« Les Kosovars ». C’est comme ça que certains habitants de Calais continuent d’appeler les migrants depuis l’arrivée des premiers réfugiés du Kosovo en 1999. Aujourd’hui les migrants arrivent pourtant d’Érythrée, de Somalie, d’Afghanistan, de Syrie… via la Serbie. Pied de nez de l’Histoire qui veut que les territoires de l’ex-Yougoslavie deviennent aujourd’hui une terre si ce n’est d’accueil du moins de transit pour les victimes des guerres au Moyen-Orient et en Afrique.
Au delà les crises internationales, la crise économique et idéologique européenne a fortement remodelé les frontières de l’Union Européenne. Véritable zones-tampons, traversées de mers et de murs, elles obligent les migrants à redoubler d’ingéniosité pour trouver les failles de la forteresse. Depuis plusieurs années, les Balkans sont une de ces failles où s’engouffrent depuis la Grèce ou la Bulgarie toujours plus de migrants espérant rejoindre l’Allemagne, la Suède ou l’Angleterre.
Les réfugiés que l’on rencontre en Serbie sont pour ainsi dire les mêmes que ceux de Calais. Des jeunes Afghans, Syriens, Somaliens et Érythréens, parfois des femmes et des enfants, de plus en plus souvent des jeunes mineurs isolés. Et comme à Calais, tous sont obnubilés par la seule et même idée : passer la frontière, sauter dans un train qui les conduira à la Croatie, embarquer dans une voiture qui les mènera jusqu’à la Hongrie.
Malgré la mise en place par le gouvernement serbe d’un système de droit d’asile en 2008, la plupart des réfugiés ne restent en Serbie que le temps d’organiser leur passage vers l’Union Européenne. Le village de Bogovadja à 70 km au sud de Belgrade est devenu de fait le hub des migrants en transit en Serbie. Ce village de 300 habitants accueille depuis des années l’un des rares centres d’hébergement de demandeurs d’asile du pays. Et les bois et champs alentour se sont transformés en camps de fortune pour réfugiés. On y voit passer chaque année plusieurs milliers de migrants cherchant des contacts avec les passeurs. Vieilles cabanes réaménagées en dortoirs ou simples couvertures tendues dans les arbres, les conditions de vie y sont déplorables. En hiver lorsque les températures descendent sous la barre du zéro, les quelques rares associations d’aide aux migrants font régulièrement office d’ambulanciers pour des personnes souffrant de gelures ou bronchites aggravées. Les sans-papiers de Serbie n’ont en effet droit à rien, si ce n’est d’être soignés en cas d’urgence.
A 250 km d’ici, à la frontière hongroise, les jungles de Subotica sont d’un tout autre type. Si les migrants de Bogovodja ont su organiser a minima une vie collective dans les bois, à Subotica les migrants sont dans une situation de vulnérabilité autrement plus grande. Totalement dépendants de leurs agents, les migrants attendent cachés dans les recoins d’une vieille fabrique abandonnée le coup de téléphone qui annoncera leur départ. Sera-ce dans deux heures ou deux jours, eux-mêmes ne le savent pas et n’osent s’aventurer trop loin du camp de peur de manquer leur chance.
Difficile aujourd’hui d’évaluer le nombre réel de migrants transitant par la Serbie vers la Hongrie et la Croatie. Certains l’estiment à 15 000 par an. Une chose est sûre cependant : à l’image de l’expérience de Calais depuis 15 ans, le nombre des migrants ne cessera d’augmenter dans les prochaines années. Et avec le durcissement des contrôles à la frontière et les efforts colossaux déployés par la Serbie pour construire sa politique migratoire selon les standards européens, les situations d’impasses et de refoulement des migrants de l’Union vers la Serbie seront de plus en plus nombreuses, entrainant toujours plus la détérioration des conditions de vie et la santé des réfugiés.
Julia Krikorian