Quand j’étais petite je voulais être reporter de guerre. Pour dénoncer l’innommable, crier tout haut ce que les faibles et les sans voix murmurent tout bas. Et aussi j’avoue, pour voir du pays. J’imaginais parfaitement ma vie. Le matin j’enfilerais mon treillis, mon appareil photo en bandoulière, et je griffonnerais un mot pour mon mari (qui serait comptable ou instituteur) et mes deux enfants : “Je pars en Afghanistan. Ca va pas fort là-bas. Ne m’attendez pas pour souper“. Je rentrerais quelques jours plus tard, fatiguée (peut-être même blessée qui sait ?), mais tellement heureuse d’avoir aidé le monde à tourner plus rond.
Voilà la vie d’adulte que j’imaginais dans ma chambre de petite fille. Ma motivation a porté ses fruits : je suis devenue journaliste. Mais à Bourg-en-Bresse. Dans un quotidien régional. En France quoi. Pas vraiment l’Afghanistan…
Heureusement, coup de bol, je me suis rendue compte que des faibles et des sans-voix y‘en avait en bas de chez moi ! Si si, à Bourg-en-Bresse ! Du coup, j’ai pu écrire des tas d’articles sur des injustices, des expulsions, des scandales, et crier haut et fort ce que les faibles et les sans-voix murmurent tout bas. Et tout ça chez moi. Ici, en France quoi.
Puis j’ai décidé de réaliser mon deuxième rêve de petite fille : devenir travailleuse humanitaire. Pour agir quand la dignité des hommes est menacée. Et aussi j’avoue, pour voir du pays. J’imaginais déjà ma vie. Le matin je griffonnerais un mot à mes chattes : « Je pars dans un camp de déplacés en Syrie. Ca va pas fort là-bas. Les croquettes sont sous l’évier. Ne m’attendez pas pour changer la litière ». Je rentrerais quelques jours plus tard, fatiguée (peut-être même blessée qui sait ?), mais tellement heureuse d’avoir aidé le monde à tourner plus rond.
A nouveau ma motivation a porté ses fruits : je suis devenue médiatrice pour Médecins du Monde. Mais à Calais. En France quoi. Pas vraiment la Syrie…
Heureusement, coup de bol, je me suis rendue compte qu’ici aussi la dignité des hommes était menacée! Si si, à Calais ! Du coup, j’ai pu amener à l’hôpital des tas de gens malades ou blessés ; recueillir des témoignages de violences inouïes ; accompagner des femmes fatiguées d’avoir peur des agressions ; croiser des hommes d’une classe absolue bien que ne prenant qu’une douche par semaine ; recueillir des dizaines de dessins de naufrages ; jouer aux échecs avec Ali (pour remplacer son copain mort pendant la traversée) ; répéter environ 53 fois par jour “Désolée y a plus de place à la clinique mobile, revenez demain ok ?“ ; rigoler avec Mohamed (enfin c’est surtout moi qui rigolais parce que pour lui, avec sa bouche cassée par des coups de barre de fer, c’était pas facile). Et tout ça chez moi. Ici. En France quoi.
Tout va bien pour moi donc ! Finalement mon seul drame c’est que si ça continue comme ça, quand est-ce que je vais finir par voir du pays?