Après plus d’un an de lutte contre la maladie, Jordi, responsable du service logistique à la direction des opérations internationales, est mort dans la nuit de samedi 10 janvier. Les nombreux amis et collègues de MdM qui ont participé à la cérémonie d’accompagnement ont été très émus par la lettre qu’il avait écrite le 10 août dernier, avant sa deuxième chirurgie, et par la (re)découverte de ses admirables talents de photographe.
“Aujourd’hui je suis rentré à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière pour une nouvelle opération car les dernières images ont montré une progression de la maladie. Je suis surpris d’être si calme. Il s’agit d’une opération à haut risque, cependant je suis très serein et très tranquille. Peut-être que j’ai déjà assumé le pire ? C’est vrai que j’ai beaucoup pensé ces derniers jours. Je suis tout à fait conscient des nombreuses bonnes choses qui ont entouré ma vie ; combien les gens m’ont aimé (surtout mes parents qui m’ont rendu la vie si facile et heureuse). J’ai eu la chance de rencontrer Diana ; j’ai deux enfants qui ont beaucoup de potentiel et les ressources pour se développer. J’ai vécu beaucoup d’expériences, dont certaines immenses. J’ai participé directement à atténuer la souffrance de certaines personnes. J’ai eu une vie bien remplie, comblée et je suis très satisfait. Peut-être que le jeu s’est terminé. Si oui, merci à tous ceux qui ont été impliqués (famille, parents, amis…) pour avoir fait en sorte que ma vie soit si merveilleuse et amusante.” Jordi Espel, 10 août 2014
Pour savourer les photos de Jordi: www.streetinstant.com et https://www.flickr.com
Jordi, tu es arrivé à MdM en septembre 2005 après quelques années d’expérience chez MSF Espagne et MSF France. Tu venais prendre le poste vacant depuis octobre 2004 de Eric Cerquiera au service logistique.
A l’époque Marie-Christine, Manu, Yannick, et moi-même étions présents pour t’accueillir. Cela n’a pas été facile de faire ta place parmi nous quatre, anciens parmi les anciens de MdM, et avec nos caractères respectifs, d’autant plus que nous avions pris nos aises depuis un an sans chef… Mais chaque jour tu arrivais avec le sourire et, petit à petit, tu as su gagner notre confiance. Tu parlais toujours sur le même ton et sans jamais d’agressivité. Bref, ta façon de travailler était à ton image: par l’écoute, en toute discrétion et gentillesse en toute circonstance, mais avec entêtement et ténacité. N’empêche, de cette manière, tout en soutenant sans faille ton équipe dans les coups durs, sans en avoir l’air, tu as réussi à étoffer le service, nécessaire pour tenir compte de l’évolution des activités de MDM avec la création de postes de références techniques log, ou encore celui de gestion de stock pharmacie. Tu as su également montrer ta rigueur et ton professionnalisme ainsi que ton calme lorsque tu as participé à la mission MdM à Haïti en janvier 2010. Grâce à toi et ton travail le transit de marchandises entre Saint Domingue et Port au Prince a pu se faire sans problème et en dépit des difficultés de tous ordres.
Jordi, tu nous as quitté dans la nuit du 10 au 11 décembre dernier et ce n’est pas juste parce que tu laisses seuls Diana et ton petit Marc, 3 ans dans 15 jours, ainsi que Gérard, 14 ans, alors que ton hygiène de vie, ta pratique du marathon de très haut niveau et ton esprit de compétition te donnaient normalement toutes les armes pour lutter, avec l’aide de la médecine, contre cette maladie. Ton hygiène de vie d’abord : tes journées étaient immuablement rythmées de la même manière en raison de ton amour de la course à pied qui t’a fait t’installer près d’une forêt à Montgerron. Sportif, tu l’étais plus que la moyenne : combien de marathon as-tu couru ? Je ne saurai répondre mais surtout tu le faisais en 3h30… Personne, ici, n’est capable d’en faire autant. Ton esprit de compétition et ton mental étaient également une arme essentielle pour te défendre. Ils t’ont permis de faire face, Diana à tes côtés, à cette première attaque sournoise en décembre 2013, quand la maladie est arrivée. Amatrice également de course à pied, je te disais que, certes, c’est le physique qui souffre, mais que c’est toujours le mental qui gagne dans une telle compétition. Tu as pris cette maladie tel un marathon et tu as même repris à courir cet été. Dès le début, je savais que tu affronterais la maladie avec un grand courage.
Jordi, en m’annonçant dès les premiers jours ce qui t’arrivait au Mexique, tu m’as témoigné une très grande confiance. A partir de ce moment- là, j’ai eu le sentiment de découvrir une nouvelle personne et je suis heureuse de cela. Je me souviens le jour où tu m’as ouvert la porte de ta maison : pour la première fois je rentrais dans ton intimité avec Diana et Marc, ainsi que mon mari et mes garçons. Tu étais joyeux, rieur, heureux de nous expliquer les travaux dans ta maison et les projets à venir, ta passion pour le cinéma au point d’avoir construit ta propre salle de projection. Depuis ce jour, nous discutions de nos enfants, de nos expériences d’éducation, de nos quotidiens respectifs, de ton bonheur mais aussi de tes appréhensions.
Le 14 décembre dernier, date de la seconde attaque de la maladie, Diana nous a appelés pour nous confier Marc, en ce jour si difficile. Il est arrivé chez nous, intimidé par les nouvelles têtes autour de lui, mais très vite il a pris ses repères avec mes enfants et leurs jouets. Nous décidions alors de profiter des décorations de Noël dans les rues de Montmartre. Très vite, Marc a préféré courir avec eux et jouer à cache-cache dans la rue. Il était heureux, comme son papa et sa course à pieds.
Jordi, tu nous as quitté trop vite.
Sache que nous sommes aux côtés de Diana, Marc et Gérard.