Article paru dans le Fil Info Avril 2015 de la délégation Pays de la Loire
Aujourd’hui, la situation des MIE (Mineurs Etrangers Isolés) n’a de cesse de s’aggraver en France, sans famille, sans ressources, souvent sans papiers, ils sont de plus en plus considérés comme des migrants avant d’être considérés comme des enfants. De ce fait, et suivant la politique actuelle en France depuis plusieurs années, ils connaissent, une fois arrivés en France, un nombre sans cesse croissant de discriminations et de traitements particuliers qui ne participent qu’à rendre leur situation plus précaire encore. Médecins du Monde Pays de la Loire étant engagé dans le processus de défense et d’accès aux droits des MIE, nous vous proposons ce mois-ci un zoom spécial vous présentant la situation connue par ces enfants, ainsi que les combats menés par la délégation.
Les MIE sont des jeunes étrangers de moins de 18 ans, se retrouvant en France sans représentants légaux. Du fait de leur jeune âge et de leur situation, ils doivent être considérés comme personnes en danger et devraient bénéficier des dispositifs habituels de protection de l’enfance au même titre que les mineurs français. C’est en tout cas ce que préconise l’article l’article L.111-2 du Code de l’Action Sociale et des Familles qui confirme l’absence de condition de nationalité dans le cadre des mesures de protection de l’enfance : « Les personnes de nationalité étrangère bénéficient dans les conditions propres à chacune de ces prestations : 1° Des prestations d’aide sociale à l’enfance », le CASF rappelle également que « le président du conseil général (CG) est chargé du recueil, du traitement et de l’évaluation, à tout moment et quelle qu’en soit l’origine, des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être. ». Dépendants donc de l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance, service du Conseil Général responsable de la prise en charge des mineurs), celle-ci a de plus en plus tendance à déléguer leur prise en charge.
Lors de l’arrivée d’un MIE, celui-ci doit bénéficier d’une mise à l’abri, évaluation, orientation pour déterminer la minorité et l’isolement de la personne.
Pour les mineurs, une prise en charge à double vitesse
S’il est estimé que la personne est bien mineure, celle-ci peut alors bénéficier d’une mise à l’abri, puisqu’elle entre théoriquement dans le champ d’action de l’ASE.
Jusqu’à fin 2013, ces mineurs étrangers étaient pris en charge dans les foyers classiques de l’ASE, avec les autres enfants du département placés pour d’autres raisons ; ils étaient scolarisés, leurs éducateurs s’occupaient de leurs demandes de titre de séjour à leur majorité, c’est ainsi que beaucoup d’entre eux ont obtenu des titres de séjour de 10 ans voire la nationalité française.
Depuis la mise en place de la répartition nationale de ces mineurs, leur nombre a augmenté en Loire Atlantique, et une prise en charge spécifique du mineur migrant a été mise en place par le Conseil général.
Ainsi le service At-Home de St Benoît-Labre accueille 60 MIE avec une prise en charge moindre que celle prévue pour les mineurs français. L’accompagnement des jeunes est encore plus réduit depuis décembre 2014, puisque la majorité des MIE en Loire Atlantique sont pris en charge par le service EMMIE du CDEF (Centre Départemental Enfance et Famille) au sein duquel on décompte 3 éducateurs pour 80 jeunes. Jeunes qui sont le plus souvent placés dans des chambres d’hôtels et souvent délaissés. Si le gîte et le couvert leur sont ainsi assurés, de nombreuses difficultés apparaissent pour la scolarisation (qui est pourtant obligatoire), pour l’accompagnement et les démarches pour obtention de titres de séjours. Enfin, ce traitement particulier et ce fonctionnement par appel d’offres donne lieu à des situations ahurissantes et à la limite du respect des personnes : dans le Maine-et-Loire par exemple, l’ASE a lancé un appel à projet pour la prise en charge de MIE avec un prix de journée de 25€ par jour et par enfant, alors que le financement normal garanti par l’ASE pour un mineur isolé est d’en moyenne 150€ par jour et par enfant (75€ pour les dispositifs spéciaux propres aux MIE type Athome).
Alors même que le nombre de MIE pris en charge est dérisoire par rapport à l’ensemble des mineurs suivis par l’ASE (en Loire-Atlantique : 5.000 enfants bénéficient de la prise en charge de l’ASE, pour 200 MIE). La France est aujourd’hui épinglée par le Conseil de l’Europe et le Défenseur des Droits qui dénoncent le traitement qu’elle réserve aux MIE, dont le nombre est, rappelons-le, estimé à 8 500, pour 150.000 enfants pris en charge par l’ASE (les MIE représentent donc 6 à 7% des mineurs accueillis par le dispositif).
De même, les MIE n’ont pas accès aux contrats jeunes majeurs à leurs 18 ans.
Tout cela participe à une mise en place d’une protection de l’enfance à deux vitesses.
Des tests inefficaces et dégradants pour déterminer l’âge des personnes.
Ces tests médicaux sont réalisés dans le cadre de la circulaire de la ministre de la Justice du 31 mai 2013 qui prévoit un protocole d’évaluation de la minorité et de l’isolement des mineurs isolés étrangers, durant la période de mise à l’abri des 5 jours.
La minorité doit être évaluée tout d’abord par un entretien, puis vérification des documents d’états civil et, uniquement en cas de doute persistant et sur instruction du parquet par un examen médical.
Ces tests d’évaluation de l’âge sont réalisés au CHU de Nantes et d’Angers dans le service de médecine légale, de manière un peu trop systématique. En France, tous les départements n’y ont pas recours, alors que la Grande Bretagne a récemment supprimé l’usage de ces tests.
Ces tests pour déterminer l’âge des personnes sont de trois sortes :
– Examen des parties génitales pour déterminer si la personne est pubère.
– Examen de la dentition et radiographie panoramique dentaire (pour voir si les dents de sagesse sont déjà sorties).
– Examen osseux. Celui-ci consiste en une radio du poignet gauche du jeune migrant qui permet de voir si les os sont soudés ou s’il reste encore du cartilage de croissance. Moins il y a de cartilage, plus la personne est considérée comme s’approchant des 18 ans.
Autant de tests qui laissent la place à une grande marge d’erreur :
– Les quatre dents de sagesse peuvent être visibles dès 16 ans.
– L’âge de la puberté « adulte » varie d’une personne à une autre (peut débuter à l’âge de 15 ans pour les garçons et de 13 ans pour les filles), de même que le développement du système pileux.
– En ce qui concerne les tests osseux, pour faire une comparaison, le radiologue se rapporte aux clichés contenus dans l’atlas de référence, dit de Greulich et Pyle, du nom des deux médecins américains qui l’ont publié. Atlas qui date des années 1950, et qui se basait uniquement sur les radios de jeunes américains blancs.
Ainsi, même le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a rappelé en 2011 que ” partout en Europe (…) la maturité de la dentition et du squelette ne permet pas de déterminer l’âge exact d’un enfant, mais uniquement de procéder à son estimation, avec une marge d’erreur de deux à trois ans.”
Aucun de ces tests n’est donc viable scientifiquement parlant, et pourtant les institutions continuent d’y avoir recours. Les conséquences sont lourdes pour les jeunes déclarés majeurs.
Une situation intenable pour la personne considérée comme majeure
Si la personne, après réalisation des tests osseux n’est pas reconnue comme mineure, malgré ses papiers (qui sont souvent considérés comme faux par les institutions) elle devient un ‘’ni-ni’’ : ni mineur, ni majeur, ne pouvant bénéficier des droits pour les mineurs (car jugés majeurs par les CG), ni de ceux pour les majeurs (par exemple le 115 qui va refuser d’accueillir une personne puisque ses papiers indiquent qu’elle est mineure, ou encore les accueils réalisant la distribution alimentaire). Ainsi, depuis 2013, la CIMADE et le CASO reçoivent de plus en plus de ces ”ni-ni”.
Pour lutter contre l’utilisation de ces tests arbitraires, la mobilisation s’organise, avec notamment la mise en ligne d’une pétition pour que soit abandonnée cette façon de fonctionner, comme le réclame, parmi d’autres, le Docteur Serge Lipski, du CA de Médecins du Monde, selon lequel, réaliser ces tests (notamment osseux) « c’est utiliser la médecine à des fins judiciaires, ce qui est discutable. C’est aussi irradier inutilement des enfants, parfois à plusieurs reprises ».
L’engagement de la délégation Pays de La Loire
Très préoccupée par ce sujet, la délégation des Pays de la Loire participe activement à des actions dont le but est de demander l’arrêt des tests osseux, l’égalité de traitement entre mineurs isolés français et étrangers et le respect par l’ASE des obligations auxquelles elle est tenue par la loi.
Pour ce faire, Carine Rolland, Co-RM CASO de N antes a participé à des réunions interassociatives, compilé des informations (utilisées pour réaliser ce dossier), et rédigé un texte de positionnement de la délégation (disponible sur l’intranet). Dans le cadre d’actions conjointes avec d’autres associations au sein de l’U CI J (incluant dorénavant le collectif des travailleurs sociaux MMI E) Carine est intervenue début mars lors d’une conférence de presse et lors une réunion publique. I l s’agissait de présenter les arguments scientifiques et éthiques montrant la non fiabilité des tests de détermination de l’âge et les nombreuses recommandations émanant d’autorités diverses d’arrêter cette pratique.
MdM participe également au CoPil régional à l’initiative de l’U RI OPSS dont l’objet est d’organiser une journée en fin d’année pour faire avancer la question dans la région. Enfin, l’action de MdM passe également par la sensibilisation du milieu médical : fin mars, un courrier d’interpellation a été envoyé aux médecins du CHU de Nantes amenés à pratiquer ces tests et au comité d’éthique de l’hôpital, une rencontre leur est proposée. Si vous souhaitez en savoir plus sur cette démarche, partager vos expériences et réflexion sur cette thématique vous pouvez écrire à Carine Rolland.