Programme pilote aux Philippines : réduction des risques sanitaires du démantèlement de déchets électroniques à Manille – photo de Lam Duc Hien
Les dons non affectés aident certains de nos projets les plus innovants à voir le jour, à se structurer ou à durer le temps suffisant pour un réel impact sur la société. Je distingue trois cas de figures, illustrés par une série d’exemple (non exhaustive !)
1. Présents au long terme et d’autant plus réactifs en cas de crise brutale !
Grâce à la générosité du public, MdM développe sur du long terme des projets et des partenariats stratégiques, dans des terrains affectés par des catastrophes naturelles ou des conflits armés. Cette présence auprès des plus vulnérables nous permet d’être déjà bien intégrés lors de la survenue d’une catastrophe et d’y répondre en proximité avec les autorités, les partenaires et la population.
Exemple 1 : au Népal, « premier arrivé dernier parti ! »
MdM était présent depuis 7 ans au Népal dans le district du Sindupalchok quand le séisme a frappé le pays le 25 avril 2015, le Sindupalchok étant le plus touché. Les dons qui avaient permis de renforcer la réponse locale en santé sexuelle et reproductive avant le séisme, ont afflué après le séisme pour une réponse rapide et adaptée.
Exemple 2 : MdM reste présente dans les crises qui se chronicisent, quand conflits armés et catastrophes naturelles ajoutent leurs effets.
Présentes au KPK (au Nord Ouest Pakistan, à la frontière avec l’Afghanistan) depuis 2009 auprès de trois millions de réfugiés et déplacés internes suite à des inondations et des conflits armés, nos cliniques mobiles ont pu se redéployer auprès des réfugiés plus récents, après une intensification du conflit au Nord Waziristan depuis juin 2014. Les dons permettent une plus grande réactivité à nos projets, par ailleurs financés par le Ministère allemand des Affaires Étrangères.
2. Le changement social dans la durée
Certains projets visent à modifier les lois ou les faire appliquer, à changer profondément la société. Ces projets ont parfois besoins de 7 ou 10 ans pour porter leurs fruits, or les « bailleurs de fonds » financent en général pour 3 ans, exceptionnellement pour 4 ou 5 ans. Les dons non affectés aident à faire le pont d’un contrat à l’autre, et à ne pas abandonner un projet ni une communauté avant d’atteindre un impact sur l’organisation sociale voire sur les lois.
Exemple 1 : Les Dar-ul Aman au Punjab (Pakistan) abritent des femmes répudiées et victimes de violences domestiques.
Médecins du Monde est intervenue de 2004 à 2015 dans ces « maisons de la paix » qui accueillent les femmes qui ont fui leur foyer avec leurs enfants parce qu’elles sont victimes de violence, en instance de divorce ou à la suite d’un mariage forcé. L’innovation a consisté à faire travailler ensemble une institution publique, le département des Affaires sociales, avec des bénévoles et des associations de droits de femmes pour que ces refuges disposent de normes médicales et juridiques qui garantissent la sécurité des résidents. À leur arrivée, les femmes bénéficient ainsi d’une consultation médicale et d’une consultation psychologique. Des conseils juridiques leur sont aussi proposés pour qu’elles puissent faire respecter leurs droits.
A la fermeture en mai 2015 nous aidions chaque année plus de 15 000 femmes et 4 000 enfants dans ces 35 Dar-ul-Amans. Depuis le départ de MdM en mai 2015, ce sont 500 bénévoles Pakistanais, avocats, médecins, travailleurs sociaux et psychologues qui assurent la relève ! Grâce à 23 associations regroupées dans l’Alliance Mumkin (« c’est possible » ) la loi est en train d’évoluer pour reconnaître et punir les crimes d’honneur.
Ce projet a été plutôt financé par des institutions (AFD, Europe, DANIDA) mais aurait fermé avant de produire tous ses effets sans les dons non affectés. Son évaluation finale a été financée par la générosité du public également.
Exemple 2 : l’éradication du virus de l’hépatite C en Géorgie doit inclure les usagers de drogue.
Un Plan national d’éradication de l’hépatite C a été lancé en mai 2015 auquel notre projet pilote permet d’associer pleinement les usagers de drogue par injection. MdM entend proposer un modèle économique viable, autour d’une intervention peu coûteuse et facile à déployer à grande échelle en contexte Géorgien et plus largement en contexte de pays à ressources limitées. La Géorgie est un pays de plus de 4 millions d’habitants qui compte au moins 45 000 usagers de drogue par injection, voie principale de transmission des virus de l’hépatite C et du VIH. Plus de 70% de ces usagers sont infectés par l’hépatite C et la prévalence du VIH continue sa progression dans toute la région de l’Europe de l’Est. Présente depuis 2011 auprès de ces personnes vulnérables à Tbilissi, MdM a eu besoin en 2014 des dons pour ne pas fermer son programme entre 2 contrats « bailleurs ».
Aujourd’hui, plus de 3000 bénéficiaires reçoivent des services, et un projet de traitement unique permet de guérir environ 300 malades du virus de l’hépatite des usagers contaminés, en limitant leur recontamination.
3. Des projets trop innovants pour être financés par des institutions
Certains de nos projets séduisent nos partenaires internationaux, mais sans obtenir leur soutien financier car ils sont encore trop innovants pour rentrer dans telle ou telle ligne budgétaire. Les dons non affectés sont alors essentiels pour financer tout ou une partie d’un projet qui doit faire la preuve de son efficacité pour en tirer les leçons avant de le dupliquer. Le projet comme son évaluation sont financés par les dons, et persuaderont peut-être demain la communauté internationale d’adapter ailleurs et à plus grande échelle ces projets pilotes.
Exemple détaillé du « e-waste » à Metro Manilla (Philippines)
Aux Philippines, le recyclage des déchets électroniques et électriques (e-waste) est en grande majorité géré hors des circuits légaux. Dans les barangays les plus pauvres de Metro Manilla ou de Cebu, des familles de travailleurs informels démantèlent le matériel électronique et électrique, souvent venu du Japon et de Corée, permettant de récupérer les matières premières de valeur, en particulier les métaux. Le processus, qui libère de multiples substances toxiques, participe non seulement à la contamination croissante de l’environnement mais représente également un risque sanitaire réel pour de nombreuses populations.
Depuis 3 ans, Médecins du Monde a renforcé les communautés de 4 bidonvilles de Metro Manilla en favorisant l’émergence d’associations de démanteleurs. L’objectif était de contribuer à l’atténuation des conséquences sanitaires et environnementales du e-waste en s’appuyant sur le savoir-faire de MdM en réduction des risques, sur les compétences techniques d’ingénieurs de la Fondation Véolia, sur la détermination et le savoir-faire des démanteleurs.
Trois ans après, les résultats sont au rendez-vous
Le niveau d’exposition de la population des démanteleurs et de leurs communautés aux produits chimiques toxiques est considérablement réduit : éducation pour la santé, information, promotion de mesures de protection individuelles et collectives. Les e-déchets ont disparu de l’intérieur des foyers et certaines pratiques à risque appartiennent au passé (brûler les câbles, casser les écrans à tube cathodique, etc.).
La capacité de réaction des quatre communautés est améliorée : création d’organisations légalement reconnues de démanteleurs informels, capables de négocier des zones dédiées au démantèlement avec les autorités locales, journées “rues propres” pour faire le lien avec le reste du barangay (la plus petite unité administrative d’une municipalité). Des individus « sans voix » ont mené une démarche collective pour se faire entendre, et leurs associations sont devenues de véritables partenaires de MdM dans la réalisation d’autres activités.
L’accès au dépistage et aux soins et les capacités du système de santé nécessitent d’être encore renforcées. En effet, les médecins philippins n’étudient pas la toxicologie dans leur formation initiale si bien que beaucoup n’ont pas une bonne compréhension des enjeux sanitaires liés aux e-wastes. Les personnels médicaux des barangays n’ont pas les compétences pour poser un diagnostic et reconnaître les symptômes, alors qu’ils sont en contact direct avec les démanteleurs.
Unique projet en santé-environnement de ce type, ce projet appuie sur les leviers de promotion de la santé : changement des compétences attitudes et pratiques, mobilisation communautaires, création de lieux de vie et de travail plus favorables à la santé, plaidoyer pour reconnaître les droits des démanteleurs. Un nouveau projet devrait débuter sur cette thématique dans la vallée de Katmandu dès fin 2016.
Le rôle des donateurs
Aux yeux de nombreuses institutions et bailleurs de fonds, ce projet e-waste est très attractif mais trop innovant pour entrer dans leurs lignes budgétaires actuelles. Ce projet d’environ 1M€ sur 4 ans aura été financé pour 70% par la générosité du public, 30% par la Fondation Véolia. Son évaluation-capitalisation a été financée totalement par les dons non affectés.
Quelles suites ?
En offrant des moyens pérennes, le but est d’autonomiser les associations communautaires, et conformément à leur demande, augmenter leurs connaissances sur la toxicité des métaux lourds et la transmission intergénérationnelle de pratiques protectrices de la santé et de l’environnement. Via la depeer-éducation, étendre ces activités aux junk shops, afin de travailler sur le niveau supérieur de la filière d’e-waste.
Continuer le plaidoyer pour qu’une gestion des déchets ultimes, issus du démantèlement des e-déchets, qui ressort de la responsabilité du gouvernement local, soit correctement assurée. Grâce à des partenaires locaux de type livelihoods, orienter davantage le projet autour de l’amélioration de la qualité de vie, l’éducation, les perspectives économiques, la résilience aux aléas naturels.
Quelques prérequis pour dupliquer à d’autres sites
S’assurer que la démarche communautaire est possible, renforcer l’axe médical (formation des professionnels locaux du barangay) et avoir une vision claire de toute la chaîne économique afin d’avoir une réponse complète sans perturber le système (dans le cas d’un projet visant des professionnels). Vérifier si la toxicologie fait partie du curriculum des médecins du nouveau barangay. Dans le cas contraire, en faire un axe de plaidoyer, ou travailler avec les universités pour développer un module sur le sujet.
Promouvoir la recherche sur les impacts sanitaires et environnementaux des métaux lourds, axe indispensable pour démontrer l’impact d’un tel projet. Mettre en œuvre une démarche « Evidence Based » réaliste et liée au temps parfois limité des projets. Vérifier ainsi les hypothèses.
Piloter une équipe projet pluridisciplinaire douée de compétences sociales, médicales et techniques, afin de répondre à l’ensemble des enjeux liés au renforcement des communautés, à la toxicité de certains produits sur la santé, ainsi qu’à l’accès aux soins.
Pour ce faire, MdM s’assurera des alliances d’acteurs pour faire reconnaître le statut de travailleur et le droit des indigents à un dépistage et une prise en charge des intoxications. Les compétences techniques des ONG et militants environnementalistes sont les bienvenues ! Avis aux don-acteurs !
Hugo Tiffou, responsable du pôle Eurasie.
Journée des Donateurs, MdM, 21 Mai 2016.