INTERVIEW – Depuis le séisme, Médecins du monde a reçu dans ces cliniques mobiles 4000 malades souffrant de fortes fièvres, de diarrhées et de stress. Françoise Sivignon, présidente de Médecins du monde, alerte sur les risques d’épidémies accrus à cause de la mousson.
LE FIGARO. – Pourquoi avoir choisi le Népal plutôt que la Syrie ou le Kurdistan ?
Françoise SIVIGNON. – Avant le séisme, on ne parlait jamais de ce petit pays. Or Médecins du monde est présent ici depuis 1995. J’étais venue en 2011 pour me rendre compte du travail de nos «Health Post», ces centres de santé tous créés dans le Sindhupalchok, un district difficile d’accès, situé dans les zones montagnardes des contreforts de l’Himalaya. Au début de l’année 2015, nous avions dans cette région, 79 centres de santé, 63 ont totalement été détruits. Les autres le sont partiellement. Au moment du séisme, c’est auprès de ces populations rurales que nous connaissons que nous avons décidé d’intervenir.
Avec quels moyens, dans ce contexte, répondre aux besoins des Népalais?
Médecins du monde a 80 personnes sur place – 10 expatriées, les autres sont népalaises – pour reconstruire et tenter de répondre aux besoins immédiats d’un bassin de population qui compte plus de 100.000 personnes. Nous avons créé cinq cliniques mobiles qui tentent de se rapprocher des populations les plus isolées. Certaines vont à leur rencontre en hélicoptère. La logistique est notre principal défi, surtout en cette période de mousson et de glissements de terrain quotidien. Une route praticable un jour ne l’est pas le lendemain. Ce qui complique nos interventions.
Quelles sont les principales pathologies auxquelles vous êtes confrontés?
Depuis le séisme, nous avons ausculté plus de 4000 malades. Nous soignons des infections pulmonaires, des fièvres typhoïdes, des diarrhées sanglantes. Il n’y a pas d’eau potable. Les gens boivent comme avant l’eau des montagnes. Ils ne la traitent pas. Il n’y a plus de latrines et les eaux usées se mélangent aux eaux de source. Les conditions d’hygiène sont exécrables. Nous sommes vigilants car avec la mousson, les risques d’épidémie, comme le choléra, s’accroissent. On essaie de dispenser des conseils d’hygiène de base. Si les gens les respectaient, ça réglerait 90 % des problèmes, mais ils sont dans un tel dénuement que ce n’est pas facile. Nous sommes confrontés à des pathologies post-traumatiques liées aux blessures que se font les gens en déblayant leurs maisons à mains nues. Ils ne sont pas outillés, travaillent sans la moindre protection dans un entrelacs de ferrailles et de briques, souvent pieds nus. Ils marchent sur des clous et ne sont pas vaccinés. Ils se blessent aussi avec le tranchant des tôles ondulées qui leur servent d’abris. Les plaies ouvertes s’infectent. Avec l’humidité, elles ne cicatrisent pas.
Psychologiquement comment vont les Népalais?
Mal. De tous les maux, ceux qui seront peut-être les plus difficiles à surmonter sont les traumatismes psychologiques. Les gens sont accablés, ils n’ont plus la force de se projeter dans l’avenir. Dans certains villages, les femmes sont très seules pour reconstruire, un nombre croissant d’hommes part chercher du travail dans la péninsule arabique.
Comment voyez-vous l’avenir ?
Nous travaillons depuis longtemps avec les autorités locales. D’ici au mois d’octobre, quand nous aurons reconstruit nos centres de santé, nous participerons à la réhabilitation du système de santé. Il était déjà précaire avant le séisme, il est complètement anéanti aujourd’hui. Nous aurons gagné quand les Népalais n’auront plus besoin de nous.
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