L’Algérie est devenue une zone de transit importante pour les migrants sur la route de l’Europe, de par l’intensification de la migration irrégulière par voie terrestre et la situation centrale du pays. Un atelier a réuni en Algérie les principaux acteurs du programme d’accompagnement des migrants sub-sahéliens pour définir les principales recommandations stratégiques des trois années à venir.
Retour à Alger
Vingt-et-un novembre, à Alger nous repartons un vendredi, loin d’ici, loin du vent des attentats. Houari Boumediene, il fait gris. Personne de la mission n’est à l’aéroport pour réceptionner les RM, seul un taxi en retard, qui nous dépose dans un hôtel situé vers le bas de la rue Didouche, l’ancienne fameuse rue Michelet. Là non plus, personne ! On nous appelle alors que nous cherchons à joindre le bureau de Médecins du Monde, il faut y aller, à pied ! Bon, nous y allons.
Arrivés là, au bureau, un grand appartement du centre-ville face au Sacré-Cœur, peu de bienvenue, les différents acteurs de la mission, nationaux et parisiens, et une experte du «esse de zappé» (S2AP) phosphorent vigoureusement par petits groupes. L’ambiance semble fraîche, serait-ce le léger malentendu qui a traversé le triptyque récemment qui a transpiré ?
«Esse de zappé»
Une première réunion s’organise enfin, Sybille du esse de sus-cité se présente, nous de même. Que voulons-nous donc ? Nous l’exposons : nous souhaitons absolument qu’un programme perdure à Alger, le dernier étant sur sa fin, et sa suite non préparée ; nous pensons que ce programme d’accompagnement des migrants sub-sahéliens vers le système de soins ne peut procéder de MDM ad vitam aeternam, qu’il faut donc trouver repreneurs.
Le climat se détend sans coup férir, nous sommes bien tous sur la même longueur d’onde. Sybille ordonnance «l’atelier stratégique» d’une main ferme mais infaillible et bienveillante. Les présents, qui ne se connaissent pas, se jaugent, se reniflent, s’apprécient. On parle surtout en cette fin d’après-midi du déroulé des trois journées à venir. Les objectifs sont le bilan du programme 2013-2015, la définition des adaptations éventuelles à apporter aux orientations opérationnelles du programme et les prioriser pour les trois années à venir.
Premier dîner le soir dans un restaurant algérien : si Alger qui fut blanche est toujours aussi triste, masculine le soir, pressée ou hittiste («ceux qui tiennent les murs», référence aux nombreux chômeurs qui campent, appuyés contre les murs des immeubles) et rébarbative, les gargottes restent souvent bien plaisantes, surtout si vous aimez les produits marins admirables de fraîcheur.
Réveil, petit déjeuner, taxi sous la pluie pour nous rendre dans une des nombreuses dépendances catholiques confessionnelles qui persistent en Algérie. C’est là que se tient la réunion avec tous nos partenaires, sorte de grande cérémonie finalement intéressante et productive bien qu’inégale. Les évaluateurs externes de la mission viennent également rendre leur pré-copie, plutôt critiquée par les interprètes de la mission.
On travaille, on mange, on dort
L’Algérie qui exporte des migrants est également une terre d’accueil pour des milliers de personnes fuyant la misère et la guerre en Afrique et dans certains pays arabes.
Le durcissement des conditions d’obtention de visas européens et de nombreux événements régionaux ont contribué a favorisé la migration irrégulière par voie terrestre faisant ainsi de l’Algérie, vu sa situation centrale, un important «pays de transit» sur la route de l’Europe.
L’état des lieux du Haut Commissariat aux Réfugiés dénombre plus de 97 000 individus entre réfugiés et demandeurs d’asile dont une majorité (90 000) de réfugiés sahraouis. Ces chiffres sont largement sous-estimés. De plus, les derniers chiffres disponibles font état de la présence de 20 000 migrants subsahariens en situation irrégulière et réfugiés : 40% d’entre eux sont venus en Algérie pour travailler; 40% sont dans une sorte de «transit» vers le continent européen, ce sont les plus instruits et ils visent à s’installer en Espagne, en Italie ou en France ; 20% des migrants qui sont en Algérie voudraient rentrer chez eux, cependant, l’intériorisation d’un «échec migratoire» les amène à des choix comme par exemple la «harga». |
La migration subsaharienne en direction du Nord s’intensifie et prend des visages différents avec un nombre plus important de femmes et d’enfants.
C’est dans ce contexte que Médecins du Monde œuvre à la pérennisation de l’accès aux soins dans le système public de santé des populations migrantes.
Dimanche, lundi, on travaille, on mange – à midi au bureau les couscous ou berkoukes de tayaba –, on travaille, on se régale le soir en recevant des partenaires – par exemple Fatiha, cheffe de service en infectiologie qui était venue à la réunion Copil-migrants à Istanbul en 2013 – dans nos restaurants préférés (il faut dire quand même, peu accessibles au commun des Algériens) ou en dînant chez Sihem, ex-médecin de la mission, ah! sa chorba et ses bourek. On travaille, on mange, on travaille, on mange, on dort ; de tourisme point, rien, nada, niente, oualou.
L’ambiance est finalement excellente, les esprits communient, on invente la suite de nos ébats humanitaires, nous goûtons comme toujours cette effervescence de la réflexion opérationnelle et politique qui anime l’association.
Au travers de la journée d’échanges avec nos différents partenaires puis de deux jours de groupes de travail constitués des membres de l’équipe de terrain, nous avons réussi à faire un état des lieux de la situation actuelle des migrants en Algérie, à faire un bilan des actions de Médecins du Monde à Alger et à Oran en nous basant notamment sur les résultats de l’évaluation externe en cours et enfin, à identifier les plus-values de nos actions.
Priorité à la plateforme d’accès aux droits des migrants
Voici les principales recommandations enfantées par notre atelier :
- renforcer le travail effectué auprès des structures de soins à Alger pour garantir l’accès effectif des migrants aux soins ;
- prévoir le transfert à court ou moyen terme d’activités jusqu’à présent gérées directement par Médecins du Monde (activités juridiques, scolarisation…) ;
- garder une présence au niveau communautaire pour l’accès aux soins des nouveaux migrants et les cas particulièrement compliqués ;
- identifier dans les années qui viennent un partenaire médical solide sur Alger en capacité de reprendre les activités de Médecins du Monde ;
- élaborer un plan complet de renforcement de capacités pour les partenaires de la société civile, qui ont actuellement des besoins très différents. Ce renforcement devra constituer un résultat en tant que tel dans l’élaboration du futur projet ;
- nécessité d’écrire les projets conjointement avec les partenaires en les associant en amont ;
- améliorer le recueil de données sur les projets de la mission.
- enfin, la priorité absolue sera donnée au développement et à la consolidation de la plateforme d’accès aux droits des migrants, entité déjà bien gestationnelle. En effet, Médecins du Monde a su déjà fédérer des associations qui ne travaillaient pas entre elles auparavant et va asseoir son rôle « d’articulateur » concernant le thème de la migration.
Voilà, il n’y a plus qu’à rentrer à Toulouse lundi soir ou mardi matin, un peu azimutés par l’impression de ne guère avoir vu le jour et par le décalage conséquent d’une reprise de train-train quotidien.
Najah Al Bazzou et Philippe Gabrie, paru dans Lettre et débats de la délégation Midi-Pyrénées