Que pensez-vous du plan d’accueil de 120 000 réfugiés présenté mercredi par les instances européennes ?
Ce plan est pris dans l’urgence. C’est dommage qu’il n’y ait pas eu d’anticipation. Les conflits, comme celui de la Syrie, ne datent pas d’hier. On voit que tout s’active maintenant, il est plus que temps ! Nous espérons qu’à la suite de cette ouverture, une vraie politique européenne sur l’accueil sera mise en place. Il ne faut pas se contenter d’une action dans l’urgence. Ce sentiment pourra monter en puissance, puis redescendre… Aujourd’hui, il faut de la continuité.
La solidarité joue, malgré les habituelles résistances qui surgissent pour ne pas accueillir ces êtres humains…
Là, nous sommes dans une période compassionnelle, avec tous ses bons côtés. La mobilisation citoyenne est très intéressante à constater en Allemagne. En France, elle est plus modeste. L’Allemagne est en tête de cette mobilisation. Ce n’est d’ailleurs pas que pour des raisons démographiques et économiques. Ce pays bouge socialement.
L’extrême droite et les néonazis sont très virulents dans ce pays, et pourtant Angela Merkel a pris cette décision courageuse. Comment l’expliquez-vous ?
Sur cette crise, elle a un courage politique qui manque en France dans les actes et dans les discours. Malgré la résistance d’une partie de sa population, elle s’engage. C’est un discours qui a beaucoup manqué, et qui manque encore en France. Il y a une frilosité dans les prises de position et de parole de nos hommes politiques. C’est assez redoutable. Au moment où nous avons tout un tissu social à réinventer, cette frilosité me frappe.
« Demander un droit d’asile n’est pas un crime »
Cette question des réfugiés dépasse tous les clivages. Certains à droite comme à gauche sont pour l’accueil. D’autres, quel que soit le bord, sont contre. Qu’est-ce que cela révèle de notre société ?
Cela révèle d’abord qu’il n’y a pas de ligne politique d’accueil et de protection. C’est terrible. Nous sommes devant des drames humains qui ne sont pas récents, mais qui s’amplifient. Devant cette situation, les décideurs n’ont pas de ligne de conduite qui pourrait imposer un accueil digne de ce nom. C’est pour cela qu’il existe une confusion dans les positionnements des uns et des autres, mais aussi dans les termes avec « migrants » et « réfugiés ». Tout ceci entraîne un trouble dans la réponse à apporter. Même si quelques portes se sont ouvertes.
Mais encore une fois, il faut faire attention à ces moments compassionnels. Dans le champ humanitaire, nous sommes « habitués » à ça. On voit la mobilisation du public. C’est bien. Sauf qu’aujourd’hui, il faut aller bien au-delà de cette période compassionnelle. Il faut mettre en place des mécanismes d’accueil. Nous, médecins du monde, nous avons des demandes particulières sur le droit d’asile. Mais malgré les discours et les envolées lyriques, rien n’a été préparé, ni envisagé. Alors que les associations comme celle que je préside, ont tiré la sonnette d’alarme depuis des années.
Les maires des communes, même si ce n’est pas de leur ressort, pourraient mettre à disposition des lieux d’accueil plutôt que de laisser ces étrangers dans la rue. Pourquoi ce blocage existe-il ?
Il faut revenir à la mobilisation citoyenne. Nous le voyons à travers les parcours de vie. Quand l’étranger arrive dans un village, avec la proximité avec les autres habitants, il n’est plus étranger. Il y a effectivement à faire du côté des maires et de la population, pour aller vers cette proximité. Tous nos projets sont construits comme cela. Quand les étrangers sont loin, ils sont stigmatisés. Certains partis politiques s’attellent à les présenter comme des gens différents.
Face à cette vague compassionnelle, la fachosphère ressort ses vieux arguments, avec en tête « au lieu de s’occuper des étrangers, on ferait de prendre en charge nos SDF français », ou en affirmant que « ce ne sont que des hommes, forcément émissaires de Daesh ». Que leur répondez-vous ?
Il faut casser, auprès de la population, ces idées reçues. Heureusement des discours contrebalancent ces pensées des partis d’extrême droite. Les gens qui migrent ne le font pour des raisons de santé. À Médecins du monde nous avons un observatoire depuis des années. Dans nos centres d’accueil, 95 % sont des personnes migrantes. 2 % immigrent pour des raisons de santé. Cette donnée casse une partie des fantasmes. Après, demander un droit d’asile n’est pas un crime. Ces gens ne sont pas des criminels. Ils sont issus de terrains en guerre.
L’immigration appartient à l’histoire de l’humanité. La France a fait face, dans les années précédentes, à des migrations successives. La guerre d’Espagne, le Chili, la guerre des Balkans… On ne parle plus d’étranger en parlant de ces personnes aujourd’hui. Elles se sont absolument intégrées. Il faut admettre le fait que la migration sera plus circulaire avec le changement climatique. Pour l’instant, la majorité de ces déplacements sont dans le Sud, en Afrique notamment. Ils se déplacent entre différents pays de ce continent. La migration Sud-Sud est bien supérieure en nombre à l’immigration Sud-Nord. Les migrations climatiques vont venir percuter, un jour ou l’autre, à des degrés divers, nos sociétés.
De nombreuses images restent en mémoire, comme la guerre d’Espagne notamment, ou globalement de l’Europe de la fin des années 30. Existe-t-il des similitudes ?
Les situations sont comparables. Je pense notamment à Calais. Nous avons mis en place début juillet, une réponse d’urgence pour faire face aux besoins des personnes. Nous ne l’avions jamais fait sur territoire français. Les personnes arrivant sont extrêmement traumatisées. Elles ont besoin de soins d’urgence.