Les partenariats dans les urgences et les crises

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L’Eruc du jeudi 12 mars avait pour sujet “Les partenariats dans les urgences et les crise”. Trois partenaires de MdM étaient invités : le Ministère de la Santé des Philippines, l’association WAHA et une association de médecins syriens (UOSSM).

Intervention de Paula Paz Matriano Sydiongco – Directrice régionale adjointe, Ministère de la Santé des Philippines

A la suite du Typhon Hayan, le Ministère de la santé des Philippines a entamé un travail de coordination de l’aide internationale à deux niveaux :

  •  Central avec l’OMS et d’autres organisations pour l’évaluation des besoins ;
  •  Régional : collecte des informations sur les besoins en santé, l’organisation de l’aide et le renforcement des capacités.

Au total, près de 15 000 personnes ont bénéficié de soins en SSP, soutien psychologique et formations principalement en cliniques mobiles.

Les résultats positifs ont été : l’absence d’épidémies, le renforcement de capacités, le soutien psychologique et une bonne gestion de la santé maternelle. MdM a suivi les recommandations du ministère philippin de la santé en répondant à l’urgence dans des zones à forts besoins là où l’assistance humanitaire n’était pas « engorgée ».

Les points négatifs : un manque de coopération d’autres partenaires internationaux (par exemple le refus d’aller dans certaines zones) et des difficultés de distribution des équipements liées à une localisation inadéquate de certains de ces partenaires.

Intervention de Sinan Khaddaj – Secrétaire général de l’association WAHA

Le partenariat entre MdM et l’association WAHA a porté sur un projet de santé communautaire à Dadaab au Kenya (plus grand camp de réfugiés au monde) et sur la réhabilitation de l’hôpital de la ville. Ce partenariat a pris fin en 2013.

Les points positifs :

  • Malgré les difficultés de MdM à travailler sur le sujet de la santé communautaire pour des raisons sécuritaires, l’hôpital est aujourd’hui équipé, fonctionnel et la formation a donné des résultats.

Les points négatifs :

  • Difficultés dans la répartition des tâches sur le plan médical entre les deux ONG,
  • Manque de capacité de WAHA et d’accompagnement de MdM dans le reporting et le suivi budgétaire.

Au plan humanitaire et d’un point de vue plus global, une grande confusion règne en matière de partenariats. Les différences de taille entre ONG du Nord et ONG du Sud, surtout sur le plan financier sont à prendre en compte. Alors qu’une ONG du Nord contractant un partenariat avec une autre ONG du Nord cherche avant tout une complémentarité, les partenariats entre ONG du Nord et ONG du Sud sont biaisés par l’aspect financier. Celui qui a les fonds se comporte plus comme un bailleur et l’ONG du Sud devient un sous-traitant.

Intervention d’Oubada Almoufti – Représentant France de Union de l’Organisation Syrienne de Secours Médicaux (UOSSM )

Depuis 2011, l’UOSSM  regroupe les associations de médecins syriens à travers le monde. Celle-ci œuvre dans un contexte de bombardements, de prise pour cible du personnel de santé et d’effondrement du système de santé en Syrie. Elle intervient sur quatre axes prioritaires: la médecine de guerre, les SSP, la santé mentale et la formation. L’UOSSM soutient 80 hôpitaux et compte à ce jour 600 employés sur le territoire syrien. Un partenariat entre l’UOSSM et MdM a vu le jour à Reyhanli (Turquie) dans un centre de réhabilitation post-opératoire et de formation pour médecins. Ce partenariat s’est poursuivi à l’intérieur de la Syrie où MdM soutient des postes avancés sur des formations aux premiers secours et en fournissant du matériel médical et des médicaments. L’UOSSM apportant son expertise en matière de besoins et d’offre de soins, elle ne se considère pas comme sous-traitant mais plutôt comme un partenaire de MdM. Il s’agit d’une véritable coopération.

Intervention de Fred Eboko – Sociopolitologue, chargé de recherche à l’institut de recherche pour le développement (IRD)

Une cartographie des acteurs au niveau international est proposée :

  •  « agences de standardisation et de normalisation » : organisations internationales qui émettent des standards, des protocoles qui vont être admis par tout le monde (ex : OMS) ;
  • « agences d’ajustement » : coopérations bilatérales entre certains pays qui vont intervenir en respectant ce qui a été décidé au niveau international et en ajustant ce qui a été décidé par une coopération particulière ;
  • « agences de régulation » : ce sont les Etats, lorsqu’ils existent, qui sont censés coordonner tout ce qui se passe sur leur territoire;
  • « agences d’exécution » : ONG internationales et associations locales qui peuvent former un réseau transnational (complexité) ;
  • « plateformes de concertation » : agences censées coordonner les actions humanitaires des différents partenaires (ex : OCHA) ;
  • « médiateurs de surcroît » : les acteurs privés qui peuvent intervenir quand il y a un intérêt particulier

Quand ces acteurs agissent, on parle de communauté épistémique.

L’intervention de Paula Paz Matriano Sydiongco illustre parfaitement les difficultés de la coordination des acteurs internationaux par un état fragilisé qui devait intervenir aux niveaux central et régional.

L’intervention de Sinan Khaddaj démontre qu’il s’agit toujours d’une question de coordination : où se situe le curseur le plus décisif pour chaque cause ? Le problème est sans doute plus compliqué qu’une simple dichotomie nord /sud.

L’intervention d’Oubaida Almoufti met en exergue une mobilisation en réseaux transnationaux, ce qui n’est pas toujours possible.

Il faut sans cesse essayer de faire en sorte que les individus deviennent acteurs de leur propre vie (c’est la définition du sujet en sociologie).

Discussions

  •  Le travail sur le projet associatif et sur le plan stratégique de MdM est sur le point de clarifier la dimension politique que nous souhaitons donner aux partenariats : sous-traitance, co-élaboration ou alliance ? La question se pose à 3 niveaux : la construction d’un bien commun avec nos partenaires, la confiance (liée à la question de la temporalité), la réciprocité/l’interdépendance.
  • De nos jours, le concept d’ONG du nord et d’ONG du sud devient un peu flou. Les partenariats ne sont pas tant financiers, ils sont plutôt opérationnels : « des partenariats de terrain ». En effet, les premiers acteurs sur les urgences sont souvent les ONG locales qui ouvrent un accès humanitaire que les organisations internationales n’ont pas forcément. On est sur du partenariat gagnant / gagnant (formation, accès aux populations, financements). Dans les urgences, le partenariat de terrain améliore la qualité de nos actions et l’accès aux soins.

Débats

  • S’il n’y a pas de lien de confiance il est très difficile de nouer un partenariat en période de crise. On fait confiance à nos partenaires sur l’analyse des besoins ;
  • Le partenariat est indispensable pour la qualité des opérations, pour impliquer les acteurs locaux dans la résolution de leur problème et pour contribuer à la restitution de leur capacité à agir ;
  • En urgence et dans la post-urgence, il faut non seulement apporter une réponse aux populations directement victimes de l’urgence, mais aussi prendre en charge les populations marginalisées par le débordement des capacités de systèmes de santé déjà fragiles ;
  • La question de la coordination sous-tend un partage des ressources et des territoires entre ONG. Il y a d’importants flux financiers pour des acteurs qui ne font pas d’opérationnel ;
  • On ne pourrait plus concevoir une intervention internationale sans un partenariat car c’est cela qui nous donne notre légitimité ;
  • Même au début de l’urgence, soit MdM consolide des partenariats préexistants, soit elle en crée de nouveaux, ce qui est plus difficile mais indispensable ;
  • Dans les urgences, MdM répond à une demande neuf fois sur dix et nous sommes déjà présents dans 2/3 des pays où nous intervenons ;
  • Toutes les urgences de MdM démarrent en couverture par des fonds non affectés.

Synthèse de Christian Laval, membre du conseil d’administration

Trois questions émergent :

  • La question du partenariat est un chantier ouvert depuis très longtemps à MdM, c’est une histoire ancienne. Il y a une confusion sur la notion de partenariat. Il est important d’en définir les termes. Aujourd’hui, des termes importants ont été employés : « régulation », « coordination », « planification des acteurs ». Il faut en effet définir le partenariat en fonction d’une obligation à se coordonner, à développer des activités, à passer de l’information et à réguler un certain nombre d’acteurs qui sont à des niveaux différents. Il y a des acteurs forts et des acteurs faibles, et cela ne signifie pas pour autant que les acteurs faibles n’ont pas une marge de manœuvre et cela ne veut pas dire que la stratégie des acteurs faibles n’est pas la même.
  •  La 2ème question est : comment se coordonner harmonieusement face à la dissymétrie ? Le partenariat serait une manière d’organiser une situation dissymétrique (qui a été construite historiquement par le colonialisme) et donc un idéal de réparation collective et un idéal de réciprocité. Comme tous les idéaux, ils sont tout à fait respectables mais il faut faire attention à ce qu’ils ne créent pas un certain nombre de dégâts.
  • La 3ème question concerne un certain nombre de controverses entre les acteurs où l’on aurait envie d’une politique plus claire de MdM :

– certains acteurs font alliance avec d’autres et d’autres vont être des « ennemis » ou des « adversaires » qu’il faut convaincre,

– la question du sous-traitant maltraité (la question du pouvoir est une question qu’il faut assumer en tant que telle),

– les revendications, au-delà du clivage nord / sud, visant à dire que l’on peut être sous-traitant mais hyper professionnel. Il y a aujourd’hui le constat que MdM a un certain professionnalisme, et que par contre, il n’a pas certaines compétences, encore faut-il l’affirmer à un moment donné,

– y-a-t-il une spécificité dans les situations d’urgence à créer des partenariats ? Certains pensent qu’il faut le faire et d’autres pensent qu’en période de crise, ce n’est pas le moment de nouer un partenariat. Il faut continuer de débattre en interne pour résoudre cette controverse.

Pour conclure, la notion de: « coalition de cause » est très pertinente dans la matrice de Fred Eboko : il y a des niveaux de standardisation, des niveaux d’ajustement et des niveaux d’exécutants qui ne déterminent pas l’horizon des gens mais qui posent une cartographie qui nous rend plus lucide par rapport à nos idéaux. Dans les sciences humaines, si l’on reste dans l’ambiguïté, ce sont toujours les acteurs forts qui ont le dernier mot.

 

1 COMMENTAIRE

  1. Ce questionnement de synthèse est très intéressant et mérite d’être remis sur table en présence des tous les acteurs de médecins du monde ( associatifs, salariés, volontaires, acteurs terrain en France comme à l’international) pour une compréhension collective des enjeux et stratégie de construction de partenariat. L’atelier sur le outil de partenariat prévu lors de JDM devrait être mis à profit pour relancer le débat sur ces questions.
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