“Cette exposition , je la fais parce que j’ai envie de parler des Roms, ils me touchent, c’est une population fragile et tellement rejetée. J’essaie de garder des traces avec la peinture.”
Les JMF ont été l’occassion d’amener les participants à la réflexion sous bien des formes. Durant ce week-end, les participants ont pu apercevoir dans la salle plénière plusieurs toiles de l’exposition d’Emilienne Mazzocut. L’équipe du Raban a eu l’opportunité de rencontrer cette artiste et de réaliser un entretien complet que nous souhaitions partager dans La Boussole.
Emilienne est une artiste peintre, bénévole dans une association nommée C.L.A.S.S.E.S. Elle réalise des peintures inspirées de personnages mangas, et choisit de traiter avec un côté volontairement naïf et dédramatisant un sujet pourtant préoccupant : la communauté Rom confrontée à de graves situations d’exclusion.
Dans ses peintures, elle inclut également des collages de matériaux récupérés et elle n’hésite pas à écrire prénoms d’enfants ou des dates importantes. Ces textes et collages font partie intégrantes de ses peintures.
Nous vous laissons découvrir ou redécouvrir cette artiste dont le travail original mérite d’être connu.
Connaissiez-vous les JMF auparavant ?
Non, je ne ne connaissais pas du tout, j’ai été contactée pour faire une animation peinture pour parler des Roms. Le but est de montrer mes tableaux car c’est un sujet bien ancrée dans les missions de MdM.
Etes-vous impliquée au sein de MdM ?
Je connais un médecin qui faisait des permanences à MdM, on se connait par la peinture . Elle était en consultation avec les Rroms et elle a tout simplement parlé de moi à MdM.
A travers mes ateliers de peinture réalisé avec l’association C.L.A.S.S.E.S, je croisequelques fois des bénévoles de MdM, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de travail réalisé par MdM sur sujet.
Vous avez évoqué l’association C.L.A.S.S.E.S, pouvons-nous en savoir plus sur cette association ?
C.L.A.S.S.E.S, qui signifie Collectif Lyonnais pour l’Accès à la Scolarisation et Soutien aux Enfants des Squats, est une association qui aide les familles vivant en squat, dans la rue, en hébergement d’urgence à scolariser leurs enfants. . Cette association ne reçoit aucune subvention et ne fonctionne qu’avec des bénévoles.
Avant même de connaître cette association, je peignais déjà sur les Roms. J’avais entendu qu’il y avait de nombreuses expulsions en 2011 et j’ai voulu peindre sur ce sujet. Lors d’une exposition de peinture, une personne de C.L.A.S.S.E.S a vu mes peintures et m’a directement contactée. Depuis je me suis investie dans cette association et je me base sur ce que je vis pour mes nouvelles peintures.
Quelle est votre implication au sein de cette association ?
Je suis bénévole et j’essaie de venir aux réunions de coordination quand je suis disponible. Tous les mercredis, j’anime des ateliers de peinture qui ont commencé depuis février 2013.
Nous nous sommes inspirées de l’association Art et développement qui organisait des ateliers de peinture auprès des gens en précarité.Parallèllement à ça, on s’est dit que C.L.A.S.S.E.S pouvait organiser aussi des ateliers de peinture. On s’est alors présenté dans les squats.
Quel est le but de ces ateliers de peinture ?
Les ateliers de peinture sont conçus pour les enfants mais les adultes peuvent aussi y participer, c’est une activité très ludique avec une optique de scolarisation éventuelle.
Ensuite, on fait tourner les expositions des enfants pour faire parler d’eux.
“Quand on va sur les squats, on rigole, ce sont des moments joyeux à travers cet atelier.”
Exposition des peintures d’enfants
Vous souvenez-vous de votre premier contact avec cette population ?
J’ai été sur un squat pour la première fois en 2012. Je n’étais pas du tout au courant de la manière dont les Roms vivaient . C’était sidérant , je suis arrivée dans une ancienne usine abandonnée où tout était brisé avec des morceaux de verre partout, c’était un endroit très dangereux surtout pour les tout petits. . Il y avait des hangars remplis de poubelles qui grossissaient de semaines en semaines . Je n’y ai pas cru.
Quand on arrive sur squat la première fois, c’est un autre monde : y a des poubelles, de la fumée partout !
Malgré cela, j’ai senti une chaleur auprès des gens , femmes qui étendaient leur linge, les papas parlaient entre eux. On avait l’ impression d’une vie très tranquille alors qu’il n’en est rien en vérité. Je me suis sentie bien accueillie . J’ai été très touchée de cette première rencontre car je n’avais jamais parlé aux Roms auparavant.
Vous avez exposé plusieurs de vos toiles durant les JMF … quel a été votre déclic pour concilier art et engagement ?
J’ai eu envie de transcrire ce que je voyais quand j’allais sur les squats pour les ateliers peinture.
La peinture me permet de raconter ce que j’avais en moi car c’est très brutal ce qu’on voit.
Au fil du temps, on noue des liens très forts avec familles et enfants. Quand on arrive et que la police est là, qu’ils ne savent pas où aller dormir à part dans la rue, ce sont des scènes très violentes.
On tisse des relations très fortes mais qui sont éphémères, on est pas sûre de revoir les familles et les enfants d’une semaine sur l’autre.
Si certains utilisent la photo pour garder des souvenirs, moi j’essaie de garder des traces avec les peintures, ce sont mes traces à moi.
Y a-t-il une expérience marquante que vous souhaitez nous faire partager ?
Oui, par exemple, il y a des expulsions auxquelles j’ai assisté avec la présence de la police qui évacue la population puis les buldozers arrivent et cassent tout. C’est un moment très traumatisant pour eux car ils entendent le bruit des cabanes broyées. Il sont résignés face à ça, il n’a pas de violence mais les enfants ont de la peine. Puis ensuite, il n’y a pas de prise en charge, certaines familles sont logées à hôtel pour quelques nuits mais ce n’est pas une vraie solution.
Une autre expérience qui m’a marquée, c’est quand le squat à Lavirotte a brulé. Trois personnes sont décédées dans cet incendie et le squat a été évacué. Les gens ont été hebergés dans un gymnase pendant trois semaines puis à la fin de ces trois semaines il y a eu une sorte de tri. Certaines personnes ont été redigées vers le programme Andatu et pour les autres, c’était vivre dehors.
Les personnes se sont retrouvées à la rue, devant les portes fermées du gymnase et nous ( elle parle des bénévoles de C.L.A.S.S.E.S ) sommes venus pour les soutenir. Il s’est mis à pleuvoir et au bout de quelques heures où nous ne pouvions rien faire, nous les avons quittés pour rentrer chez nous. On s’est senti impuissants et un peu coupables de les laisser tomber, de rentrer et d’avoir un toit confortable où dormir alors qu’eux sont à la rue.
J’essaie de tenir un petit journal que j’amène chaque mercredi pour écrire mes impressions personnelles. A la fin d’un squat, j’exprime par l’écriture ma peine et ma frustration de ne plus voir certains enfants.
Durant l’exposition aux JMF, Emilienne a laissé un classeur à disposition des participants comportant certaines anecdotes qu’elle souhaitait partager.
Quel est le but de l’exposition ?
Je ne pense pas que l’exposition puisse choquer mais j’espère qu’elle peut faire prendre conscience de cette réalité.
Le but de mes interventions n’est pas de donner une explication historique ou politique mais simplement de sensibiliser le public en parlant que de la vie, de mes expériences personnelles.
En regardant attentivement les peintures d’Emilienne, on remarque toute une symbolique très subtile.
Les policers apparaissent comme des marionnettes, ce ne sont pas eux qui tirent les ficelles. Les policiers balaient et nettoient ( elle fait allusion à la citation “Nettoyer la France au Karcher” ) devant les enfants qui les regardent s’agiter.
Les poules préfèrent partir avec les Roms plutôt que de rester.
Cette subtilité permet de faire passer le message de manière moins violente.
Où vos expositions apparaissent-elles ?
Les écoles m’appellent pour me demander de faire une intervention. Je discute alors avec les enfants à partir des tableaux pour leur raconter que certains enfants vivent différemment d’eux.
J’expose dans les salons de peinture, c’est un milieu où il y a beaucoup de bouche à oreille.
J’expose dans les centres sociaux, dans les MJC. Il y a une exposition prévue à coté de Dijon dans une MJC où il y aura une semaine d’informations pour le public sur la population Rom.
Puis j’expose pour MdM aussi !
Quels sont vos projets futurs ?
Continuer à être dans l’association et animer les ateliers de peinture. Et continuer à peindre, bien évidemment !