Photo issue du webdocumentaire Les voyageurs
Entre les mois de février et septembre 2012, une équipe tournante de Médecins du monde (MDM) a réalisé des entretiens avec 66 personnes dans le centre de santé de l’Association de solidarité et d’entraide avec les migrants, à Istanbul. Les personnes reçues, sur une base volontaire, sont pour la plupart originaires de pays d’Afrique subsaharienne (Guinée, Nigéria, Ouganda, République démocratique du Congo, Sénégal, Côte d’Ivoire, Rwanda, Somali, Mauritanie, Gambie, Cameroun). La présence, dans le centre de santé, d’un personnel soignant bénévole, lui-même originaire de différents pays d’Afrique subsaharienne, explique en partie la prépondérance, parmi les personnes interviewées, de migrants originaires de cette vaste zone géographique. Autrement, ailleurs, dans d’autres quartiers, bien d’autres nationalités composent le paysage migratoire stambouliote.
Les entretiens effectués brossent, dans leur ensemble, un tableau de réalités migratoires, telles qu’elles peuvent être observées par une équipe de soignants de MdM, à Istanbul en 2012. Les personnes rencontrées abordent, chacune à leur manière, les raisons qui les ont amenées à partir de leur pays ou de leur lieu de vie. Ces raisons, toutes différentes, façonnent les contours des voyages ; elles influencent durablement le sens donné au trajet ainsi que les perspectives de parcours géographique et de vie – errance, fuite, exil, aventure, découverte, volonté de retour au pays, impossibilité du retour, regroupement familial, Europe fantasmée, Istanbul comme lieu de destination et lieu de vie… Ces raisons nous renseignent aussi sur les mandats, missions ou intentions que ces personnes ont à charge ou qu’elles souhaitent atteindre par et lors de ce voyage.
Entre toutes ces personnes, les seuls points communs correspondent à leur inscription dans un mouvement migratoire, dans un lieu (Istanbul), à des difficultés partagées, et au centre de santé dans lequel nous nous trouvons. Le reste est diversité des récits de vie : ici, les subjectivités s’expriment, toutes singulières, toutes différentes.
L’intention première de ces entretiens a été d’offrir un espace de parole, libre et anonyme, à des personnes dont la parole est précisément contrainte en raison des conditions souvent précaires et solitaires de leur migration. La manière dont ces espaces de parole ont été investis par un grand nombre de personnes nous a convaincus de l’utilité thérapeutique de ces moments d’écoute.
Dans les textes et analyses qui suivent, l’intention n’est pas de faire une juxtaposition de récits de vie. Ce qui nous intéresse, c’est l’interaction entre un sujet et son histoire, l’environnement qu’il a vécu et celui qu’il vit au moment de l’entretien. Ces témoignages ont aussi été récoltés dans le but de comprendre – ou du moins d’approcher – le sens (ou l’absence de sens) que donne la personne à son parcours de vie, et/ou les difficultés qu’elle a éprouvées ou continue d’éprouver. Il s’agit de prendre la mesure de leur complexité, et des besoins réels, afin de mieux orienter les actions à mener pour une meilleure reconnaissance de ces personnes dans les sociétés qu’elles traversent.