On continuera avec toi

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Témoignages // Hommages  // Mémoire 

Juste après avoir appris la mort de Jean-Pierre, j’ai acheté les Inrocks, où Adèle Haenel écrivait ceci de Jeanne Moreau : « Lorsque j’ai appris [sa] mort, j’ai été attristée mais encore plus, je dirais incrédule. Jeanne Moreau me semblait immortelle, éternelle. Je la croyais immortelle parce que je croyais l’ordre des choses immuable : je pensais que je serai toujours une outsider, une débutante, et qu’elle serait toujours là pour incarner la figure intimidante et bienveillante de l’actrice accomplie (…) ».

Je crois qu’on ne peut pas dire les choses plus justement et bien sûr, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Jean-Pierre. J’ai ressenti moi aussi cette incrédulité ou cette impossibilité quand j’ai lu le mail qui annonçait qu’il nous avait quittés : ce n’était même pas imaginable qu’il se sauve comme ça et qu’on se trouve soudainement sans cette balise, à la fois familière et émouvante, qu’il formait pour nous, même si on ne le savait pas encore tout à fait. Ce type discret mais très présent, irrésistiblement attentif (avec son petit regard en coin malicieux), du genre immense mais qui ne le laisse pas trop savoir, dont on soupçonnait un passé à tiroirs multiples (indéfectiblement à gauche, très très à gauche) et surtout peut-être, et je ne crois pas avoir rencontré beaucoup de gens -notamment d’hommes- qui aient cette qualité, apparemment totalement inaccessible à l’autorité : insensible à celle des autres (manquerait plus que ça que de renoncer à des programmes d’échange de seringues parce que personne n’en veut nulle part), mais tout autant aussi semble-t-il à la sienne propre.

Alors savoir qu’on est maintenant privé de lui me rend infiniment triste. On aimerait l’avoir connu davantage. On aurait aimé qu’il profite de sa retraite et du temps qu’elle libérait – le croiser et le recroiser à Nuit Debout était vraiment réjouissant. On aurait aimé le réentendre prendre la parole dans les réunions à voix basse, presque timide, comme s’il prenait la parole pour la première fois, alors qu’on le savait là depuis à peu près toujours, et de tous les coups fumants. On aimerait qu’il soit encore là avec nous, tout simplement. Bonne route Jean-Pierre. C’est une chance et bien plus encore que t’avoir croisé.

On continuera avec toi.

Aude Lalande

 

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