Dans un bar du Chiapas, un atelier avec des travailleuses du sexe est interrompu par un raid de Police

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Samedi 25 octobre, lors d’une session d’éducation à la santé assurée auprès de travailleur-s-es du sexe avec l’ONG partenaire Brigada, un “raid” de police a été effectué . 3 bars ont été fermés, 3 personnes ont été emprisonnées. Les femmes approchées par notre équipe ont été emmenées vraisemblablement pour être reconduites à la frontière, la plupart étant migrantes. Les médias ont présenté l’incident comme une opération de sauvetage.

 

Atelier réalisé avec des serveuses de bars cantinas de Tapachula, Chiapas

 

Chronique destinée à une diffusion interne. Tous droits d’auteur réservés. Reproduction partielle ou totale interdite sans autorisation écrite de l’auteur.

 

 

C’est un jour comme tous les autres. La chaleur de l’après-midi ne se ressent pas tellement car de gros nuages noirs envahissent peu à peu le ciel jusqu’à l’horizon.

 

La camionnette de Médecins du Monde et une voiture particulière se garent devant le bar et sur le côté, et un véhicule de patrouille de la police municipale qui venait derrière poursuit son chemin.

 

Les serveuses reçoivent les militants de Brigada Callejera de Apoyo a la Mujer “Elisa Martínez” [Brigade de rue de soutien aux femmes], en provenance du District Fédéral, et ceux de Médecins du Monde France (MdMF).

 

Les visiteurs et les serveuses rapprochent trois tables, à proximité de l’entrée principale du bar “El Dragón Chino”, afin que le courant d’air apporte un peu de fraîcheur lors de l’atelier sur la prévention du VIH/Sida et des infections sexuellement transmissibles (IST).

 

Des serveuses travaillant aux bars “Selene” et “El Rosal” arrivent et l’on déplace tables et chaises afin que toutes puissent s’asseoir commodément autour des tables de l’endroit. Il y a 13 participantes à l’atelier et 3 visiteurs de MdMF venant de Paris.

 

Les filles écoutent attentivement et étudient, absorbées, la brochure “Travail sexuel et sida au XXIème siècle”, éditée grâce à des fonds du Fondo Proequidad 2014 de l’Institut national des femmes (Inmujeres).

 

Dehors, une voiture de patrouille de la police municipale de Tapachula se gare, tandis que quelques filles échangent des regards. Des camions passent sans s’arrêter. Nous ne discernons pas s’il s’agit du véhicule vu derrière celui de Médecins du Monde ou si c’en est un autre.

 

On descend les boîtes contenant des préservatifs Encanto, des lubrifiants et les manuels des promotrices de santé de Brigada Callejera, validés par le Censida et imprimés par le Secrétariat à la Santé fédéral.

 

En face, à la station service du périphérique Sud-Ouest du quartier Ojo de Agua, d’autres véhicules entrent pour s’approvisionner en carburant. Un vendeur de hamacs passe proposer ses marchandises et reste bouche bée en voyant l’instructrice Elvira Madrid Romero mettre un préservatif sur un pénis en bois avec sa bouche.

 

Passe-moi le pantin, là, le Pinocchio, dit Elvira à Cristian. L’éclat de rire général des serveuses retentit dans tout le bar. Son écho surprend plusieurs paumés passant à l’extérieur de l’établissement.

 

Dans la rue, le ciel a maintenant entièrement viré au noir et la pluie menace.

 

À l’intérieur, on parle du “beso del payaso” (“baiser du clown”, cunnilingus pendant les règles) et une des serveuses rétorque que c’est du pur plaisir, commentaire suivi de rires et de regards complices entre les participantes.

 

À deux mètres à peine du bar, une femme discute avec deux hommes qui ne quittent pas l’établissement des yeux. La plupart des filles ne s’en aperçoivent pas, tout à leur participation active à l’atelier de prévention de Médecins du Monde et Brigada Callejera.

 

Elvira prend un lubrifiant hydrosoluble, complément idéal du préservatif, et demande aux participantes si elles l’ont déjà utilisé.

 

La réponse ne se fait pas attendre. Si on met du lubrifiant, ça glisse de suite, tandis que si tu ne mets rien, ça va te faire mal.

 

Entre un jeune vendeur de chewing-gums, bonbons et cigarettes. Il observe les filles, écoute attentivement la discussion pendant un moment puis se retire pour continuer sa journée de travail.

 

On entend maintenant les coups de tonnerre. On devine que loin d’ici, vers le centre de Tapachula, il pleut copieusement, car les nuages qui paraissaient compacts il y a peu ont commencé à s’estomper vers le bas, comme si quelqu’un était en train de les gommer d’un tableau.

 

Avec les seins, je n’y arrive pas, indique une serveuse à la poitrine proéminente, mais j’aime ça, ajoute-t-elle faussement honteuse. Elles observent comment mettre un préservatif avec les seins qui, serrés l’un contre l’autre avec les mains, “produisent” une cavité qui simule le vagin, Elles appellent cela la “chaqueta rusa”, le “gilet russe” (cravate de notaire en français), parce que cette pratique serait très répandue dans ce pays.

 

L’après-midi passe lentement et la lecture commentée en groupe de la bande dessinée se poursuit sans que rien ne distraie l’attention des participantes.

 

Faites attention quand vous avez des relations sexuelles “en levrette”. Moi, si je sens que ça vient par derrière, je leur dis que ce n’est pas la bonne route, qu’ils rebroussent chemin.

 

À la fin de la discussion, Médecins du Monde remet des préservatifs et des lubrifiants hydrosolubles à chaque serveuse et à la cuisinière ayant participé à l’atelier de prévention du VIH/Sida.

 

Toutes s’en vont. Dehors, la voiture de patrouille des policiers municipaux est toujours là et, peu après, les deux véhicules où voyage la délégation de Médecins du Monde France et Brigada Callejera sont arrêtés par un barrage routier. Il est environ 16h30.

 

L’information:

Un appel nous informe que vers six heures de l’après-midi, une opération policière contre la traite des personnes a été menée dans les bars ”Dragón Chino”, “Selene” et “El Rosal”.

 

L’opération s’est soldée par le soi-disant “sauvetage” de sept Honduriennes, qui seront expulsées dans les heures suivantes, selon ce qu’ont reporté au moins cinq médias locaux.

 

De même, les deux Honduriennes Lorenza Obdulia Reyes Núñez et Mirna Guadalupe Rodríguez Velázquez, et le Mexicain Jorge Manuel Reyes Pérez, gérants des établissements, ont été arrêtés en tant que responsables présumés des délits d’exploitation sexuelle.

 

Des membres du Bureau du procureur général de l’État (PGJE), du Secrétariat spécialisé dans les délits commis contre les migrants (PGJE), de la Police des frontières de l’État (Secrétariat à la sécurité et à la protection citoyenne), de l’Institut national des migrations (INM) et de la Police fédérale, constituant le Groupe des opérations contre la traite, le trafic et les gangs de la frontière Sud (Gottpa), ont participé à cette opération.

 

Un peu d’histoire:

En janvier de cette année, le Bureau du procureur général de l’État du Chiapas (PGJECh) a fermé plus de 250 bars, cantinas et boîtes de nuit. Plusieurs serveuses, danseuses, cuisinières et travailleuses du sexe ont alors expliqué qu’elles n’étaient pas victimes de traite des personnes mais elles n’ont pas été entendues.

Pendant cette période, face à l’impossibilité de travailler dans un établissement nocturne, celles qui n’exerçaient pas de commerce sexuel se virent contraintes de le faire et furent exposées à davantage de violence, comme le paiement de 200 pesos par jour pour pouvoir travailler dans la rue.

 

Le droit à la santé:

D’autre part, au Chiapas, tout comme dans le District Fédéral, à Puebla, Hidalgo, Quintana Roo, Jalisco et ailleurs, le préservatif est utilisé pour établir la responsabilité pénale dans les délits de proxénétisme, traite des personnes et même de délinquance organisée.

Et ce, malgré la communication DG/SNAT/93/13 émanant de la docteure Patricia Uribe Zúñiga, directrice générale du Centre national pour la prévention et le contrôle du VIH/Sida, qui demande aux procureurs de tous les organismes fédéraux de la République mexicaine de ne pas utiliser la présence d’articles de prévention du VIH et des IST tels que le préservatif comme preuve des délits cités et de contribuer ainsi à une utilisation plus importante de ceux-ci.

3 Commentaires

  1. Bonjour,

    Merci pour ce billet témoignage. Tous les éléments de contexte sont posés. Le climat est pesant. Les ecteurs sont dans leur jus. Le constat est clair.
    On retrouve ici, ce que l’on a constaté cet été en Birmanie, depuis de nombreux mois à Marseille ou ailleurs. Créer des liens avec les personnes les plus vulnérables n’est pas accepté par tous.
    La morale n’est pas éthique écrivaient les pionniers de la RdR. Aujourd’hui encore, nous nous devons de travailler cette question et résister.

    Solidairement

    • Cette chronique a été écrite par le partenaire de MDM au Mexique, Brigada Callejera. Nous avons souhaité la relayer car elle décrit très bien à la fois les activités mises en place par MDM et son partenaire dans le sud du Mexique avec les travailleuses du sexe dans les zones de tolérance, mais aussi les risques que ces femmes courent dans leurs pratiques quotidiennes. Sur la forme et le ton, il ne s’agit pas d’un relevé de mission (disponible par ailleurs) mais de la description d’un moment de travail entre MDM, son partenaire et les femmes avec lesquelles nous travaillons sur le projet.

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