Migration : une volonté de mise à l’écart

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Isabelle Bruand, coordinatrice régionale de MdM pour Nord-Pas-de-Calais a été interviewée par Ingrid Merckx, du journal Politis. Elle donne un aperçu de la situation dégradée des migrants au centre Jules-Ferry, “la jungle calaisienne”.

Les conditions de vie dans le bidonville qui jouxte le centre Jules-Ferry sont-elles comparables à celles d’un camp de réfugiés ?

Non, elles sont très en deçà de celles qu’on peut trouver dans un camp de réfugiés, au Liban par exemple. La situation s’est dégradée ces derniers mois, où l’on a vu le nombre de migrants grimper à 3000. Le centre Jules-Ferry avait été prévu pour 1500 places, le centre d’hébergement pour les femmes compte 100 places : tout a été sous-dimensionné. La permanence à l’hôpital était devenue grandement insuffisante. En outre, Jules-Ferry se trouve à 8km de l’hôpital, et la navette ne fait que deux allers-retours par jour.De nombreux migrants ont donc renoncé à se soigner. L’accroissement des besoins en terme de santé nécessitait l’ouverture d’une structure.

Dans la clinique ouverte le 30 juin, il y a un ou deux médecins qui font entre 35 et 70 consultations par jour sans discontinuer. Nous réorientons une partie des personnes vers l’hôpital pour les soins d’urgence et sommes obligés d’en refuser : nous tenons à ne pas proposer une médecine au rabais mais des consultations où les médecins prennent le temps, avec l’aide de traducteurs, d’expliquer les diagnostics et les traitements proposés à chacun.

Quelles sont les principales pathologies que vous rencontrez ?

Les migrants à Calais sont majoritairement des hommes jeunes et en bonne santé. Parmi les pathologies, nombreuses sont des traumatologies liées à des tentatives de passages vers l’Angleterre fractures ou plaies. Nous renvoyons vers l’hôpital pour les plus importantes et les vaccinations contre le tétanos, par exemple. D’autres pathologies sont liées aux conditions de vie dans le bidonville : épidémie de gale, pathologies respiratoires. On a mis en place des activités du type baby-foot et dessin, pour tromper l’attente, certes, car la file est longue. Mais les dessins sont un bon biais pour aborder des questions de violences, de traumatismes… Une des plus grosses pathologies,c’est la souffrance psychologique. Nous proposons surtout de l’écoute. Nos équipes sont bénévoles et maraudent également dans le camp.

La clinique reçoit-elle des femmes et des enfants ?

Les femmes, qui représentent peut-être 10% de la population du bidonville, commencent à s’y présenter à raison d’une vingtaine par semaine. Elles viennent pour des pathologies classiques mais aussi chercher une écoute. Concernant les enfants, nous voyons beaucoup de mineurs isolés, plutôt des adolescents donc, que nous réorientons vers France Terre d’asile, qui propose un accueil spécialisé.

Qu’en est-il des demandes d’asile ?

Le nombre de demandeurs est en hausse. Mais nombre d’entre eux restent sans hébergement, alors que, normalement, ils devraient être logés en centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) le temps de la procédure. Cela n’encourage pas les autres à déposer des demandes. En outre, les conditions de vie dans le bidonville ne permettent pas de se poser et de réfléchir à sa situation. Beaucoup de migrants tombent sous le coup du règlement de Dublin et ne peuvent déposer une demande d’asile en France,sauf si celle-ci décide de passer outre, ce qu’elle ne fait jamais. Pour la majorité, le projet reste de passer en Angleterre.

Le centre Jules-Ferry procède-t-il a une volonté de mise à l’écart ?

La localisation à l’extérieur de la ville et la concentration des personnes au même endroit procèdent en partie d’une volonté de mise à l’écart. Cette structure est, de surcroît, inadaptée. Avec une seule distribution de repas par jour le centre est sous tension. Et il est fermé le soir. Du coup, les migrants se sont installés autour, sous des tentes et des bâches. Certes, l’accès à l’eau s’est un peu amélioré, le bidonville est éclairé par endroits, et il y a désormais deux axes pour ménager un accès aux secours. Mais le centre ne relève pas d’une logique humanitaire.

Que demandez-vous aujourd’hui ?

Nous réclamons des dispositifs du type “maisons de migrants”, soit plusieurs petites structures d’accueil réparties en différents endroits du territoire littoral, permettant une prise en charge à la fois plus humaine et plus globale : hébergement, alimentation, accès aux soins et aux droits. On favoriserait ainsi les contacts et éviterait les tensions entre habitants et migrants. Les enfants seraient pris en charge. Si l’État s’obstine à conserver le dispositif Jules-Ferry, nous demandons qu’il respecte au moins les normes humanitaires fixées par les Nations unies.

À quel niveau les décisions sont-elles bloquées ?

Au niveau de la municipalité mais aussi des ministères de l’Intérieur et de la Santé. Personne ne semble décidé à trouver une solution améliorant les conditions de vie et d’accès aux soins des migrants. Le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) est averti mais ne veut pas intervenir car il estime que l’État français est en capacité de répondre à la situation. Il semble y avoir un début de prise de conscience au niveau européen : les politiques répressives n’empêchent pas les gens de partir de chez eux, ni de rester en France, ni de tenter de rejoindre l’Angleterre. Un accueil digne ne crée pas d’appel d’air car ce ne sont pas les conditions d’accueil en France qui poussent les migrants à quitter leurs pays d’origine. Et la migration n’est pas un crime. Ce serait temps qu’on s’interroge sur l’accueil que nous proposons.

 
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