Photo : Olivier Papegnies
Clinique mobile, colis de nourriture… Pour aider les 3000 migrants, les ONG agissent comme à l’international
Quand Géraldine Martin prend la main d’Ibrahim, elle repère tout de suite les petits sillons entre les doigts du jeune Soudanais. Un œil sur le reste du corps, deux ou trois questions, et son diagnostic sonne comme une évidence. « Vous avez la gale. Il faut traiter… Êtes-vous d’accord pour rompre le ramadan et avaler tout de suite un traitement ? », enchaîne-t-elle, sans lâcher ni la main ni les yeux du jeune homme, visiblement rassuré par cette humanité. Anne Dassonville, l’infirmière, s’affaire à côté de la médecin, préparant le sachet de médicaments à emporter et les quatre comprimés à avaler immédiatement.
En périphérie de Calais, l’immense bidonville où survivent quelque 3 000 migrants dispose désormais de sa clinique mobile. Et l’ouverture de la petite cabane de bois clair, qui tranche au milieu du bidonville de bric et de broc, a donné le coup d’envoi d’une opération inédite en France.
Mardi 30 juin, cinq camions chargés chacun de 20 mètres cubes de colis alimentaires ont débarqué au milieu de l’ancienne décharge devenue campement. Suivaient un semi-remorque de fruits et légumes puis quelques camions chargés à bloc de kits d’hygiène et de 600 jerricans vides pour que les résidents de la ville fantôme puissent disposer d’eau dans leur cahute. « A Calais, il est difficile de se nourrir, de se soigner, de se laver et d’avoir accès à l’eau potable », résume Jean-Francois Corty, le responsable des opérations France de Médecins du monde.
[gallery_bank type=”images” format=”thumbnail” title=”true” desc=”false” responsive=”true” animation_effect=”bounce” album_title=”true” album_id=”15″]« On fait sans les autorités »
Fort de ces constats partagés, Médecins du monde a ouvert une clinique mobile. Le Secours catholique a lancé un programme d’« amélioration de l’habitat » et de construction de lieux collectifs. Le Secours islamique de France a distribué des colis alimentaires. Quant à Solidarités international, il a mobilisé ses spécialistes pour la construction de sanitaires, la répartition de kits et le ramassage des déchets.
De retour du Kurdistan irakien, Céline Morin a à peine adapté sa méthode pour gérer la distribution des colis alimentaires du Secours islamique, des kits d’hygiène de Médecins du monde, et des kits de conservation d’eau de Solidarités, son ONG. « Lorsqu’on arrive en zone de catastrophe, on a en général des relais sur place qui nous aident. Dans un camp de réfugiés, les gens sont enregistrés. A Calais, on fait sans les autorités, et la population fluctue d’un jour sur l’autre », observe cette humanitaire habituée à s’adapter aux contraintes locales.
L’urgence pour toutes ces ONG est de « répondre aux besoins vitaux qui ne sont pas satisfaits ici », rappelle Antoine Osbert, responsable des missions sociales en France pour le Secours islamique. « Il ne s’agit pas de se substituer aux autorités sur le long terme, mais de les rappeler à leurs devoirs. » Une première pour eux. Comme pour Solidarités international qui signe là sa première mission en France. « La situation que j’ai vue à Calais est pire que certains terrains où nous intervenons, estime Thierry Belhassen, le responsable des opérations d’urgence. En zone de crise, les instances internationales imposent un point d’eau pour 250 personnes, tient-il à préciser. À Calais, les migrants disposent de trois points d’eau pour 3 000 personnes. Et je ne parle même pas des toilettes. »
[gallery_bank type=”images” format=”thumbnail” title=”true” desc=”false” responsive=”true” animation_effect=”bounce” album_title=”true” album_id=”14″]Course folle
En avril, les autorités préfectorales avaient contraint les migrants à quitter les squats du centre-ville pour s’entasser autour d’un centre d’accueil de jour. Le Centre Jules-Ferry a été pensé a minima avec son unique repas quotidien, ses douches sous-calibrées, ses WC accessibles entre 11 heures et 20 heures, la présence quelques heures d’une infirmière. Depuis avril, la situation s’est dégradée en dépit des aménagements en cours de réalisation par les pouvoirs publics.
« Lorsque les migrants étaient dans des petites structures, les associations locales pouvaient intervenir. Des individuels pouvaient apporter une aide. Ce n’est plus possible dans un espace qui regroupe 3 000 personnes », regrette le spécialiste des camps, Michel Agier, anthropologue et ethnologue. Et c’est bien ce que ressent Christian Salomé qui gère L’Auberge des migrants depuis des années et a arrêté les distributions de nourritures, son organisation n’étant pas à la dimension du lieu. « La création de ce camp est perverse car elle a mué l’humanisme de cette ville frontière en une nécessité d’aide humanitaire », regrette le chercheur, mettant des mots sur un fort ressenti local.
« J’ai un rendez-vous en octobre pour demander l’asile. Je serai peut-être passé en Angleterre d’ici là. C’est tellement loin »
Peu à peu la souffrance s’est installée dans la lande. Le nombre de migrants a crû depuis l’éviction du camp de La Chapelle à Paris et les soubresauts qui ont suivi. En quelques heures de consultation, ce mal-être s’est imposé à Géraldine Martin. « Une majorité de patients souffrent de douleurs gastriques liées au stress des conditions de vie, à l’inquiétude des lendemains, mais aussi à la faim que ressentent ces jeunes hommes qui n’ont qu’un repas par jour. S’y ajoutent les problèmes dermatologiques liés au manque d’hygiène et puis bien sûr, les infections qui dégénèrent parce qu’elles ne sont pas soignées », observe la bénévole de Médecins du monde, en cherchant dans ses tiroirs le pansement gastrique qui soulagera Ahmed, un Soudanais psychologiquement épuisé par son voyage. Des années en Libye, une course folle pour éviter de donner ses empreintes en Italie. Puis la France… « Après je ne sais pas. J’ai un rendez-vous en octobre pour demander l’asile. Je serai peut-être passé en Angleterre d’ici là. C’est tellement loin », ajoute le jeune homme, relativisant en quelques mots les autocongratulations d’un gouvernement qui estime avoir créé « une culture de l’asile » à Calais.
D’ailleurs, depuis le 28 juin, 70 à 80 Syriens investissent tous les jours la place d’Armes en centre-ville pour demander à pouvoir déposer légalement leur demande d’asile en Grande-Bretagne. Lundi, ils ont été gazés pour être délogés, alors qu’ils veulent rappeler aux autorités françaises leur souhait de quitter la France qui « propose l’asile mais nous laisse dehors encore quelques mois, alors qu’en Angleterre nous sommes hébergés sur le champ et dignement ».
Par Maryline Baumard, publié dans Le Monde le 30 juin 2015