Photos de Olivier Papegnies
Le plan d’éradication nationale de l’hépatite C en Géorgie marque l’aboutissement d’un long combat mené avec nos partenaires
Depuis le début de son action en Géorgie, MdM s’est donné comme axe de plaidoyer l’accès au traitement contre l’hépatite C. Nous avons organisé beaucoup d’actions de rue avec notre association partenaire New Vector et nous avons appuyé la création d’un réseau d’usagers de drogues, le GENPUD (Georgian network of people using drugs). L’idée est de constamment mobiliser les usagers pour qu’ils défendent leurs droits et que leurs voix soient entendues.
En 2011, le gouvernement n’avait pas pris conscience de l’urgence sanitaire que représentait l’Hépatite C, alors que 8% de la population est infectée par le virus. Au fur et à mesure des actions, des interventions télévisées, des pétitions, des rencontres des usagers avec certains membres du Parlement, le gouvernement a décidé de mettre en place un plan d’éradication de l’hépatite C. Nous sommes fiers car notre plaidoyer a porté ses fruits.
Actuellement nous sommes dans la première phase du programme qui cible les malades les plus avancés en stade de fibrose F3 (fibrose sévère) et F4 (cirrhose)
Cette avancée est une très belle étape même si l’État doit encore améliorer certains points comme, par exemple, la prise en charge financière des examens et des diagnostics annexes aux traitements qui restent très chers.
Nous avons saisi l’opportunité de cette étape historique pour mettre en œuvre un programme pilote de traitement de l’hépatite C chez les usagers de drogue par injection (UDI)
En 2011, MdM a établi un partenariat avec une association d’usagers de drogues, New Vector, première association d’auto support du pays existant depuis 5 ans. Menées ensemble, nos actions se déclinent en 3 volets :
– Les offres de service : nous avons ouvert un centre d’accueil – le Drop-in-center – dans lequel sont proposés de la distribution de matériel stérile, des consultations médicales, des sessions de dépistage, des consultations fibroscan* et des soins dentaires. Ces dernières activités nous permettent d’attirer les usagers au centre car la consommation de drogues en Géorgie est un délit très fortement réprimé. Nous déployons également des activités d’outreach – à l’extérieur – pour aller vers les usagers qui ne viennent pas au centre : nous leur distribuons des seringues propres, du matériel stérile et des informations;
– La diffusion d’informations et de messages de prévention sur les maladies infectieuses. Nous dispensons aussi beaucoup de formations sur la réduction des risques (RdR) avec le réseau géorgien de RdR pour communiquer sur les risques liés à l’injection;
– Le plaidoyer : une part importante de notre travail consiste à défendre la décriminalisation de la législation géorgienne et l’accès aux traitements contre l’hépatite C.
Dès le démarrage du plan d’éradication nous avons mis en place (dans le cadre de notre programme national) un programme « pilote » de traitement pour 250 à 300 usagers de drogues, afin de montrer la faisabilité de les traiter en s’appuyant sur les éducateurs pairs, eux-mêmes usagers ou anciens usagers. Ils expliquent aux bénéficiaires l’intérêt du plan national d’éradication de l’hépatite C, les aident dans toutes les démarches administratives/médicales et assurent avec eux le suivi du traitement car ils ont besoin d’un accompagnement spécifique. Nous récoltons certaines données pour être en mesure de démontrer au gouvernement, à la fin du programme de traitement, que les usagers de drogues peuvent être soignés.
A mes yeux, si tous les usagers ne sont pas intégrés dans le plan national avec une prise en charge spécifique, on n’éliminera pas l’hépatite C en Géorgie car 70 % des personnes qui s’injectent sont infectées. Le gouvernement doit comprendre la nécessité d’inclure la réduction des risques dans sa politique de santé, sans quoi les usagers continueront leurs pratiques à risques et à transmettre le virus.
Notre but est que ce modèle de prise en charge des usagers soit répliqué dans toute la Géorgie, la capitale mais aussi dans les régions sanitairement moins favorisées.
Niklas Luhmann MdM représente désormais un acteur essentiel dans la lutte contre l’Hépatite C. On fait partie – par exemple – du Technical Advisory Group (TAG) pour le plan d’élimination en Géorgie. Ce groupe réuni des experts internationaux pour aider le gouvernement géorgien de développer son plan d’élimination et de faire de choix de santé publique. Je représente MdM dans ce groupe et je me suis rendu en Géorgie début Novembre pour la participation au premier TAG. J’ai défendu dans ce cadre notre plaidoyer et notre vision, incluant un changement des politiques de drogues, une mise à l’échelle des services de réductions de risque de qualité et le changement de l’approche de programmes de substitution. En ce qui concerne plus spécifiquement la question du traitement et notre programme modèle, on y a recommandé aussi l’importance d’une approche adaptée auprès des usagers de drogues, l’intégration des travailleurs pairs dans le dispositif, l’intégration des traitements VHC dans les programmes d’échanges de seringues et les programmes de substitution dans le cadre d’une décentralisation globale et aussi un arrêt des mesures de non-diversion actuellement en place dans les centres de traitements. |
Un programme fondé sur l’appui des travailleur-se-s pairs
Dans le contexte répressif de la Géorgie, il est difficile d’approcher les usagers de drogues. Grâce aux travailleurs pairs, nous y avons accès. Ils connaissent les problématiques rencontrées par les bénéficiaires et sont écoutés car ils ont vécu (ou vivent encore) des situations similaires. La confiance règne, ils peuvent ainsi diffuser des messages de prévention et d’information. C’est pourquoi nous avons fait le choix d’établir un partenariat avec une association d’usagers. Quand nous sommes arrivés en 2011 l’association New Vector existait depuis 5 ans. Lors des missions exploratoires nous avions envisagé des partenariats plus « classiques » mais il nous a semblé préférable de travailler avec les personnes directement concernées.
La principale difficulté a résidé dans l’accompagnement d’une structure d’usagers avec des pairs qui ne sont pas des travailleurs sociaux professionnels. Cela a impliqué de constamment s’adapter au rythme qui est le leur, ainsi qu’à la structure elle-même, qui repose principalement sur des liens d’amitié et de famille. Un travail sur le long terme a été nécessaire pour aider le partenaire à s’organiser sans imposer un modèle.
La multitude d’acteurs en lien avec les activités, notamment celles concernant le plaidoyer, est parfois compliquée car le pays est très petit : tout le monde se connaît, les conflits personnels sont fréquents.
Le turn-over important chez certains de nos interlocuteurs (autorités, associations de coordination) nous met également en situation d’instabilité permanente. L’équipe doit être flexible et se réadapter sans cesse.
Aujourd’hui le recrutement des travailleurs se fait soit directement quand ils viennent au drop in center soit par l’intermédiaire des autres pairs. Une des particularités à noter est qu’en Géorgie les usagers ont un toit, ils ne sont pas dans la rue. Les familles s’endettent souvent pour payer les amendes, mais elles ne mettent pas leurs enfants à la rue. Il n’existe donc pas de spot spécifique dans la capitale. En outreach nous devons aller dans les appartements des usagers.
Dans nos activités de plaidoyer, le travailleur pair joue un rôle d’activiste. Il participe aux actions de rue, aux interventions télévisées, aux conférences et aux rencontres institutionnelles. Les travailleurs pairs portent leurs voix, défendent leurs droits et parlent de leurs problèmes concrètement. Ils provoquent le changement social par leur combat : à force de persévérance, ils arrivent à faire évoluer la société dans laquelle ils vivent, comme l’illustre parfaitement le plan d’éradication nationale de l’Hépatite C en Géorgie.
Ce partenariat direct avec une association d’auto-support déjà existante et non initiée par MdM constitue une originalité et un point fort de notre programme.
*Le Fibroscan est un appareil qui évalue l’élasticité du foie. Il utilise la technique d’ultrasons, envoyés par le biais d’une sonde posée sur l’abdomen au niveau du foie : plus la propagation de l’onde est rapide, plus le foie est dur, fibreux et donc atteint.