Photo issue du webdocumentaire Les voyageurs
Adama B., Sénégalais
Je suis en Turquie depuis six mois. Je pensais que ce serait plus facile. Or, on ne nous considère pas comme des personnes. On n’a pas le droit de travailler. Et on n’a pas d’argent. La Turquie, moi, j’en suis un peu déçu. On m’avait dit qu’il y avait du travail. Je me fais insulter, traiter de singe. C’est très dur. On n’a pas le droit d’avoir des papiers. Ici, j’ai des copains qui sont allés au centre de rétention. Cela me fait peur, car il y a souvent des contrôles.
Dans les fabriques de chaussures, le travail est difficile. On travaille 14 heures par jour, du lundi au samedi. Il peut arriver que nous n’ayons pas de pause, et l’odeur de colle, ça rend « ivre », ça fait mal à la tête. On gagne généralement 200 liras [environ 70 euros] par semaine. Ce n’est rien. Ce n’est pas suffisant pour envoyer une somme d’argent à la famille, qui l’attend pourtant. Je suis partie pour pouvoir les aider. Nous sommes une famille de dix personnes. C’est moi qui ai eu la chance de partir. J’étais très content.
Quand je suis arrivé en Turquie, j’ai été malade pendant trois mois. À cause du froid – je n’étais pas habitué. J’avais les pieds gonflés, je n’arrivais plus à marcher. Maintenant, cela va mieux, mais je suis fatigué, car je ne dors pas bien. Je suis angoissé en ce moment. On se pose beaucoup de questions : sur l’avenir, sur l’insécurité. Dans la rue, les gens t’embêtent. Ils t’insultent. Mais tu ne peux pas répondre. Qu’est ce que tu fais alors ? Tu avances, droit devant.
Je mange suffisamment. Tout ce qu’on trouve, on le bouffe. On partage un appartement avec six Sénégalais. Tous essaient de ramener de l’argent. En dehors du travail, il n’y a rien d’autre à faire que bouffer et regarder la télé. Les amis sont importants, on regarde la télé ensemble, ça remonte le moral. Sans les amis, on serait en prison.
Le dimanche, on dort jusqu’à 10h. On prend des nouvelles de la famille. Je ne leur raconte pas que c’est si difficile, pour qu’ils restent tranquilles. Tu dis que tu es dans de bonnes conditions. On vit avec ça tous les jours, avec l’espoir des parents, on ne veut pas les décevoir.
Pour moi, la Turquie, c’est le rêve. J’y crois toujours. Jusqu’à présent, je n’avais jamais quitté l’Afrique. Il faut peut-être se dire que la vie est difficile partout.