L’orientation proposée dans le nouveau projet associatif m’a surpris. En effet les mots « humanitaire » et « médical » n’apparaissent qu’une seule fois dans le texte alors que les thèmes concernant la « justice sociale » et l’ « engagement social » reviennent à plusieurs reprises.
J’ai toujours pensé que notre identité s’était construite au fil du temps dans « l’action médicale humanitaire » aussi bien dans les crises que dans le développement à l’international comme en France. La source de cette identité était, pour nous soignants, une conscience individuelle et collective du sens de l’humanité, d’une éthique de la responsabilité et de la défense des droits humains.
Notre identité était légitimée par nos actions de soignants, notre proximité auprès des populations, par notre humanité, par notre indépendance et par notre impartialité. Ces valeurs se renforçaient par nos prises de paroles et par nos dénonciations de l’intolérable et de l’injustice.
Le partenariat et le partage avec les communautés a toujours existé à MdM. Après 20 ans de direction, je n’ai pas le souvenir de projets qui n’aient pas associé les bénéficiaires à l’identification de leurs besoins prioritaires en matière de santé.
C’est pourquoi je ne comprends pas que MDM veuille se positionner, déplacer son identité sur le champ de la « justice sociale ». Ce concept dépasse largement la problématique de la santé, de l’accès aux soins et du droit à la santé. Il couvre tous les aspects de la vie sociale. C’est un concept porté prioritairement par les organisations syndicales et les partis politiques, ce que nous ne sommes pas.
Qu’est-ce qui amène cette évolution de la pensée à MdM ? Une volonté d’occuper une posture originale dans l’univers humanitaire, une pression idéologique devant l’échec des politiques sociales ? Les difficultés à exercer son mandat humanitaire dans un monde de grande complexité ?… Je ne sais pas.
S’il est vrai que le monde a changé, si le politique tente de nous instrumentaliser, si les médias que nous emmenions autrefois avec nous arrivent aujourd’hui les premiers, si la concurrence à l’argent est féroce entre les ONG et les agences, en quoi cela doit-il modifier nos fondamentaux et notre identité de médecins engagés et militants ? Nous pouvons nous battre pour plus de justice, pour le droit, contre les inégalités et les discriminations, j’y adhère pleinement, mais la justice et l’engagement social ne sont pas notre identité princeps.
Pour conclure, et j’en suis convaincu, MdM est un acteur humanitaire parmi tant d’autres, qui se bat pour améliorer les déterminants de la santé, et par là, la vie de populations vulnérables. Dans ce combat, chaque acteur a son identité propre, reconnue et respectée par les autres. Cette nouvelle orientation nous fait prendre le risque de perdre la nôtre.