De la blouse du soignant à la chemise du patient

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Je viens de vivre une expérience, où je suis passée du statut de soignant au statut de patient. Ce fut riche d’enseignement.

Mon parcours professionnel

Infirmière depuis 1966, j’ai exercé ma profession en milieu hospitalier. Mon premier poste a été en chirurgie cardiovasculaire. C’était les prémices de la chirurgie cardiaque, très intéressant et valorisant pour la jeune diplômée que j’étais.
J’ai beaucoup appris au niveau technique mais aussi au plan humain. Nos horaires intégraient selon un roulement, le travail de nuit. J’ étais la seule infirmière, avec deux aides-soignantes, confrontées à des situations difficiles à gérer. Les décisions à prendre, l’urgence, la douleur, la mort étaient notre lot quotidien.
Quand j’étais étudiante, je bénéficiais pendant mes stages, d’un encadrement, ce qui me rassurait.
Dans ce service, j’ai eu la chance de travailler avec une équipe soudée, ce qui a facilité mon intégration. Tout l’aspect technique et médical nécessitait de notre part, une attention de tous les instants, l’erreur pouvait être fatale.
C’est ainsi que j’ai fait mes premières armes.
Certes, dans ce service, la technique prévalait, mais il ne fallait pas oublier l’humain. Il avait besoin d’être propre, bien installé. La communication verbale n’était pas toujours possible, car les patients étaient souvent trachéotomisés, nous avions recours à la fois à l’ardoise magique et au toucher qui permet le passage des émotions, et du ressenti.
J ‘ai pris conscience véritablement qu’il y avait une approche globale de la santé, que l’homme est un tout indissociable.
Ensuite, intéressée par l’encadrement des étudiants infirmiers en stage, j’ ai été formatrice en IFSI (institut de formation en soins infirmiers) où je me suis rodée à la pédagogie, et aux théories d’apprentissage afin de mieux appréhender les pratiques de soins.
Le passage à l’ école de cadres m’a permis de mener une réflexion sur mon avenir et mes choix professionnels. J’ ai découvert la santé publique. J’ai suivi plusieurs formations dans ce domaine .Ce qui m’a amené à exercer la fonction de cadre hygiéniste dans un CHU.
J’avais dans mes attributions une mission de formation auprès des agents hospitaliers.
Un nouveau cadre législatif a fixé la mise en place des CLIN (comité de lutte contre les infections nosocomiales) .J’ avais une mission transversale au sein de l’établissement. Je contribuais à l’élaboration des protocoles d’hygiène et de soins. Mon rôle auprès du patient existait mais était plus lointain.
Je devais mettre en place avec les médecins des surveillances d’infections nosocomiales dans les services à risques et mener des enquêtes épidémiologiques lorsque’ il y avait des problèmes infectieux dans les unités de soins .J’ ai occupé ce poste pendant dix ans.
Cette expérience m’a permis d’avoir une vision globale du fonctionnement de l’hôpital. De par ma fonction, j’étais amenée à travailler, avec l’ensemble du personnel hospitalier : soignants, personnel médical, technique et administratif.
Au cours de ces années j’ai pu voir l’évolution des techniques et de la prise en soins du patient.
L’arrivée de l’informatique a permis une meilleure gestion des données de la population hospitalisée.
Ainsi le dossier de soin informatisé est devenu un précieux outil du suivi du patient.

Quelle définition donnons – nous au soin ?

Selon le dictionnaire des soins infirmiers le soin recouvre « l’ensemble des actions mises en place pour restaurer, entretenir, promouvoir la santé de la personne en tenant compte de sa singularité.
En anglais, le soin se décline en deux parties :
Il y a le CARE qui regroupe tous les actes du prendre soin, c’est assurer « le bien – être», c’est aussi toute l’attention portée à la personne. Il relève principalement du rôle propre, il est à l’initiative de l’infirmier (e) et peut faire l’ objet d’un diagnostic infirmier.
Le CURE deuxième volet du soin, vise par des traitements, des actes techniques à restaurer la santé de la personne, il s’agit d’un rôle prescrit médicalement auquel l’infirmier (e) participe.
Ainsi, la prise en soin recouvre le CARE et le CURE.
C’est sur le care que je vais m’ attarder, car il fait appel à des gestes de la vie quotidienne. Il devrait être davantage valorisé dans les formations infirmière et aide – soignantes.
Nous pouvons constater dans la pratique que tout ce qui touche au bien – être de la personne, au maintien de la vie n’est pas suffisamment pris en compte. Une directrice d’IFSI avec qui j’ai travaillé appelait cela : les petits besoins.
La réponse à ces « petits besoins » va avoir un impact sur l’état de santé du patient et renforcera les thérapies mises en place .J’ ai pu en faire l’expérience dernièrement.
Je me suis trouvée seule dans un box aux urgences, sans soignant à proximité, pas de sonnette pour appeler. J’ai vécu le paradoxe suivant : j’étais dans un établissement de soins sans pouvoir exprimer mon problème de santé je souffrais, l’angoisse s’installait, le temps me paraissait long et cela majorait ma douleur.
Autre exemple, ma voisine de chambre s’est endormie avec son téléviseur en marche. Je ne pouvais trouver le sommeil gênée par la luminosité de l’écran. N’étant pas autorisée à me lever, j’appelle l’équipe de nuit.

Un infirmier arrive. Il me demande la raison de mon appel, je lui donne et il me répond : que « je le fais déplacer simplement pour éteindre un téléviseur. » Je lui dis que si j’ avais pu le faire moi-même, je ne l’ aurai pas dérangé. Sinon je me voyais dans l’obligation de supporter cette télévision toute la nuit sans pouvoir dormir. La réponse qui m’a été donnée n’est pas digne d’un soignant.
Ainsi, ce qui a trait au bien-être et au confort du patient font de moins en moins partie de la prise en soins du patient.
La charge de travail est mise en avant par les personnels. Certes, c’est une réalité à prendre en considération. Mais mettre une sonnette à proximité du patient ne prend pas plus de temps que de la poser à une distance inaccessible. Nous savons aussi qu’ une exposition prolongée à la lumière des écrans est nocive.
Pourtant lors des entretiens de sélection d’étudiants infirmiers et aides- soignants, une des motivations que ces derniers mettent en avant est leur intérêt pour s’occuper des autres.
Nous constatons que cela ne se traduit pas toujours dans les faits.

Quels sont les freins à la réponse aux besoins ?

Ils sont de plusieurs ordres.
Les conditions de travail reviennent souvent, ainsi que le manque de personnel et des salaires peu attractifs.
Pour couvrir des horaires de jour et de nuit, le personnel est amené à augmenter ses heures de présence ce qui facilite ainsi une organisation personnelle qui est en faveur d’une vie familiale plus équilibrée. Il fait en peu de jours son travail de la semaine.
Malgré cela, les soignants sont souvent sollicités pour remplacer sur leur temps de repos, ce qui les amène à un état de fatigue tel, que beaucoup d’ entre eux quittent la profession.

Le constat

En tant que patient, nous avons un poste d’observation privilégié, permettant de pointer les dysfonctionnements Parmi le personnel soignant, nous distinguons :
Ceux qui n’ont pas trouvé leur voie. Ils cherchent un gagne – pain, ils savent qu’ils trouveront du travail dans le domaine de la santé, ce qui ne devrait pas les empêcher de s’investir dans ce qu’ils font. Ce qui n’est pas toujours le cas.
Par contre il y a ceux et celles qui sont à l’écoute de l’autre, quelques exemples :
Lors de la toilette ils découvriront que vous avez les talons rouges et douloureux, ils vous proposeront un massage pour vous soulager ainsi qu’une installation plus confortable. Ils évalueront d’eux même la situation. Ils feront le tour de la chambre avant de sortir pour voir si la personne a tout ce qui lui faut. Je ne pense pas que cette manière de faire prenne plus de temps . J’ai pu le constater en tant que soignante. En effet, lorsqu’une personne est propre, bien installée, face à un soignant qui a une attitude rassurante, elle sera plus détendue, trouvera plus facilement son sommeil et sollicitera moins l’équipe.
En l’espace de peu de temps le personnel soignant a subi les fluctuations de la société actuelle.
Adulé au début de la crise du COVID, contesté lors des difficultés d’accès aux soins dans les services d’urgences.
Nous voyons apparaître une autre forme de travail se développer : le travail intérimaire ou travail à la mission. Le soignant devient son propre dirigeant. Il décide de ses jours travaillés et de ses congés. Il dit être mieux rémunéré et moins subir le poids de la hiérarchie. Mais quel est le coût réel de cette nouvelle façon de se gérer ? Actuellement cette formule est très prisée par les aides- soignants et infirmiers.
Par ailleurs, la tendance est de générer un individualisme qui n’est pas en faveur du travail d’équipe.
Tout ceci a une répercussion sur la prise en soins des patients, car ils ont en permanence de nouvelles personnes pour s’occuper d’eux. La notion de suivi est difficile à mettre en place. De fait, La responsabilité se trouve diluée.
Il s’ensuit des oublis et une organisation qui se rigidifie, faute d’adaptation à la personne. On uniformise les pratiques et les organisations. Exemple : les patients sans distinction doivent être installés pour la nuit à 17h. (Alors que pour certains cela ne se justifie pas)
Ce type d’ organisation rigide a pour conséquences parfois quelques bévues.
C’est ainsi, qu’au cours de mes hospitalisations successives, j’ai été victime de certaines erreurs.
L’une concernait un transport pour une consultation dans un autre établissement, il y avait confusion de lieu et de personne. L ‘autre erreur a été une erreur un moyen de transport inadapté.
Ce sont des incidents qui peuvent arriver ponctuellement.
Le premier aurait pu être évité si les ambulanciers et les soignants avaient procédé à une première vérification d’identité.
Le deuxième, c’était une erreur de transmission d’information sur le moyen de transport à utiliser.
Cette organisation consistant à faire un maximum de choses dans un minimum de temps. Ces disfonctionnements ont entraîné des retards dans les plannings des ambulanciers avec un retentissement sur les rendez-vous.

Quelles orientations pourrions–nous donner ?

Au niveau de la formation
Renforcer ce qui est du domaine du CARE, c’est à dire du maintien de l’état de santé, du bien- être de la personne .C ‘est ce qui appartient au soignant, le valorise et justifie sa reconnaissance.

Au niveau des organisations
Faire en sorte qu’elles soient davantage au service du soin. La sectorisation (affectation de lits aux soignants responsables) et le travail en binôme infirmier (e), aide-soignant renforce la responsabilité des équipes. La planification est un outil facilitateur. Elle permet de visualiser, de répartir les tâches à accomplir et de dégager les priorités.

Repréciser la fonction de cadre de santé
Il doit manager son équipe dans le cadre du projet de soins établi avec les différents partenaires (médecins, soignants, paramédicaux et administratifs).
Actuellement, une des préoccupations majeures du cadre de santé, est la gestion des effectifs pour assurer le fonctionnement du service au quotidien.
N’est- ce pas davantage une tâche administrative ? Le rôle du cadre se limitant à signaler les absences et à justifier les effectifs dont il a besoin.
Le cadre de Santé est chargé d’assurer la coordination entre les différents partenaires. Il est garant de la sécurité et de la qualité des soins dans son secteur, ce qui suppose une bonne connaissance des patients.
Pourtant, lors d’une évaluation d’étudiant en stage, le cadre de santé me fait la remarque suivante « tu connais mieux les patients que moi». Pourtant je ne viens qu’une fois par semaine pour assurer l’encadrement des étudiants, alors qu’elle est présente tous les jours.
Il est nécessaire au cadre soignant de consacrer plus de temps à la connaissance du patient afin de mieux gérer les informations le concernant. Le plus souvent le cadre fait le lien avec les différents membres de l’équipe où il occupe une place centrale.
Le cadre de santé a aussi une mission de formation auprès des personnels et des étudiants en stage, assistée par d’ autres membres de l’ équipe, référents dans différents domaines, comme l’ hygiène par exemple.

Au niveau de la prise en soins
Développer le suivi du patient, le dossier de soins est une source d’informations pour ce suivi, c’est un document de référence. Ce qu’il mentionne doit être précis, objectif et ne pas prêter à interprétation, de manière à adapter la prise en soin à la personne.
Ces orientations ne sont pas exhaustives, tout ce qui est évoqué ici est alimenté par ce que j’ai pu observer, constater et retenir de la parole de professionnels.
Certes, Les professions de santé doivent être revalorisées, notamment au niveau des salaires et des conditions de travail. Elles sont à prendre en considération si nous voulons conserver un système de santé performant avec des professionnels compétents, épanouis et heureux dans l’exercice de leur travail.
Le patient en sera la bénéficiaire et fera l’objet de toute l’attention portée à sa personne.
Le constat que je fais, d’autres l’ont fait avant moi. J’éprouve le besoin de l’exprimer en qualité d’ex soignante et de la patiente potentielle que je suis devenue. Nous devons miser sur l’humain pour assurer une prise en soins personnalisée de qualité et valorisante pour les soignants.
Il me semble aujourd’hui, plus que jamais, d’opposer à un individualisme ambiant, la solidarité des acteurs du système .de santé.

1 COMMENTAIRE

  1. Je ne peux que valider les commentaires et interrogations de Mme ODILE FORCADE.. Ancien cadre de santé et passée de l’autre côté de la barrière.. Les choses ont bien changé.. Mais. Le patient lui reste le même. Le respecter.. Le soigner.. Me paraît essentiel. Laissons de côté la technique un peu.. Utile certes.. Mais penser à la personne d’abord serait bien.. C’est l’enseignement que nous avons eu il y a qq années.. Après :’c’est à chacun de voir:ai je bien choisi ? Vous l’aurez compris:suis infirmière à la retraite.. VÉcu des situations identiques auprès des miens amis compris..toujours la même chose :il est qui le patient ?? Ne mérite t’il pas plus de considération et de respect ? Il est temps de former les étudiants pour de justes valeurs Je remercie Odile Forcade pour oser dire et raconter…

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