Puisque le 28 juillet est consacré Journée mondiale de lutte contre les hépatites virales, profitons-en pour dénoncer les prix exorbitants de nouveaux traitements, qui ne sont ni plus ni moins qu’une prise en otage des systèmes de santé par l’industrie pharmaceutique.
Qualifiée par l’Organisation mondiale de la santé de bombe virale à retardement, l’hépatite C est une maladie du foie causée par le virus de l’hépatite C (VHC) qui se transmet par le sang. Elle concerne au niveau mondial plus de 185 millions de personnes et cause 700 000 décès par an. Le virus dégrade progressivement les cellules du foie pouvant conduire, après vingt à quarante ans d’infection, à des cirrhoses et dans certains cas des cancers du foie. Jusqu’à ce stade critique, l’infection demeure généralement asymptomatique, c’est-à-dire sans signe visible, raison pour laquelle l’immense majorité des personnes infectées l’ignore.
En France, malgré la mise en œuvre de politiques de dépistage, environ 40% des personnes vivant avec le VHC ignorent leur statut.
La transmission du virus de l’hépatite C s’est accélérée à partir des années 50 et jusqu’à la fin des années 80 et 90 quand la découverte du virus, et donc de ses modes de transmission, a permis la mise en place de mesures de prévention. S’amorce donc, vingt à quarante ans après, un pic de mortalité sans précédent.
Comme pour le VIH-sida, les populations les plus vulnérables sont celles dont la répression des modes de vie et des pratiques, associée à une marginalisation sociale, entrave la possibilité de bénéficier d’une prévention adaptée. Il s’agit des personnes usagères de drogues, qui n’ont pas ou pas suffisamment accès à des services de réduction des risques adéquats : matériel stérile de consommation, traitements de substitution, accès précoce au traitement pour limiter la transmission, éducation aux risques liés à l’injection, etc. Pourtant, elles sont particulièrement exposées au risque d’infection par le VHC, et constituent le groupe le plus durement touché par l’épidémie.
La grande majorité des personnes vivant avec l’hépatite C habite dans les pays à revenu faible et intermédiaire (principalement d’Europe de l’Est et d’Asie) où l’accès au dépistage et au traitement de l’hépatite C est presque inexistant. Le prix des tests de diagnostic et des médicaments, le manque de personnel médical formé et l’absence de ressources financières sont autant de barrières à la mise en place d’une réponse efficace à l’épidémie dans ces pays. L’hépatite C demeure oubliée des principaux bailleurs internationaux qui rechignent à ouvrir leur portefeuille à de nouvelles pathologies, témoignant plus souvent d’une absence de volonté politique.
Pourtant, depuis quelques années est apparu un espoir grâce à l’arrivée d’une nouvelle génération de traitements permettant de supprimer le virus de l’organisme tout en simplifiant le suivi des patients. Mais cet espoir est assombri par une dure réalité : le bénéfice de ces nouvelles molécules demeure restreint à une infime minorité de patients, essentiellement pour des raisons financières. Désormais, les pays du Sud ne sont plus les seuls à rencontrer des difficultés pour financer les traitements, et le problème de l’accès aux médicaments se pose au niveau mondial.
En Europe, les prix exorbitants imposés par l’industrie pharmaceutique (jusqu’à 100 000 euros pour une combinaison de deux molécules en France) menacent les systèmes de santé solidaires. Dans plusieurs Etats membres de l’Union européenne, les patients n’auront pas accès à ces médicaments hors de prix, alors que des versions génériques 100 fois moins chères sont disponibles en Inde. En France, pour les mêmes raisons financières, la Sécurité sociale ne prend en charge le traitement que pour une partie des personnes infectées, celles à un stade avancé de la maladie.
Sur l’année 2014, les ventes du laboratoire américain Gilead Sciences, qui commercialise le plus cher des traitements de l’hépatite C actuellement approuvé, se sont élevées à 24,9 milliards de dollars, ce qui lui a permis de dégager 12,1 milliards de dollars de profits. Une fraction de ce montant permettrait d’accélérer la prise en charge de l’hépatite C dans les pays à revenus faibles.
Plus que jamais, il est nécessaire d’interroger l’équilibre entre le juste profit et le droit à la santé. En refusant d’utiliser les outils juridiques prévus par le droit international (et intégrés dans les législations nationales dont le code français de propriété intellectuelle) pour suspendre les brevets et faire baisser le prix des traitements, les Etats acceptent la prise en otage des systèmes de santé opérée par l’industrie pharmaceutique, et cautionnent les profondes inégalités dans l’accès aux soins.
En introduisant, en février, un recours devant l’office européen des brevets, Médecins du monde a entamé une campagne contre le système actuel de fixation du prix des médicaments, dont l’opacité et l’absence de contrôle démocratique génèrent des rentes de situation inacceptables. Cette situation menace l’accès aux soins et la pérennité de nos systèmes de santé. Or, c’est aussi à nous, citoyens et citoyennes contribuant au budget de la Sécurité sociale, de refuser cette prise en otage et d’exiger des prix raisonnables.
Françoise Sivignon, publié dans le journal Libération