L’association Médecins du Monde œuvre avec ses Missions France pour améliorer l’état de santé des populations précaires sur le territoire national. Pour ces personnes, elle cherche à favoriser l’accès aux soins, aux droits et à la prévention. Dans ce cadre, une mission bidonville a été créée à Nantes. Elle s’investit auprès de familles Roms. Un jeune infirmier hospitalier témoigne ici de sa pratique bénévole en santé publique.
C’est à bord d’un camion Médecins du Monde (MdM) aménagé que nous traversons Nantes pour aller à la rencontre de la population Roms, installée en périphérie de ville. Cet après-midi-là, nous avons eu du mal à localiser le nouveau terrain sur lequel nous devons intervenir. Le campement est tout juste constitué, suite à une récente expulsion.
Assez vite, nous allons à la rencontre des femmes et des enfants pour nous présenter. « Médecin du monde, on vous connaît ! », répondent plusieurs d’entre elles. La mission bidonville œuvre auprès des familles Roms depuis plusieurs années ; un lien de confiance s’est instauré. Ainsi, ces dernières nous reconnaissent et lorsque nous arrivons, elles nous laissent les approcher.
- Dès notre arrivée, nous sommes sollicités pour ausculter plusieurs enfants. Le médecin de la mission les prend en charge. À première vue l’un des enfants est malade. Il tousse et a de la fièvre. Une femme souhaiterait également de l’aide pour comprendre un courrier qu’elle vient de recevoir de l’hôpital.
- De mon côté, j’observe les dents des enfants. J’ai mis en place au sein de la mission un plan de prévention bucco-dentaire pour sensibiliser les enfants Roms à l’hygiène des dents et de la bouche. Les sourires et dents que j’observe cet après-midi-là sont abîmés, de nombreuses dents sont cariées voire absentes.
Plus loin un petit de 5 ans m’étonne ; son biberon contient du coca et lorsque je discute avec ses deux sœurs de l’importance de se brosser les dents, l’une me dit avoir une brosse à dent et l’autre non.
Le constat est clair : le brossage des dents n’est pas fait. Les dents s’abiment et aucun suivi médical n’est mis en place, presque qu’aucun enfant n’est allé voir un dentiste.
Faire réfléchir autour de la santé bucco-dentaire
Je propose à quelques enfants de participer à un atelier brossage des dents. C’est parti : à l’aide d’une mâchoire géante et d’une grosse brosse à dents, nous commençons à brosser dans un sens puis dans l’autre. Un geste simple que les enfants répètent en s’amusant.
Puis, j’installe notre outil pédagogique sur la table au milieu du petit groupe. Il s’agit d’un ensemble de feuillets plastifiés avec des photos et des messages traduits en roumain. Le premier volet de l’outil présente le dentiste et incite les enfants (et les parents) à aller le consulter quand ils ont très mal aux dents. Le deuxième feuillet compare un beau sourire et un sourire tout carié…
Avec l’aide de notre interprète franco-roumaine, nous discutons autour des images et des messages de prévention. Une fillette nous demande si les bactéries qui attaquent les dents sont de grosses bêtes vertes et moches comme sur l’image. Cette question nous fait sourire.
Comme pour tout groupe d’enfants, le fait de rester attentif pendant plusieurs minutes sur un sujet « sérieux » lié à la santé est difficile. Sauf si les messages sont rendus ludiques. Ce jeune public est ravi de se lancer dans une activité de coloriage de dents et de sourires, de s’exercer au brossage des grosses dents de nos maquettes et mâchoires géantes, ou encore de jouer en répondant à des questions pratiques en lien avec l’hygiène bucco-dentaire.
Des objectifs adaptés et réalistes
La mission Bidonville s’appuie sur la charte d’Ottawa de 1986 (1) pour fixer ses objectifs. Le projet de santé bucco-dentaire fait partie intégrante de plusieurs axes de la charte. Celui sur lequel la mission Bidonville a décidé de se mobiliser est celui qui vise « le développement des aptitudes individuelles et collectives des femmes pour limiter les risques de problèmes de santé pour elles et leurs enfants ».
MdM œuvre pour renforcer l’accès aux soins des familles Roms, notamment auprès de la médecine de ville. – C’est pourquoi nous sensibilisons les enfants afin qu’ils rencontrent le dentiste dès que leurs dents sont douloureuses.
– Nous cherchons également à éduquer en ce sens les adultes, leurs parents. Conduire son enfant chez le dentiste n’est pas facile, nous confie une habitante du terrain : « je n’ai pas de véhicule et le premier bus ne conduit pas directement dans le centre ville ». Ainsi, l’accès à un dentiste de ville n’est pas une habitude pour les Roms. Ils connaissent bien en revanche le centre hospitalier et les soins gratuits que dispense la Permanence d’accès aux soins de santé (PASS) dentaire de l’école dentaire de Nantes.
– Nous avons constaté à plusieurs reprises que l’alimentation des enfants et des adultes est très sucrée. Une maman nous confie qu’elle distribue volontiers des bonbons ou boissons sucrées à ses enfants pour leur faire plaisir. Vivre à l’écart des autres, dans la précarité et parfois l’insalubrité est très difficile. Elle ne souhaite donc pas contraindre ses enfants sur le sucre.
– Isolée et en grande précarité la maman d’Isabella nous dit, pour sa part, qu’elle ne pourra pas conduire sa fille chez un médecin. Pourtant, elle suit attentivement l’atelier. Elle demande à sa fille d’être attentive et surtout de bien utiliser sa brosse à dents. Le simple fait d’acheter une brosse à dents et du dentifrice est difficile pour bon nombre de ces familles très pauvres ; le peu de ressources dont elles disposent étant utilisé pour des dépenses alimentaires.
Même si notre message et nos conseils sont importants nous mesurons bien les limites de notre action. C’est pour cela que nous avons réalisé un partenariat avec une marque de dentifrice qui nous a fourni gratuitement plusieurs centaines de brosses à dents pour adolescents et enfants. Chaque jeune ayant participé à l’atelier reçoit donc une brosse en cadeau.
Des messages de prévention à mettre en perspective
Pour réfléchir au sens de notre action et ajuster les messages éducatifs adressés aux enfants et aux parents, le recueil des conditions indispensables à la santé décrites dans la charte d’Ottawa (1) et la pyramide des besoins décrits par le psychologue américain Abraham Maslow (2) sont très utiles.
Pour être en mesure d’entendre les messages et/ou les enseignements en santé bucco-dentaire, il faut considérer que la personne en face de nous soit dans sa phase d’accomplissement personnel ; ce qui correspond au niveau le plus haut de la pyramide de Maslow. Cela indique que cette personne a de l’estime pour elle même, qu’elle est en confiance et intégrée dans sa communauté. Pour atteindre ce niveau, cela suppose aussi qu’elle peut répondre à ses besoins physiologiques : manger, boire, dormir, respirer. Et enfin qu’elle se sent en sécurité, celle du corps, de l’emploi, ou encore de la santé.
Si l’on transpose ces données au public Roms rencontré lors de ces missions, nous constatons, pour ce qui est des besoins physiologiques, qu’il est déjà difficile pour une famille de se nourrir correctement. L’accès à l’eau potable n’est pas toujours assuré sur les terrains de squat. Les caravanes sont souvent en mauvais état. Les familles souffrent de l’humidité et du froid, l’hiver, ainsi que du manque de place avec fréquemment 6 personnes logées dans une même caravane.
Les Roms sont nomades*. Ils ne sont pas propriétaires des terrains qu’ils occupent, souvent, de manière illégale ; d’où de fréquents conflits avec les propriétaires, le voisinage et les municipalités. Ces situations contribuent à générer de la méfiance à leur encontre et les expose à des critiques parfois vives, voire à des violences. La police est régulièrement présente autour d’eux. Tous ces aspects ne sont pas propices à créer un sentiment de sécurité.
L’emploi est quasi inexistant pour la majorité des hommes. La barrière de la langue rend leur intégration professionnelle compliquée.
Souvent installées illégalement sur un terrain, les familles Roms sont susceptibles de se déplacer du jour au lendemain, volontairement si l’expulsion est proche ou forcée par les autorités policières. Les efforts d’intégration sont alors réduits, notamment pour les enfants scolarisés.
C’est pourquoi, parmi les demandes concrètes de MdM aux pouvoirs publics, la fin à toute expulsion sans solution de relogement, notamment pour les femmes et les enfants, est une condition essentielle pour assurer un suivi médical.(3)
Conclusion
Faire de la prévention dans ces situations est difficile. Capter l’attention des adultes et des enfants, essayer d’intégrer dans leur quotidien la question du brossage des dents et, plus globalement, de la santé de la bouche paraît très peu prioritaire au regard des problèmes de la vie courante qui se posent à eux. Et pourtant ! En 2015, cette action Hygiène Santé bucco dentaire prend un nouvel élan. Elle associe les étudiants en dentaire qui le souhaitent, afin qu’ils s’engagent à diagnostiquer et surtout soigner les jeunes Roms au sein de la PASS dentaire. Ce pari sur l’avenir est aussi un moyen de créer du lien entre les futurs dentistes en cabinet et les populations précaires qu’ils rencontrent peu souvent.
Par Morgan Houguet, infirmier bénévole à MdM Nantes, publié dans la Revue Infirmière
*Précision de Jean François Corty, directeur des opérations France : “Ils ne sont pas nomades en tant que tels, mais ce sont les expulsions répétées de lieux de vie sans alternative de relogement qui leur imposent une errance forcée.”