles que nous rencontrons il me semble qu’une double approche m’aide :d’une part nous avons la chance, en France, de disposer de multiples aides qui permettent souvent (pas toujours) d’apporter des solutions. Nous avons aussi la chance, à MdM de disposer d’un assistant social compétent, prêt à apporter sa contribution dans les cas qui nous posent problème, à nous  accueillants. D’autre part, derrière ces situations, il y a toujours des hommes. Si nous n’avons pas de solution à apporter à leur demande, nous avons la possibilité (mais parfois pas, malheureusement) de prendre le temps d’un échange bienveillant, non jugeant. A travers les mots, le regard, le geste, nous pouvons essayer de témoigner de notre proximité qui se veut aidante, qui comprend la souffrance de l’autre mais qui est confrontée à ses limites.

Ainsi c’est à la fois une prise de distance par rapport à une réponse à apporter et une proximité par rapport à une personne en demande qui sous-tendent le sens de mon engagement à MdM.

Le bénévole est toujours « payé » de quelque chose disait un ancien président de MdM. Pardon pour une question qui pourrait paraître indiscrète, que t’apporte ton engagement à MdM ?

Rien d’indiscret dans ta question. Mon engagement à MdM m’apporte beaucoup. C’est toujours une découverte, à travers la proximité aux personnes qui viennent à MdM, de situations concrètes, loin des clichés médiatiques ; et cela me permet de mieux appréhender les sujets polémiques de l’immigration. C’est aussi une ouverture à l’autre différent, un humain au même titre que moi, qui me dévoile « sa » vérité, qui m’appelle à me décentrer de moi pour accepter de me recevoir de lui. C’est aussi un lieu de remise en question qui m’interpelle dans mon quotidien. Quand je ne vais pas loin avec l’autre, je me pose la question : est-ce par manque de temps, par respect ou par indifférence ? C’est enfin la richesse d’un travail au sein d’une équipe sympathique que j’ai plaisir à retrouver.

S’il y a des candidats à la fonction d’accueillant, quels conseils leur donnerais-tu : Comment s’y préparer ? Quels conseils donnerais tu à ceux qui « recrutent » les bénévoles : quel savoir-être te parait indispensable ?

Pour moi, pour bien vivre la fonction d’accueillant 3 points me semblent importants : « Soigner l’autre c’est, au-delà du soin, prendre en compte toutes les dimensions de l’Homme ». Celui que nous accueillons amoncèle derrière son souci proprement médical ou dentaire des galères qui le préoccupent parfois bien davantage : nous sommes là pour qu’ils puissent les déposer : « Où vais-je dormir ce soir ? », « Je ne comprends pas cette facture. », « Qui peut m’aider pour cette  démarche ? »… « Avoir le rêve de tout changer pour l’autre en sachant que je ne peux que peu de choses. » ; ainsi je viens avec confiance, « J’y crois », je mets en œuvre tout ce que je peux et en même temps  j’accueille avec humilité, mais sans culpabiliser, les limites de ma fonction. « Il est plus important d’être que de faire » être convaincu que, au-delà de l’aide concrète, apportée ou non selon nos possibilités, il est primordial de créer une relation en faisant table rase de tous mes préjugés mais sans balayer les convictions que j’ai et qui sous-tendent mon engagement à MdM (ex. : ne pas assister mais aider l’autre à se prendre en charge…). Alors se créent les conditions d’une relation vraie dans laquelle chacun existe, se sent respecté, peut  se remettre en question, repart « riche » d’un peu de  fraternité.

Article paru dans “L’horloge et la cigogne”, publication de la délégation Alsace Franche-Comté

 

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