Pendant les mois de juin et juillet, les équipes de Médecins du Monde PACA, composées de soignants et d’interprètes, se sont régulièrement rendues en Italie, à la frontière entre Menton et Vintimille. Nous avons proposé des consultations médicales aux personnes qui, bloquées dans leur traversée de l’Europe par la police aux frontières (PAF), vivent sur des rochers en bord de mer. Ce sont ces personnes que l’on nomme « migrants ».
Ils arrivent là, après des mois ou années de voyage, du Soudan, d’Érythrée, d’Éthiopie, de Lybie. D’autres viennent du Tchad, surtout de la région frontalière avec le Darfour. Mais la grande majorité est soudanaise. Ils viennent du Darfour, à l’est du pays, et de Khartoum et alentours. Âgés de 20 à 35 ans, ils ont souvent un bon niveau d’éducation – certains étudiaient à l’université. La plupart pourrait prétendre à l’asile politique, en tant que victimes du conflit au Darfour ou pour avoir manifesté contre le pouvoir d’Omar Al-Bachir. Un jeune, par exemple, terminait ses études en sciences politiques lorsqu’il a décidé de partir suite à des révoltes étudiantes contre le pouvoir.
Tous sont partis depuis longtemps, parfois 2 ou 3 ans. Arrêtés en Libye par la police puis enfermés dans des centres de rétention pendant 6 à 12 mois, souvent rackettés, ils ont dû trouver un moyen de travailler pour payer la traversée en mer. D’abord sur des zodiacs, puis sur des rafiots ou des vieux bateaux de marchandise, ils ont embarqué, parfois par groupes de plus de 900 personnes. Ils décrivent cette traversée comme un moment difficile, où la peur de la mort est omniprésente.
Les consultations, les soins, les rencontres, les échanges avec ces jeunes hommes bloqués sur les rochers en bord de mer en attendant de passer en France ou d’être réadmis en Italie dans le camp de réfugiés de la Croix-Rouge italienne valident les constats suivants : il nous a été impossible de comprendre et de trouver du sens dans la politique migratoire française, les contrôles et réadmissions étant variables d’un jour à l’autre. L’exercice de la PAF ne semble suivre aucune pensée globale, que ce soit à court ou à moyen terme : arrestations, confiscation des billets de train et refoulement vers l’Italie un jour, tolérance et passage le lendemain, avant un nouveau blocage ; incohérence des relations entre police française et italienne ; infraction à la loi dans les contrôles au faciès…
Les hommes passent. Ils disent que l’Europe est un espace de libre circulation, ils passeront. Pour les raisons économiques et politiques mille fois détaillées dans les études sérieuses et documentées. Pour d’autres raisons qui leurs appartiennent, liées à leur désir de vivre et de penser leur avenir. Parce que le blocage violent, cette illusion de contrôle sur ce point de circulation développe inévitablement des stratégies de passage et des circuits de passeurs alternatifs.
Dans ce contexte difficile, nous avons ressenti en Italie de la bienveillance, une humanité, un respect des personnes. De la part des autorités françaises, de l’indifférence et de la malveillance. Nous pouvons par ailleurs témoigner de la solidarité des riverains français et italiens comme des touristes européens de passage. Les migrants survivent grâce à cette solidarité.
Nous les accompagnerons tout au long de leur parcours, sur cette route faire d’épreuves et d’avilissement, tout en plaidant pour un changement des politiques française et européenne envers les migrants. Pour une politique réfléchie et partagée, pour offrir un accueil qui redonne à chacun dignité et humanité.
Par Christine Larpin, responsable de la mission “Berre Ghardimaou” et Franck Seraphini, médecin bénévole à MdM