« Sortir de l’ombre » une histoire de sororité en prison

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Médecins du Monde a eu le plaisir de vous convier au lancement de la bande dessinée  « Sortir de l’ombre » coéditées avec la Boîte à Bulles. Cet événement a été l’occasion d’échanger avec Muriel Douru, autrice de Sortir de l’ombre, Olivia Biernacki, coordinatrice du programme milieu carcéral à Médecins du Monde et Dominique Simonnot, Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, préfacière de Sortir de l’ombre. Au programme, dédicaces, prise de parole autour du livre et de son sujet : les lieux de privation de liberté, la dignité des personnes détenues, le travail de Médecins du Monde sur le programme Pluri’Elles…

Questions à Muriel Douru, autrice de « Sortir de l’ombre »

Muriel Douru

Quelle est l’origine de ce projet ?

En 2018, des femmes engagées au sein de Médecins du Monde m’ont proposé de réaliser une enquête sur les travailleuses du sexe car elles pensaient que l’outil « roman graphique » serait pertinent pour communiquer, auprès du public, sur le vécu des personnes concernées. Ce projet est devenu le livre Putain de vies ! publié à La Boîte à Bulles en 2019. Comme notre collaboration a été harmonieuse, l’ONG est revenue vers moi pour me proposer de mener une nouvelle enquête, cette fois sur les femmes en prison. L’idée, c’était de témoigner d’un projet original, mené par Médecins du Monde au sein d’une maison d’arrêt, afin de faire connaître les résultats positifs de cette expérimentation. Ce projet collectif est, en effet, unique en France et a pour but de redonner de l’indépendance aux détenues dans un système qui les broie et les infantilise énormément.

Comment as-tu procédé pour te documenter sur le vécu des femmes en prison ?

Je les ai rencontrées et écoutées ! Grâce à Médecins du Monde et à une responsable du système pénitencier enthousiaste, j’ai pu me rendre durant plusieurs mois dans une maison d’arrêt de femmes, ce qui est une chance car j’avais, chaque fois, la sensation d’entrer dans un autre monde, un monde inconnu des gens du dehors. J’avais des rendez-vous privilégiés avec des détenues et des surveillantes volontaires pour me rencontrer et me parler, et j’ai également assisté, plusieurs fois, à des réunions du collectif. J’ai été installée dans une cellule vide pour faire des croquis des lieux, et comme j’avais obtenu le droit de rentrer dans la prison avec ma tablette, alors que c’est normalement interdit, j’ai pu enregistrer tous les échanges avant de les réécouter pour les utiliser comme base scénaristique.

Qu’est-ce qui t’a le plus marqué lors de tes entretiens avec ces femmes ?

Le fait que ces femmes soient « comme tout le monde ». Dans un travail journalistique, il est important d’arriver à être la plus neutre possible face aux personnes pour les écouter sans jugement ni apriori. Je crois qu’il est difficile d’être totalement déconstruit.e et en ce qui concerne la prison, y a un peu l’idée que la société est divisée en deux : les « bonnes personnes » qui seraient dehors et les « mauvaises gens » qui seraient dedans or, bien sûr, c’est loin d’être aussi simple et les personnes que j’ai rencontrées étaient toutes, elles aussi, des victimes, que ce soit d’un accident de la vie ou d’un environnement nocif.

Pour Putain de vies, tu avais choisi de transmettre les témoignages tels quels, ici tu as créé une fiction. Pourquoi ce choix ?

C’est vrai que je suis rarement dans la fiction et que la matière de mes livres, c’est toujours le réel. Mais dans ce projet, je ne pouvais pas parler des personnes directement parce que certaines ne sont pas encore jugées, parce que d’autres ont fait appel, et puis il fallait aussi respecter les victimes des actes, plus ou moins graves, qu’elles ont commis, la justice qui veille au respect de ses décisions ainsi que le système pénitentiaire qui est connu pour être un peu opaque. De toute façon, ce n’est pas « leurs fautes » qui com- posent la trame narrative du livre, mais le projet collectif de Médecins du Monde. J’avais donc besoin de scénariser pour en restituer la genèse, l’historique et les différents impacts sur les détenues.

Quel message, quelle impression souhaiterais-tu laisser au lecteur à l’issue de cette lecture ?

L’idée que, ce que je disais plus haut (« les gentils sont dehors et les méchants sont dedans ») est fausse, et que, comme me le disaient plusieurs surveillantes, l’accident de vie peut tomber sur chacun d’entre nous. Également faire passer le message que la prison est un impensé de notre société parce que c’est une zone étanche, loin de nos regards, qui en rassure certains alors que je suis désormais convaincue que ça ne sert absolument à rien d’enfermer quelqu’un, si on ne lui donne pas de perspectives et un minimum d’autonomie. Surtout si le but de cet enfermement, c’est d’en faire quelqu’un « de meilleur » à sa sortie.

Tu sembles savoir mettre en confiance des femmes pour qu’elles se confient… Tu as une approche particulière ? Recueillir ces paroles te donne des obligations vis-à-vis de ces personnes ?

Quand je suis face aux personnes, je les écoute avec beaucoup d’attention, sans jugement et comme je suis sensible, je suis vite émue et emportée par leurs récits. Je suppose qu’elles voient ma sincérité et que c’est ce qui me permet d’avoir leur confiance ? Quant à l’obligation morale, elle est bien sûr immense ! Ces personnes me livrent leurs récits de vies, leurs confidences et rien que pour ça, j’ai un immense respect pour elles. Même si ce sont des femmes qui, comme ici, ont commis des actes graves et répréhensibles.

Trois questions à Olivia Biernacki, coordinatrice du programme milieu carcéral à Médecins du Monde

Comment le projet de Médecins du Monde en milieu carcéral est-il né et pourquoi en faire une BD aujourd’hui ?

En 2013, une équipe de Médecins du Monde a rencontré des personnes intervenant en milieu carcéral afin d’étudier la pertinence d’agir en centre de détention pour y améliorer l’accès aux soins et aux droits. Nous avons très vite constaté que les quelques données épidémiologiques disponibles étaient alarmantes. Par exemple, le taux de suicide était sept fois plus élevé en prison qu’en milieu libre. Deux ans plus tard, notre projet de promotion de la santé en milieu carcéral était lancé ! Dans un centre de rétention pilote, en concertation avec les personnes détenues, les soignants et l’administration pénitentiaire, nous avons mis en place des solutions adaptées aux besoins et à la réalité de la vie en prison afin d’améliorer la santé des personnes incarcérées.

À travers ce projet de BD – réalisé en partenariat avec La Boîte à Bulles et l’autrice Muriel Douru – nous souhaitions mettre en avant l’approche singulière et collaborative de ce programme, mais aussi et surtout ces femmes détenues et leurs différents parcours de vie. Cette BD pourrait également constituer une occasion, à travers le regard de son autrice, de déconstruire les préjugés qui existent à l’encontre d’une population souvent stigmatisée, cachée derrière des murs et rarement entendue.

Nous souhaitions aussi laisser aux personnes incarcérées un bel ouvrage retraçant la mobilisation des femmes qui ont créé le collectif, garder une trace de ce qu’elles ont construit avec l’aide de Médecins du Monde. Ce livre leur appartient. C’est un ouvrage qu’elles pourront mettre dans la bibliothèque de la prison afin que l’histoire perdure auprès des personnes concernées au fil du temps.

Quelle est la démarche de Médecins du Monde et avec quels acteurs travaillez-vous ?

Nos actions s’inscrivent dans une démarche communautaire et de réduction des risques. Nous travaillons avec les personnes détenues qui identifient leurs problèmes de santé, analysent l’impact de la détention sur leur santé et proposent en collectif des solutions partagées avec les professionnel.le.s de santé et l’administration pénitentiaire pour y remédier. Nous souhaitons valoriser les compétences de chacun.e afin de mettre en place des solutions adaptées à leur expérience de vie en détention. Nous envisageons la santé comme une ressource indispensable qui va permettre à l’individu ou au groupe de satisfaire ses besoins ou ses ambitions et d’évoluer avec son milieu.

L’objectif de Médecins du Monde n’est pas de se substituer aux acteurs du soin présents en centre de détention, mais plutôt de faciliter les relations en considérant l’ensemble des questions liées à la santé. Le projet se base sur les propositions et besoins émis par et avec les personnes détenues et évolue ensuite au fil des apports des équipes médicales et de la justice.

Comment ce projet permet-il d’améliorer l’accès à la santé des personnes détenues ?

Les personnes détenues qui ont participé aux groupes de travail proposés par Médecins du Monde ont élaboré des outils d’auto-support. Elles ont par exemple créé une requête médicale imagée (en prison, toute demande pour voir un médecin doit être faite à l’écrit) qui permet à des personnes allophones ou illettrées de demander un rendez-vous et ainsi pouvoir exprimer simplement leur besoin.

Comme le raconte Muriel Douru dans cette BD, notre travail à la maison d’arrêt a donné lieu à la création du collectif « les Pluri’elles », au sein duquel les femmes identifient leurs besoins et trouvent ensemble des solu- tions adaptées à leur vie en détention. Cela permet de mieux vivre ensemble, et de réduire les risques sur la santé mentale et le suicide en prison. Ce collectif est aujourd’hui reconnu par l’administration pénitentiaire, le service pénitentiaire d’insertion et de probation, et les soignants.

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