Photo de Thierry du Bois
Télécharger le Rapport moral
Retransmission de la présentation du Rapport moral 2014 au vote des adhérents à l’assemblée générale du 30 mai 2015
Décrire les activités de Médecins du Monde pour ce rapport moral 2014, c’est faire l’inventaire des dysfonctionnements du monde et de leur évolution. La multiplication des crises humanitaires et la crise économique persistante en Europe impliquent la croissance de nos actions de solidarité. Elle est nécessaire mais elle n’est possible que grâce au soutien sans faille de nos donateurs privés et à l’efficacité de notre recherche de fonds auprès des bailleurs publics. Tous connaissent et reconnaissent la qualité du travail de Médecins du Monde sur le terrain, comme la solidité et la pertinence de son modèle associatif.
Médecins du Monde s’est doté en décembre d’un budget pour 2015 en croissance sensible pour la troisième année consécutive. Ce budget dégage des moyens pour permettre aux salariés de faire face dans de bonnes conditions à l’augmentation de l’activité. Il prévoit aussi des investissements complémentaires pour rallier de nouveaux donateurs en France et en Europe.
Ainsi, Médecins du Monde peut s’adapter en permanence aux convulsions du monde, ouvrir de nouveaux programmes dans des pays confrontés à des crises sanitaires majeures ou à la guerre.
Il le faut pour agir dans ces zones grises dont la liste s’allonge. Des États s’affaissent, le droit avec eux, la violence y règne. La santé des plus faibles n’y est plus considérée que comme un dégât collatéral, une quantité négligeable.
Nous sommes face à l’impérieuse nécessité de donner plus de sens à notre action, plus de force à notre témoignage, plus de résonance à notre solidarité
Photo de Guillaume Pinon
Un chaos contagieux
Lors du forum de l’assemblée générale, il y a un an, le professeur Henry Laurens du Collège de France introduisait dans nos débats la notion de « fabrique de réfugiés » à propos du conflit syrien. Les témoignages de nos équipes qui travaillent en Syrie confirment que cette fabrique tourne toujours à plein régime, quatre ans après le début du conflit. La crise humanitaire est terrible. Personne n’ose en prédire la fin. Pire : en s’exportant, le chaos syrien a rattrapé l’échec irakien. Certains acteurs armés font de la violation des droits humains fondamentaux leur signature. La mise en scène et en images d’actes de barbarie sème l’effroi et la terreur. Les populations fuient, toujours plus nombreuses, sans perspective de retour.
Dans ce contexte de guerre civile durable, Médecins du Monde déploie des moyens accrus pour répondre au mieux aux demandes des populations. C’est la proximité, le co-agir, le partage des savoirs qui nous aident à être justes dans nos interventions. Nous continuons nos activités de soins de santé primaires et de prise en charge des problèmes de santé mentale en Jordanie et au Liban, où notre partenariat avec l’association libanaise AMEL est exemplaire. Nous développons nos activités en Turquie où plus de deux millions de réfugiés sont désormais présents. Dans la zone kurde irakienne, avec l’aide d’anciens partenaires, nous prenons en charge les déplacés Yézidis.
Nos équipes soignantes sont elles-mêmes essentiellement composées de professionnels déplacés. Les témoignages et les récits de leur fuite sont effrayants. Les contraintes de sécurité sont énormes, je voudrais dire mon admiration à ceux qui assument cette prise de risque au quotidien pour porter secours aux populations.
Photo de Thierry du Bois
Ebola
Les trois pays qui ont été touchés par l’épidémie due au virus Ebola, la Sierra Leone, le Liberia et la Guinée, n’avaient ni les moyens ni les ressources pour l’affronter. Dans ce contexte, les ONG ont travaillé en fonction de leurs spécificités : soutien et renforcement des capacités des systèmes de santé, ouverture de centres d’isolement, éducation à la santé des communautés (sensibilisation, information).
Au Liberia, Médecins du Monde a appuyé 5 structures sanitaires desservant 600 000 personnes à Monrovia, la capitale. Dans le sud-ouest de la Côte d’Ivoire voisine, nous avons travaillé à l’éducation et à la prévention auprès de 125 structures à San Pedro, Sassandra, Gueyo et Soubre, pour environ deux millions d’habitants.
En Sierra Leone, MdM Espagne a d’abord travaillé à renforcer les capacités de réponse des acteurs locaux, puis a ouvert un centre de soins et d’isolement avec l’appui de MdM Angleterre. Les dernières données montrent une décroissance de l’épidémie. Cette crise a démontré une fois de plus que le renforcement des systèmes de santé avec les acteurs locaux et des moyens adéquats est la seule voie possible pour une amélioration réelle de l’état de santé des populations.
République centrafricaine
En République centrafricaine, après les affrontements de 2013 et l’intervention de l’armée française relayée depuis l’été 2014 par une force internationale mandatée par les Nations unies, la situation reste instable, en particulier à Bangui. Dès que les conditions de sécurité l’ont permis, les équipes de Médecins du Monde ont d’abord pris soin des populations déplacées. Puis dans un deuxième temps, en partenariat, elles ont travaillé à la réhabilitation et à la réouverture des structures de santé. Nous avons voulu équilibrer nos interventions en travaillant aussi auprès des populations centrafricaines réfugiées au sud-est du Cameroun voisin. Un programme de santé sexuelle et reproductive doit prochainement ouvrir dans le district de Moloundou.
Mali
La zone sahélienne reste fragile et dangereuse. La fusillade de Bamako au Mali
en mars dernier est venue tristement nous le rappeler. Nous avons décidé de maintenir des projets ambitieux, de ne pas renoncer. Mais la vigilance reste de mise. Si l’accord de paix qui se dessine devait rester lettre morte, de nouveaux conflits sont à redouter.
Photo de Mylène Zizzo
Palestine
2014 aura aussi été marquée par une nouvelle intervention de l’armée israélienne dans la bande de Gaza. Une intervention asymétrique qui éloigne un peu plus la perspective d’une paix entre Israéliens et Palestiniens. Des structures de santé ont été détruites, sans que cela ait empêché nos équipes de porter secours rapidement aux populations. Après un été de deuil, Gaza reste comme une prison à ciel ouvert qu’il faudrait reconstruire.
Birmanie
Des mauvaises nouvelles sont venues de Birmanie. Dans la région du Kachin, en proie à un conflit de basse intensité où un groupe armé réclame l’indépendance, deux travailleurs pairs ont été arrêtés, puis jugés et emprisonnés en vertu de la loi birmane qui pénalise les usagers de drogues. Nous continuons à les soutenir, et, avec l’appui d’avocats, nous essayons d’écourter leur peine. Les élections à venir en Birmanie expliquent pour partie ces tensions. Dans ce pays, la démocratie reste un combat, tout comme le droit à la santé.
Colombie
Une note d’espoir nous arrive de Colombie. Le processus de négociation des accords de paix de La Havane semble bien engagé. Après 50 ans de conflit, les acteurs des deux camps affichent leur confiance. Si la paix arrive enfin, il nous faudra définir une nouvelle stratégie d’intervention. Depuis des années, nos missions mobiles soignent les populations dans les zones d’affrontement. Notre espoir d’acteurs de santé est désormais de pouvoir construire la paix avec les Colombiens.
Photo de Nadia Berg
Opération Sourire
L’Opération Sourire a fêté ses 25 ans. L’audacieuse initiative de François Foussadier a fait son chemin. Depuis 1989, nos équipes chirurgicales partagent la fierté des personnes opérées qui peuvent de nouveau se regarder dans le miroir et retrouver leur dignité. De nouvelles équipes de Médecins du Monde s’inscrivent dans cette dynamique, des Hollandais, des Japonais, des Allemands. Nous voulons insister sur le suivi et l’évaluation de ces processus de réhabilitation, sur la formation et le compagnonnage, pour demain imaginer dans nos pays d’intervention des centres d’excellence où des équipes chirurgicales pourraient « se jumeler ».
Un pays riche confronté durablement à la crise
Être solidaire en période d’austérité, c’est miser sur les valeurs de nos militants. C’est affirmer que les retards de soins ne sont pas une fatalité, que nous avons tout intérêt à mieux prendre en charge la santé des personnes quel que soit leur statut, car elles sont des sujets de droit à part entière. C’est une question de dignité pour les personnes concernées et, au-delà, pour notre société.
Le 17 octobre, nous avons présenté les résultats du rapport de l’Observatoire de Médecins du Monde sur l’accès aux droits et aux soins. Nous avons redit que le nombre de mineurs dans nos Caso ne cesse d’augmenter. Nous avons redit notre indignation devant l’insuffisance des moyens et des lieux d’hébergement pour les protéger. Les tests osseux dont l’administration se sert pour déterminer leur âge ne servent trop souvent qu’à les renvoyer dans la rue et n’ont pas de valeur scientifique. À supposer qu’ils en aient une, comment croire qu’à 18 ans et un jour la rue deviendrait pour eux un horizon acceptable ?
Les données du rapport de l’Observatoire démontrent aussi que l’insécurité alimentaire n’est pas qu’une abstraction. Dans les rues de ce pays, des familles et des enfants ont faim.
Elles révèlent aussi que des femmes enceintes en situation de précarité sont souvent contraintes de vivre leur grossesse dans une grande solitude, qu’elles sont fréquemment obligées d’errer d’un hôtel social à un autre, pendant ces neuf mois d’attente. Le retard de suivi de grossesse est la règle alors même qu’il s’agit le plus souvent de grossesses à risques.
Par une exposition de portraits sur le parvis de l’hôtel de ville à Paris, nous avons symboliquement voulu donner des visages à nos chiffres. Nous avons pu montrer que derrière les données statistiques de l’Observatoire, il y a des histoires humaines faites de dignité et d’engagement.
Photo de Valentin Fougeray
Pour nos prises de parole à venir, la question de fond concernant les 500 000 sans-papiers vivant sur notre territoire n’est pas seulement une question de droit à la santé, c’est une question plus globale de droits humains et de dignité. Pour les personnes vivant durablement sur notre territoire, MdM appelle de ses vœux la création d’un collectif pour la régularisation, seul vrai sésame vers l’accès aux droits et aux soins.
Pour compléter le plaidoyer de Médecins du Monde en France, il faut souligner tout le travail fait autour des bidonvilles. Hébergement et logement, pensés dans un continuum, permettraient d’éviter les ruptures et d’accompagner les familles vers des solutions durables de mise à l’abri.
Médecins du Monde continuera à aller à la rencontre des personnes précaires, à les soigner, à leur faire connaître leurs droits pour qu’elles bénéficient comme tout un chacun des soins prévus par les dispositifs de droit commun.
Il faut cesser d’opposer les pauvres les uns aux autres. Il y a urgence à prescrire de la solidarité dans ces temps de crise !
Ici et là-bas, un même combat
Dans les pays à ressources limitées, nos patients confrontés à l’hépatite C meurent alors qu’existent de nouveaux traitements efficaces… mais hors de prix ! Nous sommes exactement dans la même logique de barrière financière que celle que nous avons connue pour le VIH à la fin des années 1990 avec les trithérapies. C’est pourquoi Médecins du Monde a choisi de mener une campagne sur le prix des nouveaux antiviraux. Mais à la différence du sida, ce n’est plus uniquement une problématique « du Sud » : le prix exorbitant du sofosbuvir, le premier de ces traitements ayant reçu une autorisation de mise sur le marché en France, met en danger notre système de protection sociale et pourrait conduire au rationnement des soins et au « tri » des malades. 85 % des malades de l’hépatite C vivent dans des pays à revenu faible et intermédiaire, 15 % dans des pays à revenu élevé : tous sont confrontés au même danger de se voir dénier des traitements qui sauvent la vie…
Notre plaidoyer s’est organisé en trois temps :
- Nous avons réalisé et largement diffusé un rapport paru en mars 2014 sur les stratégies d’accès effectif aux nouveaux traitements de l’hépatite C, qui documentait cette barrière financière au niveau mondial et pointait aussi les conséquences économiques du coût de ces médicaments pour notre système de santé.
- Nous avons ensuite demandé au gouvernement français d’utiliser la procédure de licence d’office, qui lui permet d’utiliser le générique d’une molécule médicamenteuse si l’intérêt de la santé publique l’exige. Le gouvernement n’a pas eu ce courage, mais dans ce contexte a négocié une baisse de prix d’environ 30 %.
- Constatant que le prix de cette molécule était établi sur des considérations financières plus que sur le coût réel de la recherche et que le système du brevet avait été dévoyé, nous avons décidé en dernier recours d’attaquer le brevet en justice. Cette démarche d’opposition au brevet vise aussi à interpeller nos sociétés sur le mécanisme de fixation du prix des médicaments et de soulever la question clé de la transparence des procédures.
Cette action de plaidoyer qui porte une dimension spécifiquement française est un élément d’une stratégie plus globale afin de revendiquer un accès équitable au dépistage, au traitement et au soutien des personnes présentant un risque élevé d’infection au VHC au niveau international, en particulier les usagers de drogues qui représentent 80 % des nouvelles infections au niveau mondial. Nos combats en France nous donnent ainsi l’occasion de développer une stratégie d’action transversale.
Du projet associatif
Après une longue consultation participative, nous avons pu élaborer ensemble un projet associatif pour les années à venir : soigner, témoigner, plaider, accompagner le changement social. Les Universités d’automne à Nantes nous ont permis de finaliser sa rédaction, avant son examen par notre assemblée générale.
Quatre nouveautés importantes dans ce projet :
- Le changement social devient une des signatures de Médecins du Monde.
- Le Projet associatif propose une organisation horizontale sur la forme d’un réseau nodal réticulaire. L’exemple du projet européen élaboré par le réseau international de Médecins du Monde, avec des bureaux et des associations sœurs qui deviendraient des membres associés, peut être vu comme un galop d’essai.
- Ce projet associatif propose d’ouvrir la gouvernance de Médecins du Monde, ce qui suppose dans un second temps de revoir nos statuts et de réunir une assemblée générale extraordinaire.
- Les futurs projets de Médecins du Monde devront intégrer la participation des usagers et des personnes concernées. À partir des expériences de la réduction des risques, il nous faudra trouver un équilibre entre savoirs profanes et savoirs médicaux.
Photo de Sarah Alcalay
En conclusion
Notre association a consolidé et stabilisé sa mission sociale en trouvant l’équilibre entre urgence et long terme, entre secteur France et secteur International. La Fondation des amis de Médecins du Monde peut venir compléter les actions de l’association et faciliter l’émergence des sociétés civiles du Sud. Il nous faut aller vers un développement plus harmonieux du réseau, pour que demain d’autres Médecins du Monde deviennent des acteurs importants à l’international. En stabilisant sa mission sociale, en réécrivant son projet, le modèle associatif de Médecins du Monde montre sa vitalité et sa robustesse. En facilitant la mobilité associative, en renforçant la proximité dans la construction de nos projets, nous pouvons être demain des bâtisseurs du droit à la santé.