Photographie de Benoit Guenot
Refus d’attribution de cartes de séjour temporaire pour raison de santé aux étrangers malades, une dérive inquiétante ?
Depuis quelques mois, le Collectif Toulousain pour le Droit à la Santé des Étrangers (CTDSE) s’est ému du taux de refus d’attribution des CST (carte de séjour temporaire) aux étrangers malades à Toulouse. Le rapport d’observation sur le droit de séjour des étrangers malades, réalisé par la « Case Santé », centre de santé très impliqué dans les soins aux migrants, montre clairement une brusque augmentation du taux de refus de l’autorité préfectorale pour l’attribution des CST depuis 1 an. Le taux d’avis favorables est passé de 91% en 2012 et 93% en 2013 à 40% en 2014 ; le taux de refus de 60% ne peut s’expliquer ni par une modification des critères de décision ni modification du contenu des dossiers qui sont restés comparables. Ce changement brutal, survenant dans un contexte de repli identitaire de nombreux pays européens associé à une montée inquiétante des sentiments xénophobes et à l’indifférence, pour ne pas dire plus, face aux drames qui se jouent actuellement dans les phénomènes migratoires en mer Méditerranée, ne peut que questionner le monde associatif humanitaire.
Qu’en est-il exactement du problème, de son importance, des textes et décrets qui le réglementent, des réponses de l’autorité publique aux questions qu’il pose ?
Au plan national, environ 26 000 demandes de CST sont déposées chaque année (6 000 demandes de primo arrivants et 20 000 renouvellements (cf rapport de mission ministérielle sur l’admission au séjour des étrangers malades, 2013). Ce n’est pas le déferlement que nous décrivent certains responsables politiques en quête des voix de l’identité nationale ! Le nombre d’étrangers qui se prévalent de leur état de santé pour être admis au séjour est stable depuis 1998 et représente 0,8% des étrangers en France. En Midi-Pyrénées, comme dans l’ensemble de la France, les nationalités les plus représentées sont les pays de l’Afrique Sub-Saharienne, du Maghreb, du Caucase et de l’UE (Cf rapport observatoire de Médecins du Monde). Ceci a son importance car les critères de la décision font intervenir la qualité des structures sanitaires du pays d’origine. Les pathologies les plus fréquentes pour lesquelles est demandée une CST sont : les maladies psychiatriques 25%, les maladies cardiovasculaires 9%, le handicap 9%, le VHB 7%, le VHC 5,5%, le VIH 6%, le diabète 6% (rapport Case Santé sur 223 dossiers)
La procédure de demande de CST se déroule en 3 phases
Dépôt de demande, nécessitant un certain nombre de pièces justificatives (justificatif de présence en France depuis au moins 1 an, certificat médical non descriptif) le justificatif d’entrée légale sur le territoire Français n’est pas exigible. Lors du dépôt, il est donné au demandeur la liste des médecins agréés. II devra consulter l’un d’eux pour un examen médical et l’obtention d’un certificat médical détaillé à destination du médecin de l’agence régionale de santé (MARS) ; il devrait aussi, légalement, lui être remis un récépissé de demande, celui-ci étant quelques fois refusé.
L’instruction du dossier est réalisée à 2 niveaux : le MARS donne un avis consultatif sur la nécessité d’un traitement et la possibilité, ou non, pour le patient d’en bénéficier dans son pays d’origine, sans faire état des données médicales couvertes par le secret médical et l’autorité préfectorale prend la décision, sur des critères administratifs (mesure d’éloignement du territoire déjà prise, même ancienne, menace à l’ordre public, contrôle de la résidence en France depuis plus d’un an) en tenant compte, ou non, de l’avis du MARS.
La décision favorable consiste en l’attribution d’une CST donnant un droit au travail et à une couverture médicale (CMU) pendant la durée de la prise en charge thérapeutique nécessaire ou à, ce qui devrait être exceptionnel mais qui ne l’est malheureusement pas, une Autorisation Provisoire de Séjour (APS), qui ne devrait être délivrée que dans le cas où il ne peut être prouvé une présence sur le territoire français depuis plus d’un an. Cette APS ne donne que très rarement droit au travail ou à une couverture médicale qui se résume le plus souvent à l’Aide Médicale État (AME). Le refus quant à lui s’accompagne le plus souvent d’une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) dans un délai de 1 mois, ce qui conduit le patient, quand les conditions sont remplies, à déposer un recours contentieux.
Cette procédure est à l’origine de nombreux dysfonctionnements notés par la mission ministérielle elle-même : refus d’enregistrement de demandes, refus de délivrance de récépissé lors de la demande, demandes abusives de pièces non exigibles, attribution d’une APS alors que la demande justifierait une CST mais surtout une variabilité des décisions d’une région à l’autre et d’un MARS à l’autre dont les avis aléatoires sont pris en fonction d’informations imprécises.
Que disent précisément les textes sur les critères d’admission au séjour des étrangers malades ?
La loi Debré (1997) a instauré la protection des étrangers malades contre l’éloignement du territoire.
La loi Chevènement (1998) a instauré la délivrance d’un CST pour raison de santé aux patients résidant en France depuis plus d’un an, atteints d’une pathologie aux conséquences d’une exceptionnelle gravité et ne pouvant pas bénéficier, effectivement, du traitement approprié dans leur pays d’origine.
En 2011, une modification du texte de la loi a remplacé le terme de non accès effectif au traitement approprié dans le pays d’origine par la seule notion d’indisponibilité du traitement. Il ne s’agit pas là, comme on pourrait le penser, d’une simple précision sémantique mais d’une réelle remise en cause du droit des étrangers malades vivant en France car, en ne prenant en compte que la disponibilité du médicament, sans évaluer l’organisation sanitaire, les dispositifs médicaux et les compétences humaines nécessaires au suivi, à l’évaluation et aux conséquences des traitements, cette disponibilité ne garantit en rien l’accès au traitement et son efficience.
Conscient de ces difficultés, le gouvernement a chargé, en mars 2013, une mission ministérielle d’élaborer un rapport sur l’admission au séjour des étrangers malades pour évaluer et faire des propositions sur cette question. Celui-ci proposait :
– Au plan législatif, de faire explicitement référence à la capacité globale du système de santé du pays d’origine à garantir un traitement approprié.
– Au plan réglementaire, d’expliciter les critères médicaux définissant les termes «conséquences d’une exceptionnelle gravité».
Ce rapport proposait par ailleurs l’envoi d’une instruction générale aux préfets, la construction d’un référentiel médical permettant d’évaluer les conséquences d’une absence ou d’un arrêt de la prise en charge de la pathologie, la prise en compte de la situation des conjoints ou des parents d’enfants malades, la mise à disposition de référentiels médicaux et d’informations sur l’offre de soins du pays d’origine du patient ; enfin il proposait le transfert à l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration des missions d’évaluation dévolues aux Agences Régionales de Santé (ARS) et au MARS.
Pour l’instant 2 instructions ministérielles inchangées continuent à régir le dispositif :
– L’instruction du 29 juillet 2010 qui, après un rappel des procédures et un état des dysfonctionnements, recommande : une harmo-nisation des pratiques, une sollicitation, quand cela est nécessaire, d’une commission générale prévue à cet effet, une coordination des services et un respect absolu du secret médical. L’annexe 3 de l’instruction précise clairement que dans les pays en développement l’accès nécessaire à la surveillance médicale et aux soins ne sont pas garantis pour les patients porteurs de VIH et VHC.
– L’instruction du 7 mars 2014, suivant les préconisations de la mission ministérielle de 2013 reprend les recommandations précédentes et précise les critères qui définissent les conséquences d’une exceptionnelle gravité : engagement du pronostic vital, atteinte grave d’une fonction importante ou atteinte de l’intégrité physique dans un avenir proche en l’absence de traitement. Ce sont les conséquences de l’absence ou de l’arrêt du traitement qui doivent être évaluées et non la pathologie elle-même.
A la lecture de ces instructions, on comprend que la décision dépendra de l’appréciation de la qualité du système sanitaire du pays d’origine et c’est là que peut prendre place l’arbitraire. Les MARS n’ont à leur disposition que des fiches pays qui se résument, bien souvent, à la présence ou non du médicament dans le pays d’origine et ne sont donc d’aucune utilité pour présager de l’accessibilité aux traitements.
Quelles sont les réponses de l’autorité préfectorale locale à notre questionnement sur les multiplications de refus d’attribution des CST ?
Le CTDSE a sollicité une réunion avec les responsables de l’ARS de Midi-Pyrénées pour tenter de comprendre les raisons de ces décisions. Celle-ci a eu lieu le 7 avril 2015 en présence du directeur général adjoint (DGA). Les réponses du DGA ont été les suivantes :
– Le MARS est totalement indépendant et n’a aucune relation directe avec une autorité politique,
– Les décisions de refus de CST pour les patients porteurs de VIH sont marginales (8 refus en Haute Garonne pour 15 refus au plan national !!) ; les patients atteints, ainsi condamnés, apprécieront le qualificatif.
– Si les avis antérieurs étaient favorables on peut admettre qu’ils étaient erronés,
– Le refus des dossiers de patients atteints de pathologies psychiatriques est justifié car ils faisaient trop référence à des éléments subjectifs (mais la subjectivité n’est-elle pas un élément inhérent à la pratique psychiatrique ?)
– Quant à la qualité de l’organisation sanitaire du pays, elle est évaluée par l’indice de développement humain de l’OMS.
Tout cela n’est pas acceptable :
Tout médecin sait qu’un arrêt de traitement est un arrêt de mort pour un patient porteur du VIH et représente un grave danger pour un patient porteur du VHC. L’argument avancé est que le pays ne peut pas soigner «toute la misère du monde». Soit, alors, disons clairement et assumons que la France, pays parmi les plus développés au monde, disposant d’un système de santé particulièrement performant, condamne, pour des raisons économiques, un certain nombre d’étrangers vivant sur son sol et porteurs d’affections chroniques graves (VIH, VHC, diabète déséquilibré, HTA non stabilisée, cancers évolutifs..) à une mort prochaine par absence de soins. Quant à l’appréciation des possibilités sanitaires du pays d’origine, en particulier des régions subsahariennes dont sont issus la majorité des patients, tous les acteurs humanitaires qui y ont effectué des missions peuvent témoigner du dénuement quasi total des structures sanitaires et de leur incapacité absolue à proposer des traitements appropriés à ces patients gravement atteints.
Non, les migrants du Sud, en France depuis 1 an, ne sont pas venus chercher des soins gratuits ou une hypothétique protection sociale. Toutes les études le confirment (Institut National de Veille Sanitaire, Inserm, Comede, Observatoire de MDM) 90% des personnes concernées ont découvert leur maladie lors d’un examen médical en France. Par ailleurs, on ne traverse pas des déserts brûlants et des mers dangereuses, à des prix exorbitants, aux mains de passeurs mafieux, au péril de sa vie, pour une «protection sociale». Ces femmes et ces hommes fuient la violence, la guerre, la misère. Quand, proches de nous, la maladie les frappe ils doivent nous trouver à leur côté.
Dr Max PLANTAVID, pneumologue bénévole au CASO de Toulouse