Plus de deux ans de préparation, 23000 consultations, des ateliers régionaux sur tous les continents, le premier WHS qui s’est tenu à Istanbul les 23 et 24 Mai a réuni plus de 9000 personnes, ONG de tous les continents, chefs d’état, agences onusiennes et quelques acteurs du secteur privé avec pour ambitieux objectif de revisiter l’architecture de l’aide humanitaire. 173 états représentés notamment par 55 chefs d’ états, majoritairement du Sud, permettait de situer ce sommet dans un agenda politique plus général.
Avec un système quasi inchangé depuis 25 ans, établi au Nord par une poignée d’acteurs, le système méritait d’être repensé.
L’ambition première était celle d’une rénovation d’un système centralisé vers un écosystème décentralisé et inclusif, prenant en compte la complémentarité et la diversité des acteurs. En effet, le paysage humanitaire a changé de façon significative, impacté par l’explosion démographique, par des bouleversements politiques et idéologiques, mais aussi par le changement climatique. De plus, on assiste à un changement important dans le nombre et la nature des acteurs humanitaires. Les organisations régionales, les gouvernements des pays affectés et les pays frontaliers des crises ont désormais un rôle prédominant dans la réponse humanitaire. Les pays à revenus intermédiaires deviennent des bailleurs de fonds et augmentent leurs capacités de réponse aux crises, modifiant de fait leurs demandes d’aide vis-à-vis des acteurs et des bailleurs traditionnels. Des coopérations s’engagent également dans des échanges Sud-Sud. Les militaires et le secteur privé s’impliquent de plus en plus dans la réponse aux catastrophes naturelles tandis que les nouvelles technologies améliorent la rapidité de la réponse aux crises avec une remontée des besoins qui se fait par les personnes affectées.
C’est dans ce contexte que le rapport de Ban Ki-Moon diffusé en amont du Sommet le 2 Février 2016 « Une seule humanité, des responsabilités partagées » affiche cinq piliers de responsabilités : une volonté politique commune pour prévenir et résoudre les conflits, le respect des normes et des lois internationales qui protègent les personnes dans les conflits, la volonté de ne laisser personne « en arrière »( leave no one behind) , celle de travailler différemment pour que disparaissent les besoins et d’ investir dans l’humanité sur les plans politique, institutionnel et financier.
Aujourd’hui, 125 Millions de personnes, dont près de la moitié sont des réfugiés et des déplacés, dépendent de l’aide humanitaire. Ce nombre a doublé en 10 ans. Les crises les plus intenses viennent s’ajouter à des crises chroniques qui se déroulent loin des agendas des médias et des bailleurs. Sur ces terrains, pour certains très politisés, l’application des principes humanitaires d’impartialité, de neutralité, d’indépendance et d’universalité est violemment malmenée.
Avec ces milliers de participants et à l’issue d’un long processus d’élaboration, un risque certain de dilution et d’absence d’engagements concrets lors de ce sommet était à craindre. Cela ne s’est pas produit. On a pu regretter l’absence remarquée des leaders du G7 – à l’exception d’Angela Merkel. L’absence des uns a de fait laissé la place à d’autres, représentants d’Etats moins puissants qui ont pu faire entendre leur voix.
Quelques 1 500 engagements annoncés
Au Sommet, parmi les quelques 1500 engagements annoncés, certains sont à souligner. Tout d’abord une coalition « 1 Milliard Coalition for résilience ou 1BC » qui vise à mobiliser 1 Milliard de personnes pour aider des communautés à gagner en stabilité et en sécurité y compris sur des schémas de protection sociale. Un engagement a été pris concernant un partenariat global de prévention et d’atténuation des crises dans les 20 pays les plus à risques de catastrophe naturelle. De longues discussions en amont du sommet ont abouti au mécanisme dit de « Grand Bargain » qui vise à augmenter l’efficacité des investissements dans la réponse aux crises. Ce marché porte sur une nécessaire simplification dans l’attribution et la coordination de l’allocation des ressources, notamment pour les ONG locales et nationales dont le financement direct par les bailleurs internationaux est aujourd’hui marginal (environ 0.4 %). Moyennant des mécanismes de redevabilité et de traçabilité, des financements leur seront attribué directement. Plusieurs états ont pris des engagements fermes en ce sens, allant jusqu’à 25 % à horizon 2020. La Banque Mondiale ainsi que 7 autres banques de développement vont également mettre en place une plateforme de réponse globale pour répondre aux déplacements forcés de population. Un fond dédié à l’éducation des enfants et adolescents sur les terrains de crises (Education cannot wait Fund) a également été créé. Enfin, une charte pour l’inclusion des personnes en situation de handicap dans l’action humanitaire a vu le jour.
Un rapport complet qui reprend tous les engagements du Sommet sera présenté fin juin lors du débat ECOSOC consacré aux affaires humanitaires
Pour Médecins du Monde, trois thèmes majeurs ont traversé discussions et engagements de ce sommet, trois thèmes qui viennent croiser nos domaines d’intervention.
Le premier est la place des ONG locales et nationales dans l’architecture humanitaire . En effet, dès que l’on s’intéresse aux racines des crises et des conflits et afin d’être dans une démarche de prévention et d’anticipation, l’analyse d’amont doit s’appuyer sur les communautés locales et les mécanismes nationaux. Cette analyse permet de partager données, contextes, et d’être dans la complémentarité pour des solutions résilientes et de long terme. A ce titre, le lancement de la plateforme NEAR (The Network for Empowered Aid Response) des ONG du Sud a été un véritable évènement : les ONG du Sud entendent être partie prenante de cette réforme structurelle, de la gouvernance et des règles du jeu. Elles sont en première ligne lors des crises et sont toujours là lorsque les acteurs extérieurs sont partis. Désormais, elles entendent être bénéficiaires directes de l’aide humanitaire. Des initiatives du type de Charter4Change vont également dans ce sens : Il revient alors aux bailleurs d’accepter des risques « calculés » et de rendre plus accessibles les procédures de rapports bailleurs. L’ensemble des demandes plaide en faveur d’un contrôle local accru par les pays affectés par les crises et plaide en faveur de plus de justice globale.
Le second thème est celui du respect des principes humanitaires et du respect du droit humanitaire international. La priorité était de redire que la protection des civils, celle du personnel humanitaire et la sanctuarisation des lieux de soins sont aujourd’hui violemment malmenées. Il a été maintes fois rappelé le fossé existant entre le droit humanitaire international et la réalité du terrain. La paralysie permanente du Conseil de Sécurité des Nations Unies est un obstacle majeur. L’adoption en Mai dernier, sous l’impulsion de la France, de la résolution 2286 sur la protection du personnel de santé et des structures de soins constitue une avancée. Toutefois, l’accord informel proposé par la France entre les 5 membres permanents du Conseil de Sécurité portant sur l’abandon du véto en cas d’atrocités de masse aurait dû être porté durant ce Sommet au plus haut niveau politique devant les acteurs et les décideurs présents à Istanbul.
Enfin, sur le sujet des crises durables et parce que le Sommet se déroulait en Turquie, les engagements se sont focalisés sur la question des réfugiés et déplacés. Sur les 60 Millions de réfugiés et les déplacés, la question du droit des réfugiés dans les pays de transit et de destination a été priorisée. L’ambition affichée est de réduire les déplacements et de fournir un support renforcé aux pays d’accueil et aux communautés hôtes, « a global compact » qui assurerait l’accès à circuler, l’accès au marché du travail, à l’éducation et à la santé. Lors du Sommet, l’accord entre l’Union Européenne et la Turquie sur la question des réfugiés a été maintes fois dénoncé notamment par les plateformes d’ONG comme VOICE dont MdM est membre.
D’autres engagements ont été pris notamment concernant la place des organisations régionales comme l’ASEAN ou l’Union Africaine dans ce nouvel écosystème. Sur le plan du fonctionnement du système, une centralisation des données humanitaires par le Centre de collecte des Pays Bas a été évoquée, de même qu’une nécessaire rationalisation des rapports pour les bailleurs de fonds sous le slogan « moins de papier plus d’aide »
En session plénière de clôture et au nom des quelques 550 ONG présentes au Sommet, Médecins du Monde s’est engagé à ce que les acteurs locaux et nationaux, intervenants de première ligne, soient partie prenante de la gouvernance, des mécanismes de coordination et des financements directs du secteur humanitaire. D’autres engagements ont été pris par les ONG et sont applicables immédiatement : l’inclusion dans les programmes d’une prise en charge des violences liées au genre, la formation de tous les acteurs aux principes humanitaires, l’application de la charte sur l’inclusion des personnes en situation de handicap. Au-delà de ces engagements concrets, les Organisations Non Gouvernementales ont redit leur rôle éminemment politique de dénonciation des violations du droit humanitaire international. |
En session plénière de clôture et au nom des quelques 550 ONG présentes au Sommet, Médecins du Monde s’est engagé à ce que les acteurs locaux et nationaux, intervenants de première ligne, soient partie prenante de la gouvernance, des mécanismes de coordination et des financements directs du secteur humanitaire. D’autres engagements ont été pris par les ONG et sont applicables immédiatement : l’inclusion dans les programmes d’une prise en charge des violences liées au genre, la formation de tous les acteurs aux principes humanitaires, l’application de la charte sur l’inclusion des personnes en situation de handicap. Au-delà de ces engagements concrets, les Organisations Non Gouvernementales ont redit leur rôle éminemment politique de dénonciation des violations du droit humanitaire international.
Les ONG seront partie prenante du processus de suivi de cette nouvelle architecture tout en gardant une vigilance particulière à leur indépendance. Nous restons attentifs à ne pas être embarquées dans les agendas politiques des Etats aux dépens de nos valeurs fondamentales.
L’agenda de ce nouvel édifice est essentiel et s’intègre aussi dans un agenda plus global des ODD et de la COP 21 . Le prochain rendez-vous a lieu en Septembre à New-York à l’occasion de la 71 eme Assemblée Générale des Nations Unies.
Les mois à venir où va se jouer la succession de Ban Ki- Moon seront cruciaux, pour les Etats qui ont pris des engagements, pour les agences onusiennes en terme d’organisation interne, pour les ONG qui réclament d’être plus intégrées au système.
MdM comme les autres ONG n’échappera pas à cette analyse structurelle et à cette évolution interne. Si nous voulons mettre en œuvre nos intentions politiques, c’est tout un modèle qu’il faut faire évoluer, c’est une gouvernance à revisiter et un changement d’esprit à opérer.
Les nouvelles directions prises annoncent une nouvelle distribution du pouvoir. Elles annoncent aussi une atténuation du caractère fragmenté et cloisonné de l’aide vers un modèle plus horizontal, décentralisé, permettant de mieux anticiper les crises. Il s’agit bien d’un agenda transformatif et pas révolutionnaire mais qui a l’ambition de faire évoluer la gouvernance. Ce système ne sera pas unique mais divers.
Il reste que, dans tous les cas et quel que soit la sophistication et les nouveautés proposées par ce sommet, l’action humanitaire ne peut se substituer à la recherche de solutions politiques pour prévenir et régler des crises et des conflits. Mais notre rôle de vigilance et d’interpellation dès lors que les droits des personnes sont malmenés ou que les lois ne sont pas appliquées reste entier.
Françoise Sivignon