Tournée de prévention assurée par les promotrices et MdM à Tapachula
photos de Nadja Massun pour MdM
MdM au Mexique avant Tapachula
De 1996 à 2009, MdM s’est implanté dans les bases zapatistes grâce à un projet s’appuyant sur des micro-cliniques. A l’heure du désengagement marquant la réussite de ce premier programme, l’équipe a souhaité continuer à agir dans la région du Chiapas. Compte tenu du contexte migratoire, la mission exploratoire qui a suivi s’est tout naturellement portée sur les zones frontalières. Le constat a été que de très nombreuses migrantes travaillaient dans les fincas (grandes exploitations agricoles) mais aussi dans les bars ou chez des particuliers en tant que domestiques. En 2009, MdM a choisi de consacrer ses actions aux domestiques et aux travailleuses du sexe. Cet important programme a été financé par l’Agence française du développement (AFD) pendant 4 ans. Quand Centro de DDHH Fray Matias de Cordova, notre partenaire local, a pris le relais auprès des domestiques, MdM a pu se concentrer sur le programme Améliorer l’accès à la santé des femmes migrantes travailleuses du sexe dans le Sud du Mexique. Aujourd’hui nous nous sommes associés à un excellent partenaire, Brigada Callejera, qui soutient les travailleuses du sexe et lutte contre la traite à Mexico depuis plus de 25 ans.
Ensemble nous avons formé, en un an et demi, une trentaine de femmes devenues promotrices de santé dans la ville de Tapachula au Chiapas. Elles qui travaillent (ou ont travaillé) dans les bars des « zones de tolérance »* en tant que serveuses ou danseuses sont devenues animatrices de prévention auprès des migrantes travailleuses du sexe de la région. En tant que personnes directement concernées, elles sont les mieux placées pour connaître les difficultés du métier et de la migration, parler le même langage que les travailleuses du sexe, les écouter et leur inspirer confiance dans un milieu sensible.
La constitution du groupe en association civile indépendante anticipe le passage de relais
Le projet étant fondé sur l’émancipation des femmes, les promotrices ont très activement contribué à l’élaboration des objectifs et des activités mises en place dans le Chiapas. Aujourd’hui, la sortie de la phase pilote s’illustre par la création de leur association civile indépendante MUjeres MIgrantes y Mexicanas en Acción contra la Violencia (MUMIMAV). Le bureau est formé, les femmes ont élu la présidente, Abigail, la secrétaire générale, Maria et la trésorière, Lizeth. Elles pourront mettre en œuvre leurs activités et développer d’autres actions lors de journées ponctuelles de sensibilisation, autour de thématiques comme le VIH, les frottis, la migration. Elles participent déjà à une réunion mensuelle avec l’Institut national de migration pour sensibiliser le personnel à un meilleur accueil des migrants.
L’association vient juste de naître, les promotrices ne sont pas encore autonomes. Elles dépendent de MdM, n’ont pas de locaux et attendent encore beaucoup des formations de Brigada Callejera… Il est prévu de les accompagner pendant encore au moins une ou deux années.
Des femmes très impliquées, qui tiennent à transmettre ce qu’elles ont appris
De fait, elles n’en sont pas toutes au même niveau d’émancipation (ou de timidité) selon leurs expériences et leurs parcours mais le courage et la générosité sont toujours au rendez-vous. Très reconnaissantes de ce qu’elles ont appris et de ce qu’elles sont devenues, elles avouent volontiers qu’avant MdM elles prenaient beaucoup de risques par ignorance. Les migrantes, elles, n’avaient généralement aucune idée de leurs droits. « On ne réalise pas tout ce que l’on va perdre en migrant, pourtant même en tant que migrants nous avons encore avons des droits. Moi je ne les connaissais pas… » admet Lizeth, élue trésorière de l’association.
Devenir promotrice de santé pour MdM a changé leur vie. Le groupe de parole sur les violences les a beaucoup libérées et le soutien psychologique leur a permis de (re)trouver une estime de soi. Elles se sentent moins stressées et envisagent leur avenir en tant que femmes indépendantes. Guadalupe voudrait étudier l’informatique, Maria souhaite intégrer un atelier de couture, Raquel économise pour monter un restaurant avec son cousin…
Aujourd’hui elles consacrent le temps qu’elles peuvent accorder à leur activité de promotrice en fonction de leur situation personnelle. Bénévoles, elles sortent bien souvent un peu d’argent de leur poche pour acheter un sandwich ou un coca à la personne qu’elles accompagnent dans une démarche administrative ou sanitaire.
Elles espèrent obtenir un nouveau véhicule car les bonnes volontés pour assurer plus de tournées hors de Tapachula sont nombreuses.
Le succès de leur première mobilisation citoyenne
Les violences policières sont une triste réalité dans ce pays fortement corrompu reconnaît Brenda, la coordinatrice du programme. L’année 2014 a été marquée par des descentes de police dans les bars d’une rare violence . Les conséquences ont été particulièrement néfastes pour toutes les femmes. Ces opérations officiellement annoncées comme des sauvetages, sont traduisent en réalité par des expulsions. « En janvier 2014, le Bureau du procureur général de l’État du Chiapas (PGJECh) a fermé plus de 250 bars, cabarets et boîtes de nuit. Plusieurs serveuses, danseuses, cuisinières et travailleuses du sexe ont expliqué qu’elles n’étaient pas victimes de traite mais elles n’ont pas été entendues. Pendant cette période, face à l’impossibilité de travailler dans un établissement nocturne, celles qui n’exerçaient pas de commerce sexuel se virent contraintes de le faire et furent exposées à davantage de violence, comme le paiement de 200 pesos par jour pour pouvoir travailler dans la rue. » Jaime, de Birgada Callejeros nous avait alerté par un article déjà publié sur La Boussole.
Cette vague de violence a suscité une manifestation des femmes dans la rue de Tapachula. Un des premiers résultats concrets est d’avoir favorisé une rencontre entre les promotrices, les propriétaires des barset les autorités en charge de la migration et de la lutte contre la traite des personnes. Les femmes ont pu expliquer leur travail d’indépendantes et les conséquences de ces descentes de police qui prétendent les protéger.
Des femmes qui témoignent par écrit
Brigada Callejera a eu l’idée géniale de proposer des formations de journalisme qui rencontrent un franc succès auprès des promotrices. Elles apprennent à recueillir les témoignages des femmes et à les restituer par écrit tout en protégeant leur anonymat.
Une première publication parue en novembre 2015 a été présentée lors d’un forum qui a rassemblé, à Tapachula, les médias, les autorités, les organisations locales et internationales et des défenseurs de droits des travailleuses du sexe.
L’association MUMIMAV y a été publiquement présentée.
Alice Lebel
* Il n’existe pas de loi spécifique sur l’exercice du travail du sexe au Mexique, il règne donc un vide juridique. Cependant à Tapachula (Chiapas) depuis 2014 un règlement sanitaire municipal reconnaît le travail du sexe et délimite des actions pour assurer le respect des droits et de la sécurité des personnes qui l’exercent. Les bars et cabarets où se pratiquent les échanges sexuels tarifés sont considérés comme des “zones de tolérance“.