Si j’ai bien compris le contenu des critiques formulées à l’égard du projet, la plus virulente a porté sur l’énonciation des fondamentaux que se donne l’association et en particulier sur l’objectif de justice sociale qu’elle défend, avant tout autre. L’identité de l’association, répondent les détracteurs, repose sur le soin ; nous sommes des soignants, la justice sociale n’est pas notre problème. Ainsi la reconnaissance de la dimension politique de l’action l’humanitaire soulève-t-elle l’opposition de ceux qui en restent à une vision essentialiste de la fonction médicale : le soin serait détaché de toute contingence sociale, produit, selon le mot de Louis Portes, de la rencontre libre d’une conscience (celle du médecin) et d’une confiance (celle du patient) ! Belle formule qui fait litière de tout le reste, l’histoire sociale, l’existence d’un système de soins, l’accès à ceux-ci, leur qualité, la maîtrise publique du dispositif, etc. Beaucoup de soignants et particulièrement des médecins se refusent à connaître les conditions sociales et politiques de l’exercice même de leur métier : l’origine sociale des étudiants en médecine, le financement public de la formation, l’équité en matière d’accès aux soins, les déterminants sociaux des pathologies.
Ainsi, ce qui motiverait les jeunes candidats à l’action humanitaire serait d’aller, en personne, soigner ! Soigner, mais soigner qui ? Sauver des vies, mais quelles vies ? Dans la plupart des pays où nous intervenons, nous n’avons que des interventions partielles. Alors pourquoi sauver telle vie et pas telle autre ? Nous ne nous donnons pas pour objet de restaurer les forces de travail dans une perspective économique ; nous n’établissons pas notre fonds de commerce sur la souffrance du monde… Il faudrait pouvoir sauver toutes les vies, ce qui n’est pas à la mesure de nos moyens. Alors, comment s’en sortir ? Par le témoignage et le plaidoyer, mais sur quelles bases ? Le corrélat éthique de ces interventions partielles est bien la lutte pour la justice sociale, pour que des systèmes de soins accessibles et performants existent pour tous ; et ceci ne peut se faire sans les intéressés. L’intervention humanitaire n’est pas l’avenir de ces systèmes de santé, elle n’en est qu’une phase historique.
Voilà, entre autres raisons, pourquoi je voterai pour ce projet associatif.