© Jérôme Sessini pour Magnum Photo / MdM
La France connaît aujourd’hui une crise de l’hébergement qui rend difficile la reconnaissance du logement pour tous comme un droit fondamental. Or, l’hébergement des personnes les plus vulnérables est un impératif afin d’assurer leur sécurité et leur bien-être. Malgré cela, 3,8 millions de personnes étaient non ou très mal-logées en mars 2016 en France, selon le Rapport d’hébergement 2016 de Médecins du Monde.
Dans son article publié dans L’horloge et la Cigogne du mois d’avril 2017, Alexis Moreau, assistant de service social, adresse la nécessité de la mise en place d’un projet de plaidoyer en matière d’hébergement par MdM.
A première vue, l’hébergement est une notion simple. Si des personnes dorment dehors, ne devraient-elles pas être mises à l’abri[1] ? Or, dans la réalité, lorsque vous sortez en maraudes, lorsque vous recevez des patients au centre d’accueil de soins et d’orientation (CASO), vous voyez chaque jour des personnes qui dorment à la rue (et ses corollaires : dans une cage d’escalier, dans une cave, chez des tiers dans des conditions parfois dégradantes, sous une tente…). Trois hypothèses peuvent nous apparaître concernant cette réalité :
1. La pénurie de places d’hébergement : une hypothèse à relativiser
Le nombre de places d’hébergement ne cesse en effet d’augmenter[2]. Fin 2014, l’Etat finançait plus de 32 000 nuitées d’hôtel, pour un montant total en 2015 de 234 millions d’euros. Malgré une volonté politique de réduire l’hébergement en hôtel et de proposer aux personnes concernées des places plus adaptées à leur vie quotidienne, le nombre de nuitées a encore augmenté les années suivantes.
2. Une absence de mobilisation institutionnelle et citoyenne ?
La réalité semble contredire cette hypothèse : la mobilisation des Enfants de Don Quichotte, durant l’hiver 2006-2007, a eu pour conséquence une profonde modification de l’hébergement d’urgence, ainsi que le vote du Droit au Logement Opposable (DALO), en 2007. Aujourd’hui, les mobilisations, même si elles trouvent plus d’échos dans les médias durant l’hiver, sont constantes : mouvements citoyens, associations telles que le Droit au Logement (DAL), ainsi que le travail effectué quotidiennement par les nombreuses maraudes (Strasbourg Action Solidarité, Restos du Cœur, Ordre de Malte, Croix-Rouge, Ville de Strasbourg, Médecins du Monde, ainsi que toutes les initiatives privées).
3. Une inadaptation de l’offre de logements sociaux ?
Divers rapports montrent en effet que la construction de logements sociaux, bien qu’importante[3], ne permet pas de régler le problème de l’inadaptation du parc existant à la diversité des situations[4].
La notion d’hébergement mérite donc d’être approfondie
En effet, quelques données peuvent expliquer la situation actuelle, les efforts précédemment évoqués étant remis en cause par :
- Les conséquences de la crise économique de 2008[5] ;
- L’augmentation du nombre de personnes en demande d’asile[6] et, pour une partie d’entre elles, des personnes déboutées de leur demande et se maintenant en France ;
- Un décalage entre l’offre d’hébergement et la réalité des besoins, provoqué par la modification du profil des personnes sans domicile[7].
Nous pourrions encore évoquer d’autres raisons au fait que, malgré un budget global en constante augmentation et un ensemble de lois et de dispositifs censés sécuriser les parcours de chacun, les maraudes continuent de rencontrer des personnes à la rue[8].
Vers un plaidoyer ?
Face à ces paradoxes, que faire ? Il y un an, la Délégation Alsace-Franche Comté publiait un communiqué dénonçant les difficultés liées à l’hébergement d’urgence, dans un contexte de suppression des crédits du Conseil Départemental dans le secteur de l’hébergement d’urgence. Cet hiver, nous avons pu constater que le plan hivernal a permis d’accueillir plus rapidement les familles sur des places en appartement, avec un engagement de l’Etat quant à la continuité de cette prise en charge, une fois passée la période hivernale. C’est, en soi, une amélioration importante.
Cependant, la situation continue d’être difficile, notamment pour les personnes seules ; qu’en est-il des personnes qui ont abandonné, qui n’appellent plus le 115 ? Qu’en est-il de celles qui vivent en squat ? Que signifie le fait d’être hébergé par des tiers ? Quelles sont les conséquences de cette pénurie des places sur la santé des personnes que nous rencontrons ?
C’est un des thèmes qui pourrait être développé à l’occasion d’un projet que j’aimerais voir se développer au sein de la Délégation et pour lequel j’appelle à une mobilisation des bénévoles les plus intéressés par cette thématique : celui d’un plaidoyer en matière d’hébergement.
Alexis Moreau
Bibliographie :
Cour des Comptes, « Le logement social face aux défis de l’accès des publics modestes et défavorisés », février 2017
Cour des Comptes, « Rapport public annuel 2017 », février 2017
Service Intégré d’Accueil et d’Orientation 67, Rapport d’activité 2015
Notes :
[1] L’article L345-2-2 du Code de l’Action Sociale et des Familles stipule en effet que « Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence ».
[2] Le nombre de places en logement accompagné est passé de 94 653 à 215 750 places entre 2009 et 2015, tandis que le nombre de places en hébergement d’urgence est passé de 70120 à 112 366 places sur la même période ; le territoire du Bas-Rhin comptait en 2015 (hors plan hivernal) : 95 places d’urgence, 1008 places en hôtel pour familles primo arrivantes, 873 places en urgence posée, 1 024 places en structures d’hébergement d’insertion, 1851 places en structures d’hébergement spécialisé, 1 334 places en logement accompagné ; l’hébergement destiné aux demandeurs d’asile a augmenté de 12 000 places entre 2011 et 2015.
[3] En 2013 ont été financés : 117 065 logements locatif sociaux (LLS) dont 29 734 PLAI (Prêt Locatif Aidé d’Intégration) ; en 2014 : 134 088 dont 33 000 PLAI ; en 2015 : 132 164 dont 34 000 PLAI ; en 2016 : 139 496 dont 35 000 PLAI. La prévision 2017 est de 142 428 LLS dont 38 889 PLAI.
[4] Il n’y a pas assez de petits logements pour faire face à la demande liée aux décohabitations et aux familles monoparentales ; ces foyers obtiennent de grands logements, ce qui développe la sous-occupation.
[5] La crise économique a eu pour conséquence une augmentation du nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté de 12.6% entre 2008 et 2014 ; le logement social ne bénéficie qu’à la moitié des ménages situés en dessous du seuil de pauvreté.
[6] Le nombre de demandeurs d’asile a augmenté de 27% entre 2012 et 2015 et s’établissait à 80 075 personnes en 2015.
[7] À Paris, en 2015, il y a eu une augmentation des demandes émanant de femmes isolées et de couples sans enfants.
[8] La sollicitation d’un titre de séjour, notamment pour soins, n’ouvre pas de droit à un hébergement adapté à la santé de la personne, qui doit solliciter l’hébergement d’urgence ; le délai de prise en compte de la demande d’asile des personnes arrivant sur le territoire, qui est normalement de 3 jours, est à l’heure actuelle de 29 jours ouvrés sur le territoire du Bas-Rhin, entraînant une absence d’hébergement pour des personnes relevant en théorie des Centres d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA).
Pour en savoir plus sur les actions de la délégation Alsace Franche-Comté : c’est ici.