Engagé auprès des populations meurtries par les guerres, comme auprès des démunis et des malades du sida, il a présidé l’ONG à partir de 1989. Il est mort le 18 octobre, à 70 ans.
Né le 1er évrier 1949, à Compiègne (Oise), Jacques Lebas avait longuement vécu en Espagne avec sa famille. Il parlait un parfait castillan avec un accent aristocratique qui faisait bel effet dans les maquis latino-américains. Il aimait à citer cette phrase d’Antonio Machado : « Caminante no hai camino, se hace camino al andar » (« Marcheur il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant »). C’est ce que fit Jacques Lebas. Il faisait partie de cette courte cohorte qui parcourt la planète avec une trousse d’urgence. On les retrouve dans tous les coins meurtris de guerres ou envahis de virus.
Gentilhomme du monde, Jacques Lebas était médecin, au sens le plus noble de ce redoutable métier, pour le pire et le meilleur, pour la vie et pour la mort, du sida aux fracas du monde pauvre. Il faut soigner et ne jamais se taire.
La médecine comme une fraternité
Il rédigea avec ses amis un additif au serment d’Hippocrate : « Je m’engage, dans la mesure de mes moyens, à donner mes soins à ceux qui, dans le monde, souffrent de corps ou d’esprit, je refuse que la science ou le savoir médical couvrent l’oppression ou la torture, que l’on porte atteinte à la dignité de l’homme, que l’on cache l’horreur… Je m’engage à témoigner… »
Il pratiquait la médecine comme une fraternité, avec colère devant le dénuement, sans peur devant la maladie contagieuse. Et toujours dénonçant l’injustice. On le vit sur les bords du fleuve africain Chari, dans son hôpital improvisé du Tchad, parmi les guérilleros des montagnes du Salvador ou les pêcheurs miskitos. On le vit aussi en France auprès des démunis et des malades du sida.
Avec la même obstination, chef de clinique à l’hôpital Claude-Bernard de Paris, il fit partie de l’équipe qui débusqua le virus du VIH ou tendit un siège pour s’entretenir avec les migrants et les déshérités au centre Baudelaire qu’il avait inventé à l’hôpital Saint-Antoine.
Il faut se souvenir que le sida, cette maladie venue d’Afrique qui portait la mort sur tous les continents, entraîna d’abord déni et racisme et qu’elle fut étudiée, combattue, expliquée et partiellement vaincue par un bien petit nombre de médecins. Jacques Lebas en fut.
Cette maladie, à ses débuts, était une sentence de mort. Le docteur Lebas va accompagner chacun de ses malades jusqu’à la fin. On lui doit aussi la création, avec Alain Deloche, des centres de dépistage anonymes et gratuits de Médecins du monde ainsi que la déclaration universelle des droits des patients malades du sida ou séropositifs avec l’association Aides.
Ainsi allaient changer nos pratiques quotidiennes et notre vision du monde.
Elu président de Médecins du monde en 1989, Jacques Lebas affirma que l’universalité de la souffrance ne devait pas cacher la singularité de chaque malade et que l’exercice médical exigeait une vision politique. Se rendant à Bucarest avec les équipes de Médecins du monde, il va découvrir que les enfants cachectiques des orphelinats sont porteurs du virus du sida, conséquence des multiples transfusions prescrites pour leur confort !
En 1993, il tira un livre de ses expériences : A la vie à la mort. Médecin par temps d’épidémies (Seuil).
A s’occuper des autres, à parcourir le monde, on risque de négliger sa famille. Jacques était marié avec la docteure Anne Velay, médecin militante. Ils eurent deux filles, Sarah et Maya, belles et brillantes. L’époque fut troublée et le divorce conclu. Plus tard, Jacques rencontra Michèle Barzach, l’excellente ministre de la santé avec qui il va partager trente ans de complicités. Ils se marieront en 2003.
Passions et querelles : les French Doctors furent une belle bande, fondant une belle confrérie, bonne façon de tenter de survivre à sa jeunesse. Jacques Lebas restera le plus haut représentant de cette génération humanitaire qui voulait en faire une politique.
Avec lui, en Pologne, nous avions plusieurs fois rendu hommage au docteur Marek Edelman, commandant en second du soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943, qui disait, en s’adressant à l’histoire : « Il faut prendre le bon Dieu de vitesse. » « Je ne supporte pas que la mort m’échappe », répondait Jacques Lebas.
Adieu Jacques traces maintenant ton chemin vers un ailleurs fraternel où nous nous reverrons surement.
je t’embrasse
Que de bons souvenirs avec Jacques aussi bien au Tchad qu’au pays basque.
Salut vieux frère