Pourquoi les migrants ?
Voilà plusieurs années que notre association, lors d’une Assemblée Générale, a décidé de faire des migrations une de ses priorités. L’ONU ne vient-elle pas de recenser plus de 50 million de personnes déracinées dans le monde, fuyant les persécutions, les conflits ou des violences généralisées ? Parmi celles-ci 1,2 millions de nouveaux migrants ont demandé l’asile dans le monde pour la seule année 2013, ce qui représente une hausse de 15 % à l’échelle mondiale et de 28 % pour les pays industrialisés. Parmi eux, on compte entre 20 et 30 millions de migrants, privés de droits. Plus de 50 % sont des femmes et un cinquième a moins de 15 ans.
L’actualité de ces dernières semaines justifie notre choix De Gibraltar, à Lampedusa, des îles de la mer Égée, à la « jungle » inhospitalière de Calais ou de Dunkerque, ce sont des centaines de réfugiés à qui journellement on doit porter secours, sans parvenir pour autant à éviter que ces recherches d’un avenir meilleur ne se terminent parfois par la mort. Dans tous les cas ces parcours engendrent de multiples traumatismes physiques et psychiques dont les victimes resteront bien souvent à jamais marquées et leurs descendants affectés. De toutes parts, en Italie, en Grèce, des centres de rétention saturés n’offrent aux migrants, parqués comme du bétail, qu’un accueil indigne d’un pays civilisé. En France, à Calais, à Dunkerque, nos équipes témoignent quotidiennement d’un afflux de réfugiés, au nombre de 100 nouveaux arrivants par semaine, sans cesse prêts à tout pour gagner l’Angleterre. Ils sont venus principalement de la corne de l’Afrique mais aussi du Moyen-Orient, d’Afghanistan, de Libye ils ont traversé notre pays pour tenter de rejoindre leurs familles et surtout, que ce soit en Angleterre ou en Allemagne, un pays où l’on trouve encore du travail. La compétition est telle, entre ces différentes ethnies, que des bagarres éclatent de toutes parts, débordant la bonne volonté des associations et l’autorité souvent impitoyable des forces de l’ordre. De plus avec la multiplication des conflits récents (Libye, Égypte, Irak, Syrie, Sud Soudan, République Centrafricaine…), les affrontements plus anciens (Afghanistan, Érythrée, Somalie, République Démocratique du Congo…), les dérèglements climatiques, ce phénomène migratoire n’est pas prêt de s’arrêter. Pourtant, rappelons-le, il n’est que marginalement le problème des pays riches, la plupart des migrants se réfugiant dans les pays les plus proches de la zone des conflits (Kurdistan irakien, Liban, Tchad…). Dès lors plusieurs étapes allaient jalonner notre réflexion et notre action.
La Charte de Dunkerque : juin 2010
Mûrement réfléchie dans l’énoncé de chacun de ces termes, cette charte de Dunkerque est pourtant née d’un mouvement d’indignation et de révolte face à la situation que nos équipes nous décrivaient sur place, tant à Dunkerque qu’à Calais : l’horreur de la « jungle », des populations désespérées livrées sans protection à toutes les rigueurs climatiques, des tentes arrachées et des sacs de couchage confisqués par les forces de l’ordre. Ce texte qui se voulait une orientation générale de l’Association se terminait par un souhait prudent mais affirmé: «la nécessité de se diriger progressivement vers le respect du droit universel à circuler librement». Il devait être confirmé en Conseil d’Administration puis en Assemblée Générale.
Le Copil Migrants
Dans le sillage de ce texte fondateur le Copil (comité de pilotage migrants) a été créé pour rassembler nos diverses expériences, alimenter une réflexion régulière génératrice d’un plaidoyer et induire un travail en réseau. Trois programmes migrants à l’international nous servent d’assise : Mali, Turquie, Algérie, enrichis par les programmes France (Mayotte, Guyane, migrants nord Littoral…) et ceux portés en Europe, au Mexique. Il appartient également à ce Copil de proposer la création de nouvelles missions inspirées par ce thème de la migration.
Le Colloque de Paris : juin 2012
Cette étape supplémentaire, survenue en juin 2012, entendait poursuivre cette réflexion en regroupant les différentes missions en charge des migrants. Il s’agissait essentiellement des missions en France, en Algérie, au Mali et en Turquie. Il apparaissait alors que, à quelques nuances près, les problématiques constatées se révélaient très proches les unes des autres. Dès lors il importait de s’accorder sur une position et un discours commun à l’ensemble de l’Association. En particulier fallait-il prôner la libre circulation des humains, esquissée précédemment ? Conscient qu’une telle décision devait être largement mûrie et partagée, nous avions organisé un débat faisant apparaître tous les avantages à attendre d’une telle attitude, en nous gardant toutefois de nous engager trop activement.
Le Colloque d’Istanbul : novembre 2013
Avec une participation plus large que lors du colloque précédent, le colloque d’Istanbul a de surcroît profité de la présence et de l’expérience de ASEM, notre association turque partenaire et de la présence de plusieurs autres acteurs turcs issus des corps médicaux, sociaux, associatifs et universitaires. Des nombreuses discussions et tables rondes sont ressorties un certain nombre d’éléments :
- Notre engagement en faveur d’un droit universel à l’accès aux soins.
- La condamnation de toutes les formes de violences subies par presque tous les migrants, à des degrés divers, en particulier en ce qui concerne les femmes.
- La nécessité d’assurer une prise en charge prolongée dans les pathologies chroniques afin d’éviter de préjudiciables ruptures de soins.
- L’absence dramatique de prévention, de dépistage et de prise en charge thérapeutique des porteurs du VIH. Cette carence s’est avérée particulièrement dramatique en Turquie.
- Aux termes de discussions souvent passionnées, il est apparu une nouvelle fois que nous n’étions pas mûrs pour prendre position de façon catégorique en faveur de la libre circulation des migrants et qu’une telle orientation débordait largement notre domaine de compétence.
- Parmi les projets immédiats qui en ont résulté, celui de concentrer nos efforts sur les violences faites aux femmes et sur la prise en charge du VIH tout particulièrement en Turquie.
Le nouveau centre de l’Association d’Entraide et de Solidarité aux Migrants
Le Conseil d’Administration de juillet dernier
Notre Conseil d’Administration de juillet dernier a conclu que notre positionnement politique pouvait se résumer en 2 axes :
L’un concernant les politiques de santé que nous souhaitons globales et qui doivent se traduire par la défense d’un droit universel à la santé, un accès équitable et effectif aux soins, quel que soit le statut administratif de la personne.
Le second axe fait référence aux violences institutionnelles et intentionnelles commises à l’encontre des migrants. Dans ce cadre, nous souhaitons avoir un positionnement fort autour de la promotion des politiques de protection et d’accueil mais aussi de luttes contre les violences commises sur toutes les populations vulnérables à commencer par les migrants.
Telles sont, schématiquement décrites, les lignes directrices de nos réflexions et de nos actions en faveur des migrants. Nous sommes conscients qu’il nous reste beaucoup à faire, pour développer une expertise qui puisse donner à notre plaidoyer toute l’autorité dont elle a plus que jamais besoin.
Bernard GRANJON