Photo de Olivier Papegnies
A Calais, la nuit de mardi à mercredi a été marquée par plusieurs centaines de tentatives d’intrusions dans le tunnel sous la Manche. Les migrants n’hésitent pas à mettre leur vie en jeu pour partir et le corps d’une personne écrasée a été retrouvé ce matin. La situation ne cesse de se détériorer, constate l’ONG Médecins du Monde, présente sur place. Directeur des opérations France, le docteur Jean-François Corty appelle à agir en amont de Calais.
A entendre les réactions aujourd’hui, on a l’impression de découvrir quelque chose de nouveau à Calais. Mais il ne s’agit pourtant pas du premier drame. Observez-vous une aggravation sur le terrain ?
– L’année dernière, il y a eu une quinzaine de morts autour de Calais. Essentiellement pour des questions d’accidents, d’écrasements, d’asphyxies. Cette année, depuis le début du mois de juin, on en est déjà à dix morts. Il s’agit de personnes jeunes qui ne devraient pas mourir, aujourd’hui, chez nous, dans ces conditions. C’est particulièrement choquant car ces morts sont évitables. Mais la réponse des autorités ne va pas dans ce sens.
Quelle est la situation actuelle ?
– Depuis l’an dernier, les choses ont évolué. On a beaucoup de femmes et d’enfants, arrivant de Syrie, d’Erythrée, du Soudan du Sud… Nous alertons depuis des mois sur les difficultés de ces gens pour se laver, se nourrir. Bernard Cazeneuve avait fait l’annonce d’un centre Jules-Ferry : ce dispositif a ouvert huit mois après, largement sous-calibré par rapport aux besoins. En mars, à l’ouverture de ce centre, les autorités ont démantelé différents campements autour de la ville pour forcer les gens à s’agglutiner sur ce que j’appelle un “bidonville autorisé” de l’Etat français.
Comment fonctionne ce centre Jules-Ferry ?
– Près de 3.000 personnes y sont entassées. Et les organisateurs y proposent un repas par jour pour 1.000 à 1.500 personnes, une douche quand c’est possible et une infirmerie ouverte deux heures par jour où une pauvre infirmière fait ce qu’elle peut. Ces derniers mois, nous observons dans ce camp des gens qui ont faim, qui ont soif, qui ont des maladies de la grande précarité. Dans ces conditions, ils ont une énorme pression et ne connaissent pas forcément les démarches pour faire une demande d’asile. Ils vont donc par tous les moyens chercher à aller en Angleterre alors que tous n’ont pas envie d’y aller.
Et les associations d’aide peuvent-elles intervenir ?
– Dans ces conditions, on ne peut plus travailler. La situation est dangereuse pour nos équipes comme pour les autres associations qui sont calibrées, depuis 10 ans, pour aider 300 à 500 personnes. Pour plus de 2.500 personnes, ça ne marche plus. Les gens subissent une pression énorme. Ils prennent tous les risques pour passer en Angleterre, avec des espaces de passage qui sont plus ou moins gérés par les passeurs. Il y a une économie de la précarité qui impacte ces gens.
Vous faites aussi face à une augmentation du nombre de blessés ?
– Il y a effectivement plus de blessés mais nous sommes surtout très inquiets de l’augmentation des morts en lien avec la grande précarité. Début juillet, nous avons démarré une opération d’urgence. On est confronté à un dilemme qui consiste à rappeler qu’on est dans la sixième puissance économique mondiale, qu’on n’a pas à se substituer à un Etat qui a signé des conventions internationales et affiche une certaine idée de la morale en matière d’accueil et de protection des personnes, mais qui ne respecte pas ses engagements.
En quoi consiste cette opération d’urgence ?
– Nous avons monté un poste de santé dans le camp, avec médecins, infirmières, psychologues, traducteurs, médiateurs… Il y a une équipe de 25 personnes. Les gens n’arrivent pas à se soigner et sont pris en charge tardivement. La Pass [permanence d’accès aux soins de santé, NDLR] fait ce qu’elle peut, mais elle est saturée. Nous faisons donc ce qu’on sait faire à l’international. Distribution d’eau, installation de latrines… Tout le dispositif est standardisé, expérimenté par l’OMS, le HCR et il n’est pas respecté en France alors qu’il s’agit juste de faire en sorte que ces gens puissent répondre à leurs besoins vitaux.
Quelles sont les interventions les plus courantes ?
– On a des pathologies de la grande précarité : de la gale, des infections respiratoires, des infections cutanées. Il y a aussi beaucoup de traumato avec beaucoup de plaies ouvertes et de fractures dues aux tentatives pour monter dans les camions. Nous rencontrons aussi des problèmes psys conséquents. Ce sont des personnes jeunes, qui comprennent parfaitement ce qui se passe. Ils ont soufferts des bombes, du désert et sont maintenant impactés par les modalités d’accueil. Ce n’est pas de la bobologie. Et quand les gens ont faim et qu’ils vous le disent, si vous ne distribuez pas de nourriture, vous ne pouvez pas faire de médecine.
Les migrants n’hésitent pas à risquer leur vie pour passer en Angleterre. Est-il possible de gérer cette situation ?
– Quand on est dans une logique de survie, on y va. Pour changer les choses, il faut désengorger Calais, sortir de la logique de campement qui n’a pas lieu d’être en France : on n’est pas au Darfour à essayer de parquer des gens sous des tentes parce qu’on ne peut pas faire autre chose. Nous avons les moyens de faire autrement : il faut travailler en amont de Calais, à Paris, à Lille, à Menton. Et il ne s’agit pas simplement de boucher la frontière à Vintimille en espérant baisser le flux de migrants. Il faut des dispositifs où les gens peuvent répondre à leurs besoins vitaux, connaître leurs droits. Aujourd’hui, on ne crée pas les conditions pour que les gens puissent choisir s’ils veulent rester ici ou partir en Angleterre.
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