(c) Sarah Alcalay
La Boussole : Quel était le contexte à ton arrivée ?
C.B : En février 2012, le projet phare de constructions d’abris d’urgence porté par Mathieu Quinette, mon prédécesseur, venait d’être validé par la communauté urbaine de Dunkerque (C.U.D). Sa concrétisation marquait le début de la réalisation du plaidoyer mené depuis quelques temps.
Notre action, très tournée sur la mise à l’abri des migrants, était importante sur Dunkerque, Téteghem et Grande-Synthe. Nous étions en revanche peu présents sur Calais où nous assurions une ou deux distributions par an, en général au début et à la fin de l’hiver.
LB : Aujourd’hui quelles sont les priorités de Médecins du Monde dans le Nord-Pas de Calais ?
C.B : Nous souhaitons poursuivre notre action, à savoir, faire valoir les droits fondamentaux des migrants. Nous travaillons pour le moment autour de deux priorités : la mise à l’abri et l’hygiène.
Dans l’agglomération dunkerquoise, nous avons beaucoup avancé sur ce premier point. Dans les camps de Grande-Synthe et Téteghem, les migrants « survivaient » au départ dans des abris de fortune, ils dormaient dans des tentes, sous des bâches en plastique. La Communauté urbaine de Dunkerque a entendu notre appel et construit des « abris temporaires isolés », des sortes de chalets en bois. Aujourd’hui, cela progresse encore. La C.U.D est en train d’aménager des containers qui seront chauffés. Les migrants bénéficieront aussi de sanitaires et d’un point d’eau propre. Le travail et la réflexion autour de la mise à l’abri ne sont jamais terminés. Nous pourrions imaginer un jour l’expérimentation d’une maison des migrants.
À Calais, ce n’est pas la même configuration et la volonté politique n’est pas la même… elle ne tourne qu’autour de la répression et de la sécurité. À ce jour, les instances politiques ne tolèrent aucune construction d’abri puisqu’elles se positionnent contre l’hébergement des personnes en situation irrégulière. Nous ne pouvons alors que penser à des solutions d’urgence, réfléchir à des abris plus résistants aux intempéries et poursuivre le dialogue avec ces instances.
LB : Vous menez aussi un travail de médiation auprès des femmes…
C.B : Nous avons constaté la présence de nombreuses femmes, pour la plupart Ethiopiennes, Erythréennes, Soudanaises et Iraniennes, dans le Nord-Pas de Calais. Elles seraient 300 ou 400. Mener un travail de médiation, les aider dans leurs démarches, les accompagner est important. Nous devons être auprès d’elles, les informer par exemple sur le suivi de grossesse et la contraception.
LB : MdM soigne à Dunkerque et Saint-Omer mais pas à Calais, pour quelles raisons ?
C.B : À Dunkerque et à Saint-Omer, nous faisons des soins primaires car les P.A.S.S ne peuvent pour l’instant accueillir et soigner correctement les migrants. Nous soignerons jusqu’à ce que le plaidoyer de MdM fasse écho et que les P.A.S.S deviennent fonctionnelles. À Calais, la P.A.S.S est opérationnelle mais malheureusement débordée chaque jour. Récemment, une consultation dentaire a ouvert ses portes. C’est une demande que nous avions formulée il y a quatre ans et c’est une grande avancée.
Aujourd’hui, nous demandons à l’hôpital de s’adapter à la situation de crise, de déployer des moyens extraordinaires suite à l’afflux de migrants. La P.A.S.S manque de médecins et d’infirmiers. L’équipe devrait-être renforcée au vu du nombre important de patients. Chaque jour, des personnes se voient refuser l’entrée à la P.A.S.S. Nous pourrions également imaginer la création d’une P.A.S.S mobile qui se déplacerait dans les camps.
LB : Après un premier épisode en 2009, MdM a alerté L’A.R.S sur une nouvelle épidémie de gale en 2014…
C.B : Suite à une série d’expulsions, deux nouveaux camps se sont formés à Calais fin 2013, l’un abritant des Syriens l’autre des Erythréens. En moins de 6 mois ils sont passés de 60 à 300 personnes. Beaucoup d’entre eux souffraient d’irritations, nous avons suspecté une épidémie de gale. Les médecins de la P.A.S.S nous ont répondu qu’ ils rencontraient en effet plus de patients contaminés que d’habitude, surtout parmi les Erythréens. Le médecin que nous avons envoyé a confirmé que l’infection touchait 1/3 des Erythréens. La Gale semblait ne pas être contractée sur place : beaucoup de personnes arrivaient de Paris déjà contaminées. Nous avons prévenu nos collègues parisiens du risque d’épidémie au sein de la population africaine à Paris, notamment vers la Porte de La Chapelle où passent les migrants avant Calais.
Le 24 avril nous avons alerté l’Agence Régionale de Santé en espérant réfléchir à une action concertée. Dans les faits, nous avons été écartés des discussions entre la sous-préfecture, l’A.R.S et l’hôpital. Leur plan s’est avéré pire que ce que l’on aurait pu imaginer. Nous avons été très choqués que les autorités aient utilisé cette épidémie pour justifier des expulsions. Le comble restant que les propres protocoles de l’A.R.S n’ont pas été respectés !
Une semaine avant sa mise à exécution, la préfecture nous a exposé la « prise en charge » prévue : traitement de la gale le soir, douche le lendemain matin et expulsion dans la journée. Nous nous sommes immédiatement opposés à ce plan répressif et aucunement sanitaire.
Pendant l’opération, aucune personne de L’A.R.S ne s’est fait connaitre auprès des migrants, cerclés par un cordon de sécurité de CRS. Il y avait très peu de traducteurs et quasiment aucun médecin. J’ai même vu une femme deviner le poids des migrants pour leur prescrire les bonnes doses de médicaments !
LB : Depuis que MdM est présent à Calais, as-tu constaté des améliorations ou des changements dans l’accueil des migrants ?
C.B : À Calais, la situation ne change guère au fil des années. Nous sommes dans une impasse et le dialogue avec la municipalité est très compliqué pour ne pas dire inexistant. Depuis plusieurs mois, les migrants n’arrivent plus à passer en Angleterre. Ils tentent alors de survivre dans cette ville, de se trouver une place où dormir. Ils se précarisent, ils ont faim et soif. Ils sont de plus en plus nombreux et le climat devient de plus en plus tendu. La municipalité souhaite qu’ils aient un minimum de nourriture et accorde des subventions aux associations mais ne propose rien en matière d’hygiène. Or la situation de crise humanitaire dans laquelle nous sommes est telle que la municipalité ne pourra plus se voiler la face encore longtemps et faire comme si les migrants n’existaient pas. Sur le terrain nous tentons de trouver des solutions : installer des robinets d’eau propre, des toilettes, des douches… pourquoi pas dans le prochain camp Jules Ferry qui nous l’espérons, ouvrira bientôt. Mais ce n’est pas suffisant. Nous souhaitons que plusieurs structures accueillent les migrants de Calais, comprenant l’hébergement. Plus ils seront dans des conditions favorables et plus ils prendront soin de leur santé.
LB : À quoi ressemblera le camp Jules Ferry ?
C.B : D’après les descriptions de Monsieur le Préfet, le camp Jules Ferry ressemblera à une plateforme de services plutôt qu’à un lieu d’accueil. Les migrants pourront être soignés dans une P.A.S.S (qui viendra en complément à celle déjà existante), on trouvera des structures d’hygiène, des vestiaires, des vêtements et des repas chauds seront servis le soir. Le camp Jules Ferry semble malheureusement trop étroit par rapport au nombre de migrants. 1000 personnes pourront graviter dans ce lieu et il y manquera bien entendu des structures d’hébergement. Nous pensons que ce projet n’est pas adapté à la situation et les erreurs commises à Sangatte risquent de se reproduire.
LB : Comment travaillez-vous avec les autres programmes du réseau international ?
C.B. Nous sommes allés voir nos collègues de MdM à Ostende car les migrants de Dunkerque passent aussi par la Belgique. Les Anglais sont venus nous voir à Calais. C’est un début, les liens restent à affirmer.
Sur notre programme nous avons mis en place un carnet de santé pour que les migrants puissent bénéficier d’une continuité de soin dans les centres de soins publics et/ou associatifs, en Grande-Bretagne, en Belgique et en France
LB : À Calais, on rencontre presque une caméra à chaque coin de rue. La médiatisation a-t-elle un impact positif sur la situation des migrants dans cette ville ?
C.B : Il est difficile de se prononcer sur l’efficacité de la médiatisation. Il y a toujours eu des moments d’euphorie médiatique sur Calais, notamment lors des montées de violences ou lors d’un fort afflux de migrants. Les dernières expulsions ont réactivé l’intérêt des médias. Les migrants sont très sollicités. Certains souhaitent s’exprimer, d’autres sont agacés par ce déferlement médiatique. Deux mille personnes à la rue, ce n’est pas rien et il paraît logique que les médias s’y intéressent… Lors des expulsions des mois de mai et juillet, les médias du monde entier étaient présents. Cette présence nous permet entre, entre autre, de nous faire entendre et d’amener des éléments de discussion avec l’Etat. Cela a également permis à des gens d’être informés sur cette situation critique. D’autres se sont mobilisés, une solidarité locale s’est créée, des préjugés sont tombés… La création du camp Jules Ferry est-il le fruit de la médiatisation ? Peut-être mais je ne peux pas l’affirmer.
LB : De nouvelles expulsions vont-elles avoir lieu ?
C.B : Les expulsions des mois de mai et juillet derniers ont été très difficiles à gérer. Elles ont été traumatisantes pour les migrants mais aussi pour les bénévoles et les associatifs. Aujourd’hui, nous approchons de l’hiver et le bruit court qu’il y aurait d’autres expulsions à venir. Nous avons engagé un dialogue avec le Préfet pour tenter de transformer ces expulsions en « déménagements ». En d’autres termes, nous souhaiterions qu’avant l’expulsion des personnes, d’autres lieux d’accueil soient trouvés. Mais, cela implique alors l’idée d’endroits dédiés aux réfugiés de Calais.
LB : Il n’y a pas de consensus quant au positionnement de l’association sur la libre circulation, quel est ton point de vue ?
C.B : Les questionnements autour de la migration sont complexes. L’association doit prendre un temps de maturation pour parvenir à un positionnement. Il me semble qu’il faut dépasser la simple affirmation du devoir d’accueillir les gens de façon correcte en leur accordant les droits fondamentaux. Il faut dénoncer certains traités: le traité du Touquet a créé les tensions que nous avions annoncées, le règlement Dublin entraîne une certaine vision de l’Europe… Les politiques de circulation ont de réelles conséquences sur la santé.
LB : Peut-on parler d’une « criminalisation des migrants » ?
C.B : Oui, ces derniers temps j’ai même la sensation d’une « stratégie guerrière ». Des juristes du nord de la France, portés par l’inter-associatif ont dû lancer des recours auprès de la CEDH. Nous ne sommes plus en face d’un contrôle des personnes, mais sur des délits de faciès au quotidien, des violences et l’utilisation de gaz lacrymogènes.
Les discours politiques entraînent des amalgames. Les associatifs et les no-borders sont mis sur un même plan et diabolisés. La population calaisienne se clive. Un migrant s’est fait tirer dessus, une militante s’est fait agresser en pleine rue… le milieu associatif et militant vit aussi une certaine forme criminalisation.
Ce climat est très spécifique à Calais. Dans le reste de la région, la majorité des élus tient un discours de « vivre ensemble ». D’un côté l’engagement auprès des migrants est de plus en plus fort, de l’autre le racisme et le rejet montent aussi en flèche.