Construire le MdM de demain, penser ses idéaux et ses engagements

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Présentation du Rapport moral 2016
au vote des adhérents
à l’assemblée générale du 9 juin 2017

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Une pauvreté toujours endémique et des dispositifs de redistribution des richesses en panne. Le climat qui ne cesse de se réchauffer et de violents conflits. Des politiques de réarmement relancées et un droit international humanitaire systématiquement violé. 2016 a été marquée par de fortes turbulences et des déplacements de populations majeurs, par une gouvernance mondiale brouillée et des populismes décomplexés. C’est dans ce contexte extrêmement tendu que Médecins du Monde a continué d’agir et de témoigner, d’explorer de nouveaux territoires tout en consolidant des postions historiques en questionnant partout les politiques publiques. À l’exemple du combat porté autour du prix des médicaments, notre mobilisation nous a permis de renforcer notre influence et de proposer des solutions réalistes. Sans jamais nous départir d’une démarche citoyenne, nous avons continué de lutter pour un meilleur accès aux soins et aux droits dans un écosystème humanitaire qui se transforme, au Sud comme au Nord. Parce que nous croyons profondément à la force des organisations de la société civile, c’est avec elles, avec nos partenaires partout dans le monde, que nous devons construire le Médecins du Monde de demain, penser ses idéaux et ses engagements.


À l’international

En 2016, nous avons poursuivi notre engagement sur les terrains de crises où les civils n’ont eu aucun répit. De l’Ukraine au Yémen, du Nigeria à la Syrie, les principes humanitaires n’ont pas été respectés. Nous avons dénoncé l’extrême difficulté d’accès aux populations, les massacres, les actes de torture, les stratégies d’encerclement pour affamer les populations.

Notamment en Syrie, où le conflit qui fait rage depuis plus de 5 ans a contraint à l’exil 6 millions des déplacés internes et 5 millions de réfugiés, et coûté la vie à 400 000 personnes, pour l’essentiel des civils. Tout au long de l’année, notamment lors du siège d’Alep-Est, nous avons dénoncé le ciblage répété et inacceptable des structures de santé et des acteurs humanitaires. Nous avons rendu hommage aux victimes et au courage des soignants qui, au péril de leur vie, continuent de porter secours au peuple syrien.

Dans l’Irak voisin, un État miné par des divisions confessionnelles et politiques, la violence et les opérations militaires ont fait plus de 16 000 victimes civiles en 2016. Le contexte humanitaire est dramatique : 3,3 millions de déplacés internes, 5,5 millions de personnes qui ont besoin d’assistance humanitaire. En lien avec les autorités sanitaires du Kurdistan, nous avons effectué près de 167 000 consultations auprès des populations yézidies des gouvernorats de Dohuk et de Kirkouk. Éternels boucs émissaires, persécutés par l’État islamique qui garde encore en esclavage des milliers de femmes et d’enfants, les Yézidis souffrent de profonds traumatismes auxquels nous tentons de répondre. Il en va de même pour les populations qui ont fui Mossoul, réfugiées dans les villages arabes sunnites, que nous soutenons dans le gouvernorat de Ninive.

Une détresse physique et psychique qu’éprouve également la population yéménite, victime d’un conflit qui dure depuis bientôt 2 ans. Alors que le blocus aérien et maritime empêche les importations de produits de première nécessité, des millions de personnes sont en grande insécurité alimentaire et l’assistance humanitaire demeure limitée. Pour répondre à cette crise, Médecins du Monde appuie des hôpitaux ruraux dans les gouvernorats de Sana’a et d’Ibb.

L’accès aux populations est tout aussi complexe au Nigeria où, dans l’État du Borno, plus de 1,4 millions de personnes ont fui les violences et les exactions du groupe Boko Haram. Les déplacés qui manquent d’eau potable, de nourriture et d’abris se trouvent confrontés à une pré-famine qui s’amplifie et s’étend à tout le bassin du lac Tchad.

Le 4 octobre 2016, c’est pour venir en aide aux 2 millions de personnes affectées par l’ouragan Matthew que nous sommes intervenus en urgence en Haïti. Près de 12 000 consultations médicales ont été réalisées en trois mois ainsi que des campagnes de dépistage de la malnutrition et du paludisme. Face à l’urgence sanitaire, 13 équipes mobiles choléra et 9 cliniques mobiles ont été déployées dans le Sud et en Grand’Anse.

Sur tous ces terrains internationaux, nous questionnons les acteurs locaux sur leurs aspirations et leurs besoins de renfort de capacités. À la fois dans le cadre du projet lui-même et pour accompagner un changement social en profondeur. De la Tanzanie à la Géorgie, de la Birmanie au Mexique, c’est cette démarche que nous mettons en œuvre, en appui aux acteurs de la société civile et à nos partenaires pour réfléchir ensemble à une stratégie d’influence. Le Sommet humanitaire mondial d’Istanbul de mai 2016 a été l’occasion de redire que la gouvernance de l’écosystème humanitaire doit être partagée et que les mécanismes de coordination et de financements doivent inclure les acteurs du Sud.

Face au durcissement des politiques migratoires

Guidées par une peur irrationnelle de ceux qui viennent chercher d’abord un répit, nos démocraties ont sombré dans une profonde défaite morale. L’Union européenne a parqué migrants et réfugiés dans des camps infâmes, fermé des frontières dans l’espace Schengen, placé en rétention des mineurs non accompagnés, sans protection. Partout où nous intervenons, nous avons soigné les plaies, accompagné les demandes d’asile, interpellé les décideurs, judiciarisé des situations inadmissibles relevant du droit.

Toute l’année, nous avons dénoncé des accords, comme celui passé entre l’Union européenne et la Turquie qui, sous couvert de « briser le modèle économique des passeurs », bloque des migrants épuisés dans des situations inhumaines. Nous avons dé- noncé les politiques de rapatriement ou celles qui conditionnent l’aide publique au développement au refoulement des migrants.

Consolider le réseau international

Avec les 15 associations Médecins du Monde, nous avons adopté en 2016 une première feuille de route avec l’ambition de faire vivre nos valeurs, dans le cadre d’objectifs politiques clairs, en renforçant nos partenariats opérationnels autour des urgences. Nous avons l’envie de faire évoluer notre gouvernance, d’amé- liorer notre présence dans les instances internationales, de nous ouvrir à de nouvelles formes de militance et de communiquer ensemble. Dans cette période politique cruciale, le réseau a été ouvert à Médecins du Monde Turquie afin d’accompagner la société civile turque dans ses revendications.


Sur le territoire français

Alors que les activités de plusieurs Caso sont passées au droit commun, Médecins du Monde a célébré 30 ans de combats en France. 30 ans d’une démarche résolument citoyenne et solidaire. 30 ans de dénonciation d’inégalités sociales et territoriales qui se traduisent par des inégalités d’accès aux soins.

Toutes les délégations régionales ont participé à des activités de mobilisation citoyenne, donnant de la puissance à nos actions et à nos messages, en accord avec notre projet associatif. Toutes ont su s’inscrire dans la désobéissance civile, notamment par l’importation de Naloxone ou l’occupation de squats. Seuls ou au sein de multiples plateformes, nous avons martelé que les dispositifs spécifiques dédiés aux personnes en situation de précarité les écartent du droit commun quand ils devraient les y ramener. Il faut renforcer la participation des personnes aux décisions qui les concernent. C’est un levier clé de la transformation sociale.

Cette année encore, la « jungle » de Calais a incarné l’échec de la politique migratoire de la France. Jusqu’à son démantèlement en octobre, plus de 10 000 personnes y vivaient dans des conditions indignes. Nous nous sommes inquiétés de la prise en charge des personnes évacuées, de l’utilisation du placement en centre de rétention administrative ainsi que du sort de centaines de mineurs non accompagnés orientés vers les CAOMI (centres d’orientation et d’accueil des mineurs isolés), dispositifs hors du droit commun de la protection de l’enfance.

En 2016 et malgré notre forte mobilisation, la loi pénalisant les clients des personnes se prostituant a été votée. Inefficace pour lutter contre les réseaux, cette loi place les prostituées dans un isolement encore plus grand et les expose à plus de violence. Par ailleurs, le projet ERLI a été repris par l’association GAIA : l’ouverture de la première salle de consommation à moindres risques à Paris offre désormais un cadre légal à la réduction des risques auprès des usagers de drogue.

Prix des médicaments

Notre combat contre le prix exorbitant du sofosbuvir, un antiviral à action directe qui guérit l’hépatite C (200 000 personnes infectées en France) mais met en danger notre système de protection sociale, s’est renforcé en 2016. Le recours déposé devant l’Office européen des brevets a ainsi permis d’affaiblir le brevet détenu par le laboratoire Gilead. Nous avons su, en combinant cet outil juridique à une formidable campagne d’interpellation du grand public qui a mobilisé régions et réseaux sociaux, utiliser pleinement les deux armes qui sont à notre disposition pour promouvoir nos revendications : le droit et l’opinion publique. Le combat, dont s’est emparé le réseau Médecins du Monde, est désormais inscrit à l’agenda européen.


Vie associative et bénévolat

L’année 2016 est celle de la déclinaison de la vision politique du projet associatif de Médecins du Monde en plan straté- gique. Ce plan répond aux questions du « comment » nous nous engageons, sur quelle thématique, selon quelles modalités opérationnelles, avec quelle organisation bénévole et salariée et avec quelles ressources. Ces éléments de lecture globale, de stratégie opérationnelle et de programmation budgétaire s’adossent toujours à une approche militante et à une dimension politique du soin.

L’enjeu est pour nous de réussir ce passage dans un monde globalisé et plus horizontal tout en renforçant le modèle associatif et militant. Cet enjeu a été particulièrement discuté aux universités d’automne : quelle forme prendra l’engagement ? Quel bénévolat pour demain ? Autour de quelle mobilisation citoyenne et avec quels partenaires ? Quelle forme de gouvernance ? Quelle utilisation des réseaux sociaux ? Quelle communication au service des personnes ? Au terme de ces universités a été annoncée la création du Pôle de la vie associative ainsi que la poursuite de la régionalisation en France et de la déconcentration à l’international, gages d’une mise en œuvre effective du projet associatif.

Les fonctions remplies par l’action humanitaire en France et à l’international changeront, peut-être de manière spectaculaire. Quel sens donner à nos actions ? Notre adaptation et les transformations en cours apparaissent dès lors incontournables si l’on veut améliorer notre impact social. Nous avons besoin d’un récit, au sens politique du terme, qui dit d’où nous venons et qui nous identifie dans l’espace public. Il donne de la légitimité et de la force à nos propositions puis à nos actions. Avec ceux que nous accompagnons, usagers de nos programmes et partenaires, il nous faut donner de la perspective, montrer un horizon nouveau et dire qu’il est à portée de main. Il nous faut dire que nous défendons un système de protection sociale universelle et que ceci est une vision politique de la solidarité, sur le territoire français comme ailleurs. En cette période de transformation, nous avons besoin d’un peu de flexibilité et d’adaptabilité, conditions indispensables à la réussite du projet associatif commun.

 Dr Françoise Sivignon, présidente de MdM France

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