Ebola et après ?…

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Gilbert Potier, directeur des opérations internationales

fresque murale préventive

Cette tribune a été publiée sur le site de Libération le 7/01/2014.

Dès l’aéroport le ton est donné.

Descendus de l’avion nous formons une file indienne pour entrer dans l’aérogare de Monrovia : il faut se laver les mains à la citerne d’eau chlorée posée sur un trépied près de la porte. Puis des agents sanitaires masqués et gantés vérifient notre température frontale.

Mal réveillés de leur vol nocturne, les passagers attendent patiemment leur tour. Ils sont uniformément vêtus : chèche négligemment noué autour de leur cou piqué de barbe, gilet kaki à poches multiples, chaussures de trekking. Blancs pour la plupart, ils échangent quelques phrases courtes dans un anglais teinté d’accents divers, et en rient.

Tandis que nous patientons sur le tarmac dans l’atmosphère moite du petit matin, des employés des Nations Unies déchargent d’un avion-cargo des véhicules blancs tous terrains flambant neufs et déjà siglés UN.

En ville, le trafic est dense, les mobylettes jouent du klaxon, les vendeurs de cartes téléphoniques prépayées se précipitent sur les voitures à tous les carrefours. Tout est normal à quelques détails près : quelques fresques murales nous informent des dangers d’Ebola et de ses symptômes ; des bassines d’eau chlorée munies de robinets trônent devant l’entrée de tous les établissements accueillant du public.

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cartoon de prévention – journal local

 

Le Ministère de la Santé est à la pointe des précautions d’hygiène. Dès l’ouverture des portes vers 8 heures du matin, nous avons droit avant d’entrer au lavage des mains et au contrôle de température.

A l’intérieur, les agents balaient les étages, frottent les sols, lavent les plinthes. Partout des effluves de désinfectant, de savon, une odeur de « propre ». On se croirait dans un hôpital…

Le gouvernement libérien est pourtant resté longtemps dans le déni. « Ebola ne toucherait que les campagnes, les populations « arriérées », pensait-il. Mais la catastrophe cette fois s’est invitée en ville. Au Ministère même, deux proches collaborateurs du directeur de la santé sont morts d’Ebola. L’un deux travaillait dans le plus grand établissement de Monrovia, le JFK Hospital, fermé depuis. Il a été contaminé en soignant les premiers malades.

En fait Ebola a provoqué l’effondrement quasi-instantané d’un système de santé déjà fragile. Beaucoup de médecins et de soignants ont été parmi les premières victimes. 150 décès dans ces professions rien qu’au Libéria, la plupart au tout début de l’épidémie.

 

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« Ebola est réel. Ensemble nous pouvons arrêter la propagation !
Vous pouvez survivre à Ebola ! ”

 

Aujourd’hui le Ministère s’apparente à une ruche. On y travaille sans relâche et on s’interroge. L’aide internationale si tardive est désormais massive. Mais elle manque de discernement. Beaucoup de lits tout nouvellement créés pour traiter les malades d’Ebola restent inoccupés alors qu’il y a tant d’autres besoins.

« Bien sûr, on ne peut pas refuser l’aide qui arrive, regrette le Dr Dahn, mais on préfèrerait un nouvel hôpital plutôt qu’un énième centre de traitement Ebola de 200 lits construit à la va-vite près du stade ». Madame Dahn est médecin-chef au centre de santé de Duport Road. Au plus fort de l’épidémie, elle a fait face avec toute son équipe, à l’afflux de malades.

Duport Road, seule structure sanitaire ouverte dans ce quartier très peuplé – les autres ont fermé au début de l’épidémie et n’ont pas rouvert – voit passer une centaine de patients par jour.

Il est treize heures quand nous arrivons au dispensaire et une soixantaine de personnes, beaucoup de femmes, attendent encore patiemment leur tour, assis jusque dans l’escalier.

Le docteur Benedict interrompt brièvement sa consultation pour nous recevoir. Ses interpellations sur notre partenariats sont directes, concrètes : « Quand ? Comment ? Combien ? ». Nos échanges sont constamment interrompus par d’autres membres de l’équipe soignante. Ils viennent chercher qui le thermomètre (il n’y en a qu’un dans le dispensaire), qui le tensiomètre, qui un avis, un conseil, une signature… Mme Benedict ne perd pas le sourire : « C’est comme ça depuis le début d’Ebola ».

Un tour rapide à la pharmacie. Les rayons sont inégalement remplis. Beaucoup de médicaments essentiels manquent. « Vous comprenez pourquoi vos livraisons sont les bienvenues ! »

 

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Factory Hill – bidonville                                                              Gilbert Potier et Pierre Sallah,

                                                                                                                  coordinateur général

 

L’après-midi, changement de décor. J’accompagne les agents de santé communautaire en tournée dans la zone de Factory Hill. Le quartier est bâti sur un marigot. L’eau est partout. L’eau potable nulle part. Pour leurs besoins alimentaires, les habitants la « filtrent » à travers des sacs de toile grossière. Les seaux de chlorine installés ça et là pour la désinfection des mains se raréfient à mesure que nous nous éloignons de la route principale. Nous progressons péniblement sur des chemins de planches montés sur pilotis pour joindre les habitations les plus éloignées. Elles sont toutes construites sur le même modèle : une ossature de bois, couverte de tôle ondulée, sur une fondation de tourbe tirée du marais pour surélever la maison de quelques centimètres au-dessus du niveau de l’eau. Pour diffuser leurs messages d’information et de prévention, les volontaires soutenus et encadrés par Médecins du Monde n’oublient personne. Leur porte-à-porte est méthodique. Avec tous, ils engagent le dialogue. Tâche ardue, ingrate qui leur vaut parfois d’essuyer des reproches adressés à d’autres.

 

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Filtrage de l’eau

 

« Pourquoi venez-vous nous voir pour cette fièvre ? Des tas de gens meurent ici tout le temps de toutes sortes de fièvres et on ne voit jamais personne. Cette fois, même les politiciens passent. Les élections sont proches… »

Patiemment les jeunes volontaires désamorcent la critique : « On est là pour aider, pas pour autre chose ». C’est la première fois au Libéria qu’une mobilisation communautaire d’une telle ampleur est organisée.

Que nous dit finalement cette épidémie d’Ebola ?

• Pour comprendre le développement des épidémies et mieux anticiper, étudier le mouvement des hommes est plus pertinent que de courir derrière le virus. Jusqu’à présent, Ebola n’avait frappé que des populations rurales et sédentarisées. Cette fois, la contagion s’est développée le long des axes de communication jusqu’aux zones urbanisées. Au Libéria, elle a peu ou prou suivi la route principale qui traverse le pays depuis la Guinée au Nord, jusqu’à la mer au Sud-Ouest.

La sous-estimation de cette donnée, ajoutée au déni initial déjà évoqué et à la lenteur de la réaction internationale expliquent largement l’ampleur dévastatrice de cette épidémie.

• En ce début du XXIème siècle un virus virulent connu depuis des décennies reste meurtrier. Nous aurions sans doute dû nous en préoccuper plus tôt, mieux le connaître pour le neutraliser au plus vite. Si Yersin, l’inventeur du bacille de la peste, était encore des nôtres, il aurait cherché et sans doute trouvé (en plus de trente ans !) un vaccin efficace. Seulement voilà, les épidémies précédentes étaient cantonnées à quelques régions rurales peu peuplées et furent vite circonscrites. Pas de quoi mobiliser des foules de chercheurs et l’argent des laboratoires. Pas assez rentable. L’universalité de la science se réduirait-elle aujourd’hui aux égoïsmes du nord ?

• Il y a 150 ans, Semmelweis découvrait les vertus antiseptiques du lavage des mains et de l’hypochlorite de calcium. En l’absence du vaccin attendu, ces précautions d’hygiène universelle restent les meilleures armes contre la propagation d’Ebola. C’est entre autres pour n’avoir pu les respecter que le personnel de santé a payé un si lourd tribut à la maladie : 40 % des contaminations initiales.

• Enfin cette crise a ranimé les forces obscures qui, de tout temps, se nourrissent de l’ignorance et de la peur. Nous avons vu, ici ou là, ressurgir l’archétype de l’étranger porteur du mal, les théories du complot, les discours de stigmatisation, les tentations discriminatoires, il est vrai très en vogue en ces temps d’inquiétude généralisée où l’irrationnel rôde.

Casablanca. Transit obligé entre Monrovia et Paris puisque la Royal Air Maroc est l’une des rares compagnies à avoir maintenu ses liaisons avec les pays les plus touchés par Ebola. Nous sommes guidés vers un couloir discret de l’aéroport et accueillis par un personnel en grande tenue anti-contamination (blouses, cagoules, gants, masques et lunettes). Chacun des passagers doit stationner un instant à 5 bons mètres d’une caméra infrarouge qui capte sa température. C’est le sésame pour passer ou revenir dans l’autre monde. Impressionnant rituel filmé ce jour-là par une équipe de reportage pour les actualités télévisées du soir. Il faut au Maroc, comme ailleurs, rassurer le bon peuple.

« Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses , mais les jugements qu’ils portent sur les choses ». Epictète. Le Manuel.

Gilbert Potier.

 

tract-Islam2Les églises (de diverses obédiences) s’emparent de la Fièvre Ebola. Ici, un tract distribué par Islam INC.
Derrière le racolage, un minimum de recommandations d’hygiène  …

 

« Repentez-vous de vos péchés, remettez totalement votre vie à Dieu tout-puissant et respectez les mesures préventives :

 

– ne pas toucher ou laver des cadavres,

– ne pas toucher/soigner des personnes malades chez vous

– reportez tout cas suspecté d’Ebola  “

 

 

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