Pénélope : Redonner aux TdS une image digne et positive d’elles-mêmes

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L’association strasbourgeoise Pénélope est née en octobre 1998 dans le souci d’aller à la rencontre des personnes ayant une activité prostitutionnelle dans la rue. Deux fois par semaine, les bénévoles médicaux et para-médicaux qui composent l’association effectuent des tournées dans Strasbourg pour conseiller et réaliser des actions de prévention et de dépistage auprès des travailleur.se.s du sexe. Pénélope s’articule autour de deux enjeux fondamentaux que sont la santé publique, grâce à la promotion de la santé globale des personnes, et la lutte contre l’exclusion des TdS. Travailler avec chaque personne sans discrimination, participer à un mieux-être et à une meilleure intégration dans la vie civique, telles sont les objectifs que se donne l’association.

Par ailleurs, un partenariat historique et innovant conclu avec Médecins du Monde a permis à Pénélope de conserver sa viabilité au fil des années. D’une part, MdM accueille, dans son CASO de Strasbourg, les TdS réorientés par Pénélope lors des tournées de nuit, qui nécessitent une prise en charge ciblée. D’autre part, les deux associations ont mis en place un projet de test rapide d’orientation diagnostique (TROD) efficace pour le dépistage du VIH. 

Le docteur Pierre Ganier, responsable de Pénélope, précise les enjeux, les défis et la nécessité d’une telle association dans l’article paru dans L’Horloge et la Cigogne du mois de juin 2017.

Quelles sont les missions que se donne votre association ? Pourquoi Pénélope ?

En créant notre association Pénélope, dont la première tournée remonte au 4 avril 2000, nous pensions que notre mission première était la prévention des infections sexuellement transmissibles (IST) auprès du public des personnes prostituées. Au fil des années, nous nous sommes rendu compte que la toute première mission était de redonner à ces personnes une image digne et positive d’elles-mêmes à travers une relation respectueuse de notre part envers elles.

Lors de nos tournées en soirée, sur les lieux de prostitution strasbourgeois, nous passons avec elles, dans notre camping-car, un moment de partage autour d’une petite collation. Elles nous parlent de leur vie, de leurs difficultés quotidiennes, de leur famille, et cela si, et seulement si, elles en ont envie ; il est hors de question que nous soyons intrusifs sur ces sujets. Par contre, nous nous intéressons à leur état de santé, et leur proposons de consulter divers partenaires de santé en fonction de leurs demandes.

Une distribution de plusieurs dizaines de préservatifs se fait ensuite, en leur rappelant quelques messages de prévention basiques.

Pourquoi Pénélope ? Dans ce genre d’intervention auprès de ces publics en précarité se tissent des liens favorables à la distribution d’informations, de conseils, d’adresses en vue de régler des problèmes de santé, de changement d’activité, etc… Nous avons constaté que toutes ces bonnes intentions très souvent se détissent et s’oublient dans les heures ou les jours qui suivent, et que tout est à recommencer lors d’une prochaine rencontre… comme le travail de Pénélope (elle défaisait la nuit, la tapisserie qu’elle avait faite le jour, pendant les vingt années d’absence d’Ulysse).

Combien de bénévoles et salariés composent l’association ? Les activités sont essentiellement « hors centre », pouvez-vous nous expliquer en quoi consistent les « sorties » ?

Comme beaucoup d’associations, nous manquons de bénévoles et c’est à grand-peine que nous continuons à remplir notre mission avec une douzaine de bénévoles.

Nous avons 2 salariés : Rita qui est notre secrétaire, employée à mi-temps et qui est connue et très appréciée de tous nos partenaires, et René, employé à ¼ temps et qui, lui, doit “réarmer” le camping-car avant chaque tournée.

Nous n’avons aucune activité autre que nos tournées que nous essayons de faire au moins une fois par semaine.

Beaucoup d’entre nous connaissent la loi n°2016-44 du 13 avril 2016, visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées. Cette loi correspond-elle à vos valeurs ? Quelle est sa portée ? Que change-t-elle ?

Cette loi vise à pénaliser les clients des prostituées. Parfait en théorie, mais que deviennent les personnes prostituées sans clients ? Va-t-on les laisser sans revenus, mourir de faim et SDF ?

Non bien sûr : la France, grand pays rempli de bonnes intentions, qui refuse de parler d’immigration dans des termes péjoratifs, pays où tous les riches se mobilisent pour aider les pauvres en difficulté ; la France, grâce à sa baguette magique, va trouver une solution pour que chaque personne qui se prostitue trouve un travail et soit heureuse…

Revenons sur terre, rien ne se passera comme cela, et cette loi, va obliger les personnes concernées à se clandestiniser. Elles vont échapper aux actions de prévention et de soins que nos associations essayent de mettre en place aussi bien qu’elles le peuvent.

Le monde de la prostitution va s’adapter à ces nouvelles contraintes, et tout continuera, malheureusement dans des conditions de travail pires qu’avant. Car c’est, ne l’oublions pas, un commerce international extrêmement lucratif ! Largement alimenté par l’état de crise financière que connait la planète.

L’association fait partie d’un réseau de partenaires, quelle aide vous apportent-ils ?

Notre activité sur le trottoir se limite à une prise de contact pour que ces personnes soient adressées à nos partenaires en vue d’une prise en charge ciblée, si elles le demandent. Par exemple les centres de dépistage anonymes et gratuits (CDAG) pour divers dépistages d’IST, le centre médico-chirurgical obstétrique (CMCO) de Schiltigheim pour les problèmes gynécologiques (le Pr. Nisand nous a ouvert ses portes avec prise en charge gratuite pour les personnes adressées par Pénélope), Médecins du Monde pour les autres  problèmes de santé , le Planning Familial pour les problèmes de contraception, et le Mouvement du Nid quand une demande de reconversion est formulée.

Il est hors de question qu’un traitement quelconque soit instauré par nos soins, hormis un Doliprane en cas de céphalées passagères.

Que devrions nous davantage savoir à propos des personnes prostituées ? Comment transformer notre représentation à leur égard et sauvegarder le respect de leur dignité ?

Notre expérience nous a montré que très souvent cette activité est imposée par un état de précarité de ces personnes elles-mêmes, mais aussi de leurs enfants, ou de leur famille. Certaines personnes ne pourront se soigner que grâce à cet argent, gagné rapidement mais à quel prix pour leur identité profonde.

Au-delà de cette activité dégradante, ne devons-nous pas avoir du respect pour ces personnes qui ont le courage d’exercer ce métier ? Car du courage il en faut pour passer ses soirées sur le trottoir, par tous les temps, et affronter des personnes qui pensent que l’argent leur donne tous les pouvoirs ! Encore une fois oui respect, et bravo pour ce courage.

Et ces moments que nous leur offrons, où elles peuvent parler d’elles, parler de leur santé, de leur famille, de leurs préoccupations quotidiennes, elles nous redisent à quel point nous sommes égaux, mais chanceux de ne pas être confrontés à de telles difficultés sociales.

Que pensez-vous des mobilisations en faveur de l’abolition de la prostitution ? Comment expliquer, voire justifier l’action des associations qui ne prennent pas part à ces débats controversés, autrement dit, comment se justifient les positions « non abolitionnistes » ?

Tout le monde aimerait que la prostitution disparaisse. Mais pas juste de notre regard ; qu’elle disparaisse pour de vrai parce que sans objet. Alors que faire pour cela… ? Et là, si quelqu’un avait une solution efficace, il aurait le prix Nobel de la paix. Mais là, il faudra encore beaucoup réfléchir et être imaginatif pour y parvenir.

Nous avons déjà pris position sur les différentes décisions en faveur de l’abolition, et nous avons dit à quel point nous ne croyions pas à leur efficacité, nous pensons même quelles seront contre-productives.

Et nous savons que nous partageons une position commune sur ce sujet avec MdM, la coordination régionale de la lutte contre l’infection due au VIH (COREVIH), et l’association AIDES.

Ceci étant, nous pensons que 2 axes doivent être étudiés :

  • Travailler très tôt la notion de respect entre les hommes et les femmes, car cette activité de prostitution met beaucoup en défaut cette notion de respect
  • Redistribuer les richesses de cette planète car on se rend compte, par exemple, que certains pays avec un fort potentiel de richesse comme certains pays producteurs de pétrole voient se développer cette activité de prostitution de façon importante, ce qui nous laisse craindre que certains s’enrichissent outrageusement alors que d’autres s’appauvrissent dramatiquement

Et peut-être même que certains pays, grâce à une activité prostitutionnelle officielle, maintiennent ainsi leur paix sociale, assurant ainsi des revenus suffisants à certaines personnes en grande précarité.

Nos propositions nous font souvent passer pour des utopistes, mais n’est-ce pas là la plus encourageante des critiques ?

Quelle est la contribution de Médecins du Monde à votre programme ?

Au-delà de notre partenariat historique que nous avons mentionné plus haut, il est une action innovante et que nous avons le plaisir de partager avec MdM, qui est la réalisation du test rapide d’orientation diagnostique (TROD) lors de sorties trimestrielles.

Grace à cette collaboration, nous pouvons réaliser ces tests qui sont d’une efficacité remarquable en matière d’action de dépistage du VIH.

En effet, malgré nos recommandations d’aller faire réaliser ces tests de dépistage en CDAG lors de nos tournées, très peu de personnes se présentaient dans les jours qui suivaient pour faire ces tests.

La possibilité de les faire « hic et nunc » est un bouleversement dans nos activités de dépistage. De ce fait, notre partenariat avec MdM est devenu indispensable car très performant.

Pour l’instant, aucun test n’est revenu positif, à notre grand soulagement, mais nous restons inquiets sur notre capacité à gérer au mieux une positivité sur le trottoir, chez une personne en pleine activité prostitutionnelle. Même si tout est mis en place pour qu’une prise en charge théorique soit possible, le lendemain matin par le service Le Trait d’Union avec qui nous sommes également partenaires.

 

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