Un papier sur les migrants, est-ce bien le moment ?

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Photo de Guillaume Pinon

Prendre fuite vers le vrai froid

Un papier sur les migrants, est-ce bien le moment ?

Les médias en débordent soudainement. Le sujet est devenu si compliqué que le texte ici présenté sera forcément parcellaire, sinon tendancieux. A MDM, nous nous soucions depuis longtemps de ces personnes en déplacement. Au-delà d’augmentations progressives des migrations en général, les choses ont-elles changé en profondeur ? Pas vraiment sans doute.

 

Mare monstrum,
desertus mortifero diabolicus

Trois cent quatre-vingt mille migrants sont entrés en Europe depuis le début de l’année, un million seraient autour de la Méditerranée prêts à «prendre la mer» (sic). Les passeurs s’en donnent à coeur joie, tout le monde vend qui des canots gonflables, qui des gilets de sauvetage.

Les journalistes, les politiques se repaissent tout à coup de milliers de submergés quasi quotidiens. Ces noyés, c’est épouvantable certes. Mais peu de personnes évoquent l’avant-Méditerranée, bien plus terrible encore. Pour les sub-Sahéliens, la traversée du Sahara, pour les Érythréens, le Sinaï, sont les lieux des pires exactions ; rançonnements, viols, abandons en plein désert sont légion. Pour les Africains arrivés au Maghreb par exemple, cette traversée du désert constitue un repoussoir puissant à un retour qui serait somme toute plus raisonnable. Nul doute que les Syriens fuyant un théâtre de guerre subissent des situations aussi éprouvantes et dangereuses. Nous tentons d’intervenir en Méditerranée, comment être présents avant ?

Les responsables et les médias posent surtout en permanence cette frontière (resic !) fameuse entre migrant (terme devenu péjoratif) économique, la plèbe, la lie, et réfugié politique, représentant de l’aristocratie du déplacé. Disons-le tout de suite, cette dichotomie n’est pas entendable. D’abord la Déclaration des droits de l’homme dit bien que tout un chacun a droit au gîte, au couvert, à faire des études, à avoir un travail, à pouvoir éduquer ses enfants dignement, les droits économiques et sociaux donc, avoir un niveau de vie suffisant… Il n’y pas de migrant économique sans une bonne note politique.

Pourquoi tous ces errants bougent-ils ? Cela paraît évident quand ils partent de zones en guerre ; mettons déjà un bémol, on «bouge» beaucoup mieux quand on a les moyens. Pour ce qui concerne les pays pauvres, les choses sont beaucoup moins claires. J’ai par exemple habité plusieurs années en Centrafrique (puis à Mayotte), il faut bien dire qu’on n’y sent pas vraiment, pas du tout, la «pression émigratoire». Même les pires trajets par le désert, par la Méditerranée… sont le fait d’individus qui ont des moyens importants, qu’ils dépensent sur leur route en passeurs et passages divers, des riches en leur pays donc… Pour cette définition du soi-disant migrant économique, on repassera. Les vrais pauvres, multitude de ces pays, restent là-bas, n’ont toujours pas de travail, ne mangent toujours pas et tout à l’avenant.

Vont-ils venir tous ces gueux ? C’est le sujet du bouquin de Raspail «le Camp des saints» publié en 1973, réimprimé récemment et bien agité par l’extrême droite, marine en tête. Il conte l’immigration massive et brutale d’un million de miséreux indiens embarqués sur des cargos faméliques qui, après une navigation meurtrière, parviennent à la Côte d’Azur. Durant les six mois que dure la traversée, les pays du Nord passent de la bienveillance humaniste à la panique totale. En réalité, comme maintenant, si nécessité de migration il y a, ces plus pauvres resteront sans doute alentour de chez eux.

 

 

Exit, voice, loyalty

Mais pourquoi vraiment ces migrants, ces réfugiés partent-ils ?

Dans une thèse que nous avons consultée pour écrire les termes de référence de la future mission explo evoquée plus loin, l’auteur interprète les stratégies de départ à l’aune de la théorie d’un économiste américain, O. HIRSCHMAN, qui offre une grille de lecture fort simple d’un problème quasi quotidien. Comment réagir si un bien ou un service baisse en qualité ? Trois solutions sont possibles : continuer à utiliser ce service, rester loyal ; protester (voice) ; faire défection (exit). Reconnaissons que ce schéma d’apparence simpliste s’applique assez aisément aux décisions de migration.

En Centrafrique et en Algérie, pour des raisons fort différentes, rester là et loyal est bien déprimant alors que cela concerne la plupart. Protester est très peu agissant en Centrafrique en l’absence de tout État efficace, en Algérie parce que ce dernier n’entendra rien… Reste la solution du départ, de l’exit qui souvent appelle les plus malins, les aventuriers, mais riches aussi.

 

En Algérie, sub-sahéliens et harraga

Quelques mots à propos de la mission Algérie qui a pour sujet les migrants.

Le premier programme d’accompagnement des sub-Sahéliens vers le système de soins et l’acquisition de droits va sur sa fin ; nous cherchons à nous en désengager.

 Le projet tourné vers les femmes ayant des pratiques sexuelles à risque imposées, principalement sub-sahéliennes, à Oran, a été accepté et vient de trouver ses premiers financements de la part de l’Union européenne (hosanna !). S’appuyant sur un lieu d’accueil fixe, l’action cherchera à offrir à ces femmes, grâce à nos partenaires médicaux et médico-sociaux, le meilleur des soins de santé reproductifs aussi bien en promotion de la santé qu’en prévention et prises en charge médicales.

 Le tryptique de la mission porte maintenant ses regards vers les harraga. Ce sont des Algériens, principalement des jeunes hommes, qui tentent de quitter le pays, sans passeport, ni visa, sur des barques, au péril de leur vie. En dialecte, harraga signifie «brûleur», car ces personnes «brûlent» les frontières et les étapes nécessaires théoriquement imposées par les États. S’ils arrivent en Europe, ils ont également tendance à brûler, leurs papiers d’identité.

Ces harraga expriment un des modes de désespérance de la jeunesse algérienne devant l’absence de perspective de vie, l’immobilité d’une société incapable d’offrir travail et ressources propres à fonder famille, ou même loisirs actuels etc. Le départ peut être senti comme impératif malgré ses dangers ou en vertu de ses dangers : on sent bien combien la prise de risques insensée de la traversée de la mer en barquasse est en réalité vécue comme une initiation nécessaire. On peut repérer aisément, chez les harraga en puissance comme chez ceux ayant vécu un échec de sortie, des besoins d’accès aux soins de santé mentale, la nécessité d’une prise en charge de qualité adaptée à ces jeunes en situation de vulnérabilité, d’errance, de marginalité et parfois de désaffiliation. L’Algérie est un des très rares pays (avec Cuba, la Tunisie..) à avoir judiciarisé les tentatives d’émigration de ses ressortissants.

Nous sommes en train d’étudier le principe d’une mission exploratoire dont l’objectif général sera d’évaluer les besoins sanitaires et sociaux et les attentes des harraga vivant dans la précarité à Alger et Annaba.

L’homme a toujours migré, c’est d’abord grâce à cela qu’il a conquis le monde. Le grand nomadisme presque éteint perdure sans doute dans ces exit que nous recevons… Ces migrations cependant se voudraient sans doute temporaires. «Prendre fuite» et connaître «le vrai froid» comme l’énoncent les personnes d’Afrique centrale venues en Europe reste toujours associé à l’idée d’un retour prodigue, bien souvent rendu impossible par les politique restrictives à la circulation.

Philippe GABRIE
Publié dans Lettre et Débats – publication interne de la délégation Midi-Pyrénées

 

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