En novembre 2015 paraissaient les premiers reportages et articles sur l’arrivée de migrants en transit à proximité du ferry de Dieppe. En janvier 2016, la délégation Normandie de MdM était contactée par Itinérance, une association tout juste créée. Regroupant aujourd’hui plus de 150 adhérents, elle est le fruit d’élans de solidarité ou de réactions émotionnelles entremêlées face à une humanité défigurée : 40, 80, 100, 200 personnes dormant à même le sol, dans le froid de l’hiver et du vent des falaises. Des hommes, majoritairement albanais, et quelques Irakiens, Kurdes, Erythréens…sans eau, ni nourriture, ni toit…
Itinérance médiatise et dénonce. Une autre association cultuelle turque organise une maraude alimentaire quotidienne : un couscous chaud est servi tous les jours à 17h sur le port. MdM recueille des données et entame une veille sanitaire avec son unité mobile et son équipe de professionnels bénévoles.
Pendant ce temps la société civile s’agite. Les associations locales de solidarité implantées depuis longtemps à Dieppe, s’indignent de l’arrivée de nouveaux mouvements citoyens . Un fossé se creuse entre ceux qui s’occupent des migrants et ceux qui ne s’en occupent pas. Certaines des âmes charitables qui viennent ramasser les ordures entassées commencent à dire que la crasse et les déchets sont culturels.
Les sympathisants FN se mobilisent et se fédèrent. Les violences et les affrontements entre les forces de police et les migrants s’intensifient. Le Maire et la Région expulsent. Il y a ceux qui veulent voir les migrants partir. Il y a ceux qui distinguent les migrants légitimes de ceux qui ne le sont pas. Il y a ceux qui ne veulent que des Syriens pas d’Albanais. Il y a ceux qui sont contre, il y a ceux qui sont pour. Il y a tous ceux qui ne savent plus.
C’est ainsi que nos équipes de Médecins du Monde ont décidé de s’intéresser à la société civile. Parce que le nouveau plan stratégique nous y invite 😉 Parce que tout le monde n’est pas Médecins du Monde, loin de là, mais qu’à MdM on s’intéresse à tous.
La santé communautaire passe par la mobilisation de tous les acteurs concernés. Il nous semble important de consulter et mobiliser les riverains qui sont amenés à côtoyer les populations avec lesquelles nous travaillons. |
Un « porteur de paroles » recueille les perceptions des habitants
« L’aller vers », avec l’unité mobile pour rencontrer les usagers, auprès des pouvoirs publics dans le cadre du plaidoyer… Mais qu’en est-il des personnes éloignées des univers associatifs, politiques, militants, déjà convaincues ou sensibilisées ? En Normandie, nous expérimentons depuis un an le porteur de paroles pour aller vers celles et ceux que nous n’avons pas l’habitude de côtoyer afin de lancer un débat dans l’espace public.
Pancarte géante autour du cou ; feutres, papier et pinces à linge en main, et la phrase du jour sur notre pancarte : « l’accueil des migrants à Dieppe : qu’en pensez-vous ? Comment le trouvez-vous ? ». Nous déambulons gaiement dans les rues de la ville. Des regards curieux s’attardent sur nous et, lorsqu’ils ne fuient pas, au moment propice – armé d’un grand sourire – nous tenterons un « Cette phrase vous interpelle ? ». Et oui, l’objectif est d’inviter la personne à s’exprimer librement sur le sujet, sans la juger ni la persuader de notre positionnement. De la faire se questionner et argumenter ses propos, pour mieux comprendre ses représentations et ses perceptions.
« […] on devrait plutôt se mettre à la place de l’autre pour comprendre ce qu’ils vivent, vous n’aimeriez pas qu’on vous fasse la même chose »
« On sait à peu près ce que c’est de ne pas être acceptées à la base, on était ici, les gens nous regardaient un peu bizarrement parce qu’on n’était pas comme eux, car on vient des îles […] »
« J’étais passée là où ils « logeaient », c’était très précaire, ils avaient juste des petites polaires pour couvrir là où ils dormaient et sans plus»
« Il y a du racisme ici […] les gens ont peur qu’ils soient logés plus facilement alors qu’eux ils y arrivent pas »
« Faire attention à qu’il n’y ait pas de communautarisme, trop, […] ou des gangs (des mafias, qui ne sont pas d’ici) pour se servir des pauvres pour se faire de l’argent sur eux »
« […] Ne pas laisser les portes ouvertes pour que ça devienne comme Calais »
« Je suis pour un compromis. Il ne faut pas être idéaliste, ils sont bien traités en France, mieux que les chiens à Tahiti. »
Les paroles sont recueillies et affichées, si les personnes le souhaitent, sur une feuille de papier pour symboliser leur pensée et alimenter la suite des débats avec d’autres.
Notre déambulation nous a amené à rencontrer et à échanger avec une trentaine d’habitants de couches sociales très diverses : étudiantes, jeunes issus de l’immigration, quadras, bénévoles, hommes vivant en foyer, un chauffeur routier et des migrants albanais. Ces derniers témoignent quasiment tous du racisme à leur égard.
« Même quand on a les moyens de payer et qu’on veut louer une chambre d’hôtel, les gens ne veulent pas nous accueillir »
« Quand on veut boire un café sur une terrasse, les gens nous disent de partir »
La suite à donner à ces débats initiés par les porteurs de paroles peuvent être multiples : café-débat, réunions publiques, proposition de rencontre entre la Ville, les migrants et les riverains… Cette proximité pourra nous aider à repenser nos discours de sensibilisation et de plaidoyer. Nous reprenons la route pour Rouen, enrichis de tous ces récits et témoignages, ayant gagné un maximum de skill en termes de diplomatie… rester de marbre n’est pas toujours facile … écoutez plutôt:
« Faleminderit » !