Témoignages // Hommages // Mémoire
Adieu l’ami,
C’est un côtoiement de près de 25 ans qui s’est achevé brusquement en cette fin d’été.
J’ai souvenir de nos premières rencontres et surtout des échanges vifs et passionnés auxquels elles donnaient lieu. En 1994, à Strasbourg , dans les locaux de la « Mission sida Toxicomanie de Médecins du Monde » , nous avons en effet passé des heures , à plusieurs , à discuter de l’emploi de tel ou tel mot dans les textes que nous produisions . Ces derniers étaient lourds de sens à cette époque de combat. Il s’agissait en effet d’imposer une autre conception de l’accueil et du soin proposés en France aux usagers de substances interdites et qui mourraient du SIDA. Nous étions peu nombreux alors, à ne plus accepter la mort par centaines de jeunes gens utilisateurs de drogues ni l’accueil désastreux qui leur était fait quand d’aventure ils se risquaient à demander des soins, à souhaiter les associer à notre réflexion et aux actions menées en direction de leurs pairs. Nous nous devions d’être vigilants et surtout résolus, car ce que nous proposions comme alternative était alors violemment combattu idéologiquement.
J’ai souvenir de ton intransigeance face aux multiples critiques visant les politiques de réduction des risques que nous souhaitions voir mises en œuvre dans le pays, car il y avait urgence face à la catastrophe sanitaire que vivaient les usagers, de ta force de conviction, de ton courage. Les oppositions étaient féroces, les attaques rudes, les alliances fragiles.
J’ai souvenir de la constance de ton engagement, de ta capacité à ne jamais renoncer, de ta curiosité face à tout ce qui émergeait de neuf dans le champ qui nous mobilise encore et toujours.
J’ai souvenir aussi de ton amour pour l’autre rive de la Méditerranée, de la musique de là- bas, de ton bonheur à évoquer cette terre avec ceux qui comme toi en étaient issus.
J’ai souvenir de notre toute dernière rencontre il y a quelques mois à peine, dans les locaux d’Argos la Salle de consommation strasbourgeoise. Nous avons partagé nos constats, nos questionnements, nos projets mais aussi un moment de vrai bonheur à vivre là, concrètement, l’aboutissement d’années de lutte et de travail au milieu de jeunes usagers à mille lieues d’en avoir connaissance, mais ravis et soulagés de l’existence d’un tel espace leur étant dédié. Tu avais certes l’air fatigué, mais ton regard et ton sourire continuaient de pétiller devant l’ampleur de ce qui restait à accomplir.
Cet appétit de créer, d’avancer, de répondre avec justesse, rapidité, inventivité aux besoins des usagers il va nous falloir le soutenir. Mais nous pouvons aujourd’hui prendre appui sur le travail et les résultats incontestés produits ces 30 dernières années et auxquels tu as amplement contribué.
Adieu camarade et merci !
Danièle Bader